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samedi 14 février 2015

Hollywood monsters de Fabrice Bourland



Fabrice Bourland, Hollywood monsters, éd. 10/18 (inédit), collections Grands Détectives, 15 janvier 2015, 336 pages.

Dans Hollywood monsters, nous retrouvons les deux détectives de l’étrange inventés par Fabrice Bourland. Et dans l’étrange, ce nouvel opus nous y plonge, ô combien !  Andrew Singleton et James Trelawney se trouvent en Amérique, à Los Angeles plus précisément, à la fin de l’année 1938. La période a son importance : la deuxième guerre mondiale se prépare du côté de l’Europe, tandis qu’outre-Atlantique le cinéma est à son apogée fantastique. Le roman se déroule pendant que Rowland V. Lee dirige Basil Rathborne, Bela Lugosi et Boris Karloff dans Le Fils de Frankenstein. Fabrice Bourland explique, sur son blog, que son idée première était de placer l’intrigue des nouvelles aventures de Singleton et Trelawney durant le tournage de ce film. Mais il a découvert, à son grand dam, que cela avait déjà été écrit. Pas forcément comme il l’aurait écrit, lui, mais… le mal était fait.

Fort de la documentation accumulée, et désireux de situer une des aventures des détectives de l’étrange à Los Angeles, Bourland déplace légèrement son décor, et radicalement – encore que – son intrigue. Un meurtre est commis près de Malibu Lake : une jeune femme est égorgée, et les soupçons se portent vers un loup-garou. Nous ne sommes plus dans le laboratoire de Victor Frankenstein, nous sommes dans l’univers des Éperons de Tod Robbins, ce roman qui a servi de base à Tod Browning pour son film Freaks. La jeune femme assassinée a une particularité anatomique désignée sous le terme de « polymastie », c’est-à-dire qu’elle avait trois seins, à l’instar d’Ann Boleyn, paraît-il (1). Son supposé assassin n’est pas un loup-garou, bien sûr, mais un jeune homme atteint d’hypertrichose, un dérèglement hormonal qui provoque un excès du développement des poils (2). La jeune femme aux trois seins travaillait dans un cabaret où des siamoises chantent en duo, où des serveuses de bar ont des mains en forme de pince de homard, et où, sous la jupe qui moule les fesses de la tenancière des lieux, on devine le balancement d’une petite queue. Freaks, oui, la monstrueuse parade…

Mais les phénomènes de foire ne sont que le versant spectaculaire de l’intrigue. Comme souvent, dans les aventures des détectives de Fabrice Bourland, l’étrange est à dénicher ailleurs. Dans les errements frappadingues des coupables. Nous n’en dirons guère plus ici, roman policier oblige. Ajoutons simplement que les faits se déroulant en décembre 1938, quelques illuminés envisagent la fin de l’espèce humaine et se réfèrent au mouvement théosophique d’Helena Blavatsky (3). Les monstres ne sont pas ceux que l’on croit ou voit. Il y a les victimes, et il y a les bourreaux. Bourreaux persuadés d’œuvrer pour le bien, évidemment.

Encore une fois, Fabrice Bourland emporte son lecteur dans une histoire solide et bizarre. On suit les tribulations de Singleton et Trelawney, on découvre quelques milieux californiens particuliers – celui des freaks, celui de la presse, et celui du cinéma, par la bande. Et l’on découvre que l’un des ressorts de l’enquête policière repose sur l’effet Koulechov. C’est bien le spectateur qui projette son ressenti sur l’expression de l’acteur, en fonction du décor : ainsi l'un des détectives comprend-il que le loup-garou qu'il a entrevu au début du roman n’était pas effrayant, mais effrayé…

Si vous ne connaissez pas encore Singleton et Trelawney, courez les découvrir ! Et si vous êtes déjà de leurs amis, venez les retrouver à Los Angeles…

*

Notes
1 – Je pensais, pour ma part, qu’Ann Boleyn était atteinte de polydactylie, c’est-à-dire qu’elle avait six doigts à chaque main. Une de mes camarades de classe, à l’école primaire, avait deux petits doigts en plus, comme des rameaux poussant sur les pouces principaux. C’est sans doute à cette époque-là, en même temps que je découvrais la chose, que j’ai appris le mot et la référence historique.

2 – On se souvient d’un épisode des Experts-Vegas dans lequel un frère est une sœur sont atteints de cette calamité (CSI Vegas, Saison 6, épisode 11, « Werewolves »).

3 – Helena Blavatsky (1831-1891), fondatrice de la Société Théosophique. La théosophie est une doctrine ésotérique farfelue, qui mêle la philosophie, le corps astral et la médiumnité, enfin, ce genre de trucs… Dans son roman Maudits, Joyce Carol Oates fait de son personnage Puss une lectrice assidue des œuvres de Blavatsky.


samedi 29 novembre 2014

Les Portes du sommeil de Fabrice Bourland


Fabrice Bourland, Les Portes du sommeil, 10/18, collection «Grands détectives», inédit, 2008, 252 p.

