mercredi 22 juin 2016

Un an (ou presque) de lecture


Puisque c'est - déjà - parti pour la rentrée littéraire 2016, retour sur une année de lecture, avec les 9 livres qui m'ont marquée - bouleversée - intéressée - chamboulée - changée (rayer la mention inutile) dans l'année écoulée. Par ordre d'apparition depuis août 2015, donc :


NB : Cette liste ne tient compte que des ouvrages publiés ces 12 derniers mois.  Le dixième livre, hors liste des "nouveautés", est une découverte tardive : Crimes au bord de l'eau de Kerstin Ekman.  





lundi 20 juin 2016

Carrousels de Jacques Henric


 Jacques Henric, Carrousels, éd. Tinbad, octobre 2015, 204 pages.

L’Eve hurlante de Masaccio est le point central de cet ouvrage que Jacques Henric a publié en 1980 dans la mouvance de Tel Quel. La réédition qui nous arrive aujourd’hui, à plus de trente cinq ans de la rédaction, a pris peu de rides. L’Eve de Masaccio hurle toujours, sur les murs de la chapelle Brancacci de Santa Maria del Carmine, à Florence. Pourquoi hurle-t-elle ? Parce qu’elle vient d’être chassée du paradis terrestre. A ses côtés, un Adam roux courbe les épaules, comme honteux et penaud, quand sa compagne s’en prend au ciel.
Carrousels, on le sait, n’est ni un journal, ni un traité d’histoire de l’art. Dans ces négations se cache une autre négation : le livre n’est pas une fiction. Mais un roman, oui, peut-être. Avec une trame qui traquerait au plus près le regard de l’écrivain scrutant le monde, tentant de l’interpréter. 





dimanche 12 juin 2016

Être ici est une splendeur de Marie Darrieussecq

Marie Darrieussecq, Être ici est une splendeur, éd. POL, avril 2016, 160 pages.

Paula Becker était une femme peintre. Elle est née en 1876, est morte en couches en 1907, alors que Picasso invente le cubisme. Cette Allemande amoureuse de Paris et de son effervescence au début du XXe siècle, enthousiasmée par Gauguin et Cézanne, a épousé, par amour mais pas que, Otto Modersohn, un peintre paysagiste académique, qui refusait l’impressionnisme quand son épouse en était déjà aux avant-gardes. En France, nous connaissons peu cette peinture allemande, pour ne pas dire pas du tout. La peinture de l’époux est passée de mode, et cette mode ne repassera pas, sans doute. Celle de l’épouse est plus intéressante, par sa modernité et son audace. Elle n’émeut pas pour autant – c’est, du moins, mon sentiment.

Marie Darrieussecq s’empare de la vie de Paula. La peintre meurt à 31 ans, en couches. Elle qui s’était depuis toujours ou presque interrogée, dans sa peinture, sur le corps des femmes, la maternité et l’allaitement, elle qui n’était pas sûre de vouloir des enfants… Darrieussecq s’empare, donc, de la vie de Paula, scrute sa correspondance, son journal, en donne de larges extraits, dans le désordre. En parallèle, l’écrivain travaille sur une nouvelle traduction de A room of one’s own, le livre de Virginia Woolf, qu’elle intitule Un lieu à soi, comme pour faire sortir la femme de l’enclos de la « chambre ». Virginia et Paula ont cette démarche commune, peut-être, d’interroger non pas la place des femmes, mais le regard que l’on porte sur elles. La façon dont on les envisage. Dans les tableaux de Paula, les femmes sont sujets et non objets : de la petite fille à la vieille femme, en passant par la mère allaitante, la peintre se soucie autant de sa manière que de son modèle.

La peinture de Paula occupe, au fond, peu de place dans la biographie de Darrieussecq. C’est la femme libre que l’écrivain nous fait découvrir. Libre, entendons-nous. Libre dans sa peinture, à n’en pas douter. Libre intellectuellement, peut-être, et encore. Paula a du mal, tout de même, à laisser tomber le corset – Marie Darrieussecq cite un passage étonnant de sa correspondance à ce sujet – et accepte de suivre des cours de cuisine avant de convoler, parce qu’une bonne épouse doit savoir contenter son mari aussi devant les fourneaux. Elle choisit de se fiancer, et de se marier. Pourtant, elle « flirte » avec Rilke, lui cache ses fiançailles. Le poète épousera la meilleure amie de Paula, une sculptrice élève de Rodin. Par dépit ? Par défi ? Contre Paula et contre Lou ? Les jeux amoureux sonnent comme des enjeux. Et Paula sort perdante, épouse heureuse mais sans plus, mère morte en accouchant.

