Jean-Philippe Blondel, G229, Buchet-Chastel et Pocket.
G229, c’est la salle. Une salle de cours, dans un lycée de province – enfin, disons « en région », puisque c’est ainsi qu’il faut dire. Jean-Philippe Blondel enseigne l’anglais en salle G229 depuis… depuis longtemps. Dans ce livre, qui n’est ni un récit ni un roman, ni un constat ni un plaidoyer, ou un réquisitoire, il n’est pas question de l’Enseignement. Il est question du métier d’enseigner. Et il est question de la vie, de celle du type derrière le bureau, et de celle des élèves à leurs tables, disposées en U.
Il y a sans doute mille et une façons de raconter son métier. Les profs sont râleurs, on le sait. Fonctionnaires jamais contents. Vaguement aigris, peu considérés, corporatistes – MAIF, CAMIF et Cie –, grévistes, ad libitum. Le Proviseur de mon établissement soulignait lors d’un discours de rentrée, que nous étions – nous, les profs – les agents de l’État les plus savants, les plus titrés, les plus diplômés. Mes collègues ajoutaient, en soupirant, que l’on était également les moins considérés et les moins payés. Dans G229, il n’est pas question de la condition du prof. On trouve, au détour des pages, parfois, quelques piques contre les différentes réformes, les changements de méthodes d’enseignement, les stages de formation, mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel du livre repose sur le sentiment du métier.
Et le métier de prof c’est de l’humain, de l’humain, et encore de l’humain. Le regard que porte Blondel sur ses collègues et ses élèves est tout en bienveillance et empathie. La salle de cours, la salle des profs, le coin fumeur près de la grille, la petite salle près de la loge de la concierge, où l’on reçoit les parents, où l’on subit le débriefing d’une inspection… voilà un monde en soi, à la topographie stricte et parfaitement uniforme, dans tous les lycées de France et de Navarre. Dans G229, on lit l’histoire personnelle d’un prof d’anglais nommé Blondel, et l’histoire collective de tous les profs. Ou tout au moins de ceux qui ne vont pas au lycée comme ils iraient à la mine ou à l’abattoir.
L’émotion, par exemple. Très souvent, Blondel a les larmes aux yeux, pendant son cours. C’est que les élèves, en cours, donnent, offrent. Les cours de langues sont des cours d’expression, on y chante, on y discute, on y joue de la guitare, on y raconte les films que l’on a aimés. Pour parler une langue étrangère, pour apprendre à la maîtriser, il n’y a pas de secret, ou plutôt, il n’y a en a qu’un : il faut avoir quelque chose à dire. On ne doute pas un instant que dans les cours d’anglais de Jean-Philippe Blondel, les élèves sont assez à l’aise pour dire. Et lorsqu’ils disent, le prof est bouleversé. « Les yeux me piquent. […] C’est pour cela que je fais ce métier. C’est pour cela que nous le faisons tous. Parce qu’ils sont là. Parce qu’ils vivent – et que nous vivons avec eux ».
Enseigner depuis si longtemps dans un même lycée conduit à des scènes presque imposées : retrouver dans sa classe les enfants d’anciens élèves, ou d’anciennes petites amies. La vie passe et le prof reste, dans sa salle. Les élèves grandissent, certains se sont installés en Angleterre et remercient l’enseignant pour un voyage scolaire, d’autres sont restés dans la même ville ou y sont revenus, on les retrouve au restaurant, on se tutoie, soudain à égalité. On reçoit des messages, des « coucous », par le biais des réseaux sociaux. On confond parfois les époques et les prénoms, on dit « Élise » pour « Marion » parce qu’à des lustres de là, à la même table de la même salle, une fille ressemblait étrangement à la fille de cette année. La collègue qui a accueilli Jean-Philippe Blondel lorsqu’il a été nommé au lycée est à présent à la retraite, et fait office de baby-sitter les soirs de conseils de classe. « Tous ces gens que j’ai croisés quotidiennement pendant des années et qui se retirent sur la pointe des pieds. Je voudrais écrire leur histoire. La croiser à la mienne. Notre vieillissement. Et surtout, notre vie. Parce qu’avant tout, dans un lycée, on vit ».
Il paraît que les flics ne regardent pas les films policiers, parce que ça leur rappelle le boulot. J’imagine que la majorité de mes collègues ne lisent pas les livres qui racontent l’école, le collège ou le lycée, pour la même raison – en tout cas, c’est