Les grands détectives de chez 10/18, on croit les connaître. Si on nous demandait d’en citer quelques-uns, tout à trac, on citerait le chat de Lilian Jackson Braun, Louis Denfert de Brigitte Aubert, Nicolas Le Floch de Jean-François Parot, et bien d’autres, tant d’autres. Dans cette collection, on balaie les époques, les professions et les pays : il y en a pour tous les goûts. On se croyait blasé, et voilà que l’on découvre tout à coup les romans de Fabrice Bourland, qui, avec ses deux héros Andrew Singleton et James Trelawney, comblera à coup sûr les amateurs d’étrange et de littérature.

Nous sommes à Paris, en 1934. Andrew Singleton, le narrateur, part enquêter sur la mort de Nerval, rien que ça. Suicidé ? Assassiné ? La mort de Nerval ! 1855 ! La rue de la Vieille Lanterne ! Dès le quatrième paragraphe du premier chapitre, on se dit que l’on ne lâchera pas le roman, que ce thème, on avait envie qu’il soit traité ainsi, sur le mode du roman de détective. Et puis… on bifurque. La mort de Nerval, on y reviendra en toute fin d’enquête, mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est plutôt du côté de Breton qu’il faut aller le chercher. Breton, oui oui, André Breton, le pape du surréalisme himself. Il est un des personnages du livre. On ne jubile plus, on exulte.

 « Le rêve est une seconde vie ». Cette citation d’ Aurélia est mise en exergue dans le roman, encadrée par un passage de L’ Énéide de Virgile et une phrase de Charles Nodier. Le ton est donné. Il sera question de sommeil, de rêves. De vie et de mort. De mort brutale pendant le sommeil, provoquée par les rêves. Les victimes meurent de frayeur, frayeur causée par un cauchemar. « Est-ce seulement possible, ça, de mourir d’un cauchemar ? » Est-il possible de piloter à distance les rêves du dormeur ? Voilà les questions, et voilà l’enquête que vont entreprendre Singleton et Trelawney, enquête qui va les conduire d’un manoir d’Étampes aux bords du Danube, en passant par  l’Institut métapsychique de Paris, le café de la Place Blanche – le rendez-vous des surréalistes –, l’Orient-Express, Vienne.

On ne raconte pas un roman policier. Sauf à son pire ennemi, pour lui gâcher le plaisir. Mais on peut cependant, pour ses meilleurs amis, évoquer quelques scènes. Les effleurer, plutôt. Par exemple, on peut signaler, sans rien dévoiler, que les médiums jouent parfois les voyants, avec justesse. Que les belles créatures que l’on voit en rêve, et dont on jouit, détiennent une part de vérité. Que Breton ne doit d’avoir la vie sauve – dans le roman, bien entendu – qu’à son obstination à préférer le travail d’écriture au sommeil. Qu’en 1934, sur les bords du Danube, on cherche à fabriquer une race d’êtres supérieurs – mais cela, hélas, on en avait entendu parler.

« Une fois constaté que toutes les issues de la scène du drame sont hermétiquement barrées, il ne viendrait à l’idée d’aucun officier de police d’inspecter la porte des songes » : que les victimes meurent durant leur sommeil, dans leur chambre fermée, cela remet au goût du jour les énigmes de pièces closes, jaunes ou autres. Il y a d’ailleurs dans le roman de Fabrice Bourland un personnage qui rappelle le Rouletabille de Leroux. Mais les « portes du sommeil » ont des serrures qui nécessitent des clés autrement singulières…
Les deux détectives, Singleton et Trelawney, ont plus à voir avec Blake et Mortimer qu’avec Holmes et Watson. Un des personnages du tandem – Singleton chez Bourland, Mortimer chez Jacobs – assume la part étrange, voire fantastique, de l’histoire. Le deuxième personnage – Blake, bien sûr, mais ici Trelawney – est le versant rationnel de l’enquête : celui qui pense à voler un pistolet pour se défendre, qui a songé à voyager avec assez d’argent pour pouvoir monter à la volée dans le train le plus chic d’Europe… Le fait que Singleton soit le narrateur de l’histoire – ce qui permet au lecteur d’avoir accès à ses rêves – rajoute encore au charme du roman : le côté étrange, irrationnel, est privilégié.

L’écriture du roman est malicieuse. On trouve quantité de notes de bas de page, attribuées à l’éditeur, qui étayent le récit par des références avérées. Singleton, dont l’enquête première, rappelons-le, portait sur la mort de Nerval, puise chez Gérard une manière particulière d’envisager les décors, une sorte d’ « instinct » à décrypter les signes dans le Paris de 1934 selon les vues d’un écrivain du XIXe.
  

Les portes du sommeil sont soumises à la loi du genre, le roman de détective, mais elles ouvrent sur d’autres perspectives, autrement réjouissantes. On trouve dans cette aventure un réel amour de la littérature, un désir de la servir et de la partager, une ambition aboutie d’embarquer le lecteur autant dans le mystère que dans sa révélation – du point de vue de l’énigme policière. Mais le mystère des rêves, lui, reste entier, et c’est tant mieux.