Être ici est une splendeur – titre emprunté à un vers de Rilke – est une biographie, bien sûr. Qui permet la découverte d’un peintre et d’une femme. Mais Paula M. Becker est aussi un personnage-jalon dans l’œuvre littéraire de Marie Darrieussecq. Cet auteur ne cesse d’interroger la féminité, le désir, la maternité, la liberté et l’attachement. Romans, autobiographie transposée, traductions, biographies… tout cela forme un tout d’une grande cohérence, et d’un grand intérêt. Alors, bien sûr, ici, nous découvrons la vie de Paula, femme peintre. Mais nous sommes aussi – et surtout – dans une escale du parcours d’une femme écrivain.

mardi 7 juin 2016

Surprise 17 – REVƎЯ de Franck Thilliez



Franck Thilliez, REVƎЯ, éd. Fleuve noir, 26 mai 2016, 600 pages.

Le personnage principal s’appelle Abigaël, elle est psychologue et criminologue. Sa faille : elle est atteinte de narcolepsie, et s’endort tout d’un coup, au beau milieu d’une conversation ou au volant de sa voiture. Elle est soignée avec du Propydol, qui n’est rien d’autre que le GHB, la drogue des violeurs. Certes, les crises s’espacent grâce au traitement mais en contrepartie, Abigaël perd la mémoire. Des pans entiers de ses souvenirs d’enfance ont disparu, et il lui arrive de ne plus savoir ce qu’elle a fait la veille. Lorsqu’elle s’endort brusquement, elle rêve sans passer par les phases normales du sommeil. Et lorsqu’elle se réveille, elle ne sait plus si elle a rêvé ou vécu les situations. Sur le modèle de Memento (le film de Christopher Nolan), Abigaël imprime sur son corps des bouts de réalité. Ajoutons à cela qu’au moment où débute plus ou moins le roman, elle vient de perdre sa fille et son père dans un accident de voiture, dont elle est sortie à peu près indemne. Abigaël travaille, avec la gendarmerie de Villeneuve d’Ascq, sur une enquête délicate : quatre enfants ont été enlevés. Le kidnappeur a été surnommé Freddy par les enquêteurs.

Passons sur les détails et bifurcations de l’enquête, et sur les détails et bifurcations de la résolution, passablement alambiqués. Revenons au titre, qui est une belle trouvaille, peut-être la seule du roman : le titre du roman, tel qu’apparaissant sur la couverture, met en évidence que ce verbe, rêver, est un palindrome. Et place, symboliquement, l’héroïne au centre du verbe qui lui pourrit la vie, puisqu’elle ne sait distinguer la réalité du rêve. Pour le reste… REVƎЯ est sans doute un bon thriller, pour les amateurs du genre, dont je ne suis pas. Je n’ai jamais réussi à terminer un roman de Maxime Chattam. J’ai lu, à leurs sorties, deux bouquins de Jean-Christophe Grangé (Le Vol des cigognes et Les Rivières pourpres) et ils m’ont paru bien supérieurs à REVƎЯ, mais je suis très mauvais juge en la matière, sans doute.

Je continue à m’interroger sur cette fascination qu’exerce sur beaucoup de lecteurs, et donc d’auteurs, la douleur que l’on inflige aux enfants. Oh, bien sûr, la littérature explore le mal. La littérature du « bien » n’est pas folichonne, et souvent gnangnan. Mais je ne suis pas sûre que le terme de « littérature » soit ici approprié. Ces livres n’explorent pas le mal, tout au moins celui-ci. REVƎЯ met en scène des criminels dégueulasses et dérangés dans des décors adaptés (la morgue est un des endroits-clés de l’intrigue), et des enquêteurs zinzins aux prises avec des secrets de famille. Aucun enseignement à tirer la dernière page tournée, aucune ouverture un tant soit peu philosophique, ou sociale. Même pas un beau portrait de femme-à-la-pathologie-pas-courante, manipulée par son père et son amant. Rien. De ce roman sur des gamins kidnappés et torturés, sur la narcolepsie et le doute entre rêve et réalité, il ne ressort que du vide.