mardi 28 février 2017

Un roman français de Frédéric Beigbeder

Frédéric Beigbeder, Un roman français, prix Renaudot, éd. Grasset, 2009, et éd. du livre de poche, 2010.
  
Sur la couverture, une aquarelle. Elle représente un enfant d’une dizaine d’années, sorte d’angelot tristounet au regard limpide et mélancolique. Il s’agit d’un portrait de l’auteur, peint par Nicole Ratel en 1974. Cette dame au chignon gris, vivant dans un appartement gris et offrant à ses petits modèles des biscuits mous extraits d’une boîte en fer gris devait être assassinée peu après par son mari, alors qu’elle venait de lui annoncer qu’elle le quittait pour un autre. Ce qui fait dire – écrire – à Frédéric Beigbeder : « la dernière personne qui a peint mon portrait est morte assassinée. » Un roman français est une sorte d’autobiographie. Disons « une sorte », puisque l’écrivain confesse dès le début du récit son amnésie : il ne sait rien de ses années d’enfance, il n’en a rien retenu. Ecrire son autobiographie, est-ce brosser son portrait ? En sortira-t-on vivant, ou assassiné comme la portraitiste de la rue Jean-Mermoz ?

On connaît l’histoire : Beigbeder et son ami « le poète » – un romancier en vue, lui aussi, capable de citer Marx et Baudelaire aux flics – sont arrêtés alors qu’ils sniffaient un rail de cocaïne, en pleine rue et pleine nuit, sur le capot d’une Chrysler. Les deux amis sont séparés, Frédéric se retrouve en cellule de dégrisement, dans un préfabriqué jouxtant le commissariat du VIIIe arrondissement, à deux pas de l’Elysée. Beigbeder se découvre claustrophobe, et pour endiguer l’angoisse de l’enfermement il tente de revenir sur son passé, et sur la trajectoire qui l’a conduit à se retrouver là, chez les flics. Nulle gloriole chez lui, nulle posture rigolarde ou vantarde. Au contraire, une préoccupation de chaque instant, malgré la stupeur et les brumes de la drogue, à propos de sa fille qu’il doit aller chercher à la sortie de l’école le lendemain, de son amoureuse qu’il ne peut pas appeler car on ne lui a autorisé qu’un seul coup de téléphone, de son chat que personne n’a nourri et qui doit crever de faim. Beigbeder est un tendre.

La réclusion en cellule devient un temps de retraite. Oh, il n’en prend pas conscience tout de suite, l’auteur, l’animateur de Canal +. Il compte les secondes comme il comptait les moutons, enfant, pour s’endormir. Il n’a rien à lire, et rien pour écrire. Il se rend compte, soudain, qu’il n’a aucun souvenir d’enfance – un des policiers lui expliquera que la cocaïne a pour effet, entre autres, d’effacer les souvenirs. Comprenant qu’il n’a vécu jusqu’à présent que dans un présent frénétique et plus ou moins vide, il tente de « défaire le chemin », comme disent les Québécois, de remonter en arrière. La première image qui surgit est celle de son grand-père lui apprenant à pêcher la crevette sur les plages basques. De ce mince souvenir vont remonter l’enfance retrouvée, la rivalité avec le frère, la mise en parallèle de l’enfance et de la jeunesse d’un enfant de divorcés avec les émissions de télévision de l’époque, et les illustrés, collections de SF et encyclopédies dont Frédéric était friand.

L’autoportrait-de-l-auteur-en-garde-à-vue ne se cantonne pas à ses seuls souvenirs retrouvés. C’est l’histoire d’une lignée, sur plusieurs générations, qui nous est donnée. Familles d’aristocrates et de grands bourgeois, héros morts à la Grande Guerre, maurassiens cachant des Juifs dans les années 40, cantatrice et propriétaires de sanatoriums pyrénéens rappelant La Montagne magique, mère divorcée trimant sur des traductions de la collection Harlequin, raouts où se croisent stars du cinéma et étoiles du surf ou de la voile… Un roman français est aussi le roman du XXe siècle écrit par un enfant du siècle.

