Antoine Sénanque, Salut Marie !, Grasset, mai 2012, 256 pages.
Sur la bande rouge de la couverture, on lit « La Vierge m’est apparue le 1er avril 2008. La date était mal choisie ». Le narrateur, Pierre Mourange, que dans son entourage certains s’ingénient à appeler Morange, va être par trois fois « victime » d’une apparition de Marie, comme une espèce de mauvaise blague. Une apparition tout à fait traditionnelle : « Une jolie femme, la trentaine, brune, en robe bleu pâle, nimbée d’azur, perchée sur un croissant de lune ». D’ailleurs, les autorités ecclésiastiques ne mettent pas en doute les paroles de Pierre. En revanche, son frère, sa belle-sœur, son ami Félix, croient plutôt à des hallucinations, à une fatigue dépressive, due à un deuil non résolu. En effet, Pierre Mourange a perdu son épouse dix ans auparavant, et depuis, il semble continuer à vivre sans vraiment être là, assez détaché, aux prises avec un chagrin qui ne s’exprime pas.
La bande rouge de la couverture donne le ton de ce roman : il s’agit d’une comédie. Une comédie parfaitement réussie, qui n’exclut ni la gravité ni la réflexion, qui les traitent au contraire de la seule manière acceptable. Sénanque choisit l’humour (le vrai, le triste), et le contre-pied. Son personnage, Pierre Mourange, ne se pose pas la question de la véracité des apparitions de la Vierge. Pour lui, c’est une vérité. Un fait. La seule question qu’il se pose est « mais pourquoi moi ? » Il ne demandait rien, il n’attendait rien. Son père, en vieillard lucide, retourne le problème dans le bon sens : « Le mystère, Pierre, ce n’est pas que la Vierge Marie t’apparaisse, c’est que les autres ne t’apparaissent pas. Les bien visibles, tes proches ». La vie de Pierre était centrée sur la « disparition » de son épouse et les « apparitions » vont le contraindre à s’ébrouer. Il devient l’ami d’un prêtre, il rencontre une Mariette qui concocte d’étranges médecines, il s’intéresse à une jeune anorexique, il regarde d’un autre œil son assistante… Et, bien entendu, il fait le pèlerinage à Lourdes.
On n’en dira pas plus sur le déroulé du roman, pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur. Car il y a un vrai plaisir à lire Salut Marie !. Qui tient à cet humour grave que nous avons souligné, et à cette humanité de presque chaque situation. Un exemple : Pierre Mourange est vétérinaire. Il s’est plus ou moins spécialisé dans les chiens, et délègue à un collègue le soin des autres animaux. Les chiens, dans le roman, tiennent une place prépondérante. Surtout le mercredi – car ce jour-là, c’est le jour des euthanasies. Le motif canin concentre, d’une certaine façon, toutes les angoisses à propos de l’amour, la mort, la fidélité, la vieillesse, la maladie, l’abandon. Autant de motifs qui vont être déclinés, plus ou moins, dans les personnages.
Le roman est écrit dans une belle langue. Le choix des prénoms – Pierre, Simon, Marthe… – ancre la narration dans un fonds religieux. Les variations autour du prénom de Marie – Mariette, Rose Marie – recentrent le propos sur l’amour lui-même. Cet « amour », on le trouve dans le patronyme Mourange, qui lorsqu’il est déformé en Morange fait pencher le personnage de Pierre vers son côté mortifère. La scène de Lourdes, comique et désespérée, sous-tend l’idée que les voies du Seigneur, et de la Vierge, sont impénétrables. Avec Salut Marie !, Antoine Sénanque offre un roman discrètement lié à une réalité culturelle, tout en l’élargissant à… on n’ose dire à l’« universel », car ce terme-là est connoté et renvoie au catholicisme… Disons simplement qu’Antoine Sénanque nous offre un roman délicieux, comique et mélancolique, profondément tendre. Ou tendrement grave. Qui parle à chacun.