Une tendresse infinie court sur toutes les pages. Aucun apitoiement, aucune rancune, mais un amour immense pour les siens que Beigbeder confesse, peut-être pour la première fois. Qu’importe que les souvenirs soient retrouvés ou inventés – réinventés. Le fil rouge d’Un roman français est avant tout l’amour inconditionnel de Beigbeder pour sa fille, à qui, dans un épilogue solaire, il apprend à faire des ricochets sur les vagues.

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NB : Frédéric Beigbeder rencontrera les élèves d’une classe de mon lycée le 31 mai, dans le cadre des Assises Internationales du Roman qui se tiennent à Lyon. Comme chaque année, les lycéens auront écrit un article sur ce livre, durant une séance d’atelier d’écriture que je co-animerai avec leur professeur de Lettres. J’aime beaucoup ce dispositif des AIR, qui nous a permis déjà de lire et de rencontrer, entre autres, Chantal Thomas, et par deux fois Tristan Garcia.

vendredi 24 février 2017

Jeux de miroirs de Eugen O. Chirovici

Chirovici, Eugen Ovidiu, Jeux de miroirs (The book of mirrors), traduit de l’anglais par Isabelle Maillet, éd. Les Escales, 26 janvier 2017, 314 pages.

La bande rouge entourant le roman d’Eugen O. Chirovici incite plutôt à la défiance : on peut y lire « Le roman événement », ce qui est un peu court comme présentation (même si c’est efficace). La couverture de l’ouvrage est redondante, elle est d’un gris clair métallisé réfléchissant, qui rappelle les cartes postales que l’on distribuait à Lyon lors de l’expo sur le selfie. Il s’agit de simuler le miroir – les miroirs – dont il est question dans le titre. Mais il ne faut pas s’attacher à ces deux petits « trucs » d’édition, parce qu’ils ne concernent, finalement, que l’enveloppe du roman. Le texte, quant à lui, est tout simplement délectable. Amateur de polar bien ficelé, Jeux de miroirs est pour toi.

Un agent littéraire reçoit par la poste le début d’un manuscrit tout à fait prometteur, dont l’intrigue est basée sur le meurtre d’un professeur de Princeton qui a eu lieu dans les années 80. L’auteur est partie prenante du fait divers : il collaborait avec le professeur assassiné, et était amoureux de son étudiante-assistante. L’affaire n’a jamais été résolue, et l’agent littéraire espère que le manuscrit donnera la clé de l’énigme, car c’est le succès de librairie assuré. Mais… il ne reçoit qu’une partie du roman, et lorsqu’il cherche à contacter l’auteur, celui-ci vient de mourir, et la suite du roman est introuvable. Qu’à cela ne tienne, l’agent littéraire embauche un journaliste  pour écrire la suite du livre. Et le journaliste, donc, fait ses recherches. Rencontre un des flics qui a enquêté sur l’affaire à l’époque. Lequel flic, désormais à la retraite, reprend le dossier en solo, histoire de peupler sa solitude.

Le titre Jeux de miroirs reflète à la fois la psychologie des personnages, la position du lecteur et la construction du roman. Chirovici donne, dans la première partie, l’intégralité des chapitres reçus par l’agent littéraire. Cette partie, présentée dans une typographie différente, est le leurre sur lequel toute la quête du journaliste est bâtie. Le romancier, qui a connu la victime et l’entourage d’un fait divers, qui a lui-même été soupçonné d’être le meurtrier, rédige-t-il une confession ? Déforme-t-il les faits ? Il a été le colocataire de l’étudiante-assistante du prof de Princeton, mais a-t-il réellement vécu une histoire d’amour avec elle ? Quelle est la part de la fiction dans un roman basé sur une histoire vraie ? Les deuxième et troisième parties donnent la parole au journaliste et à l’ancien flic. Dans une gradation subtile, Chirovici passe ainsi de la fiction au journalisme, et du journalisme à l’enquête policière. Le lecteur est face à trois récits rédigés à la première personne, le « je » qui s’exprime est chaque fois concerné à un degré divers, toujours très impliqué dans sa démarche. A rebrousse-poil, Chirovici remonte la logique investigatrice – fiction/investigation/enquête – pour boucler la résolution de l’énigme. Dans une construction en trompe-l’œil, le lecteur remonte le temps alors que le déroulé du roman est chronologique – dans la diégèse, pas dans les faits. Voilà la marque d’un polar de haute-volée.

Il n’est pas de bon polar sans incitation à l’empathie. Celle du lecteur est sollicitée par chacun des narrateurs, par la narration à la première personne d’une part, et par les histoires d’amour brisées d’autre part. Le romancier, le journaliste et le flic à la retraite ont tous connu une femme qui leur a brisé le cœur – et, sans rien spoiler, on peut dire la même chose de l’assassin. Là encore, dans ces histoires d’amour malheureuses, le temps du roman est une composante essentielle, qui suit une courbe déviée : le passé (histoire d’amour finie), le présent (histoire d’amour qui se délite), l’avenir (histoire d’amour qui recommence).


La résolution de l’énigme a plus à voir avec Sherlock Holmes qu’avec le polar noir traditionnel, ce qui ajoute un charme de plus à ce roman policier. Eugen O. Chirovici est roumain, Jeux de miroirs est le premier roman qu’il publie en langue anglaise. On attend les prochains, et aussi la traduction en français de ses premiers ouvrages en roumain.

mardi 14 février 2017

Kurt de Laurent-David Samama

Laurent-David Samama, Kurt, éd. Plon, collection « Miroir », 19 janvier 2017.


Le riff de Smells Like Teen Spirit a fait vibrer une génération entière. La pochette de l’album Nevermind, bébé nageur prêt à être hameçonné par un billet vert, est tombée dans les bacs comme une provocation, un constat brut d’inspiration presque surréaliste : « bébé, piscine, hameçon, pénis. Tout était là. » Le groupe Nirvana rencontre, avec ce deuxième album, un succès mondial. Kurt Cobain devient une icône. On connaît son destin : il est retrouvé mort dans sa maison de Seattle. Il a 27 ans, l’âge maudit des icônes du rock.

jeudi 9 février 2017

Hadamar d’Oriane Jeancourt Galignani

Oriane Jeancourt Galignani, Hadamar, Grasset, collection « Le Courage », janvier 2017, 286 pages.
  
Hadamar, bourgade allemande sise dans le land de la Hesse. Hadamar, Hades mare, la ville de l’enfer. Nous sommes en 1945. Un prisonnier allemand, opposant au régime nazi, vient d’être libéré de Dachau. Avant de quitter le camp, avec ses camarades il a tué ses geôliers et bourreaux, sous l’œil indifférent ou approbateur des libérateurs. Ce rescapé est journaliste, il s’appelle Franz. Il n’a qu’une idée en tête en revenant chez lui : retrouver son fils. Ce fils, il l’a élevé seul. Ce fils, il était un peu gauche, maladroit, lent dans ses gestes et ses réactions. Un grand adolescent beau  comme un dieu, à l’esprit fragile. Comment a-t-il pu traverser les années de guerre ? Qu’est-il devenu ?


Hadamar, 1945. Le commandant Wilson découvre les horreurs commises dans l’hôpital psychiatrique de la ville, en 1941. Les débuts de l’extermination. Aktion T4. Mise à mort concertée et systématique des handicapés et des demi-juifs. Arrivée en bus. Salle de déshabillage. Gazage. Le Texan Wilson est musicien, il chérit une sœur psychotique, il est juif, lié à l’Allemagne par sa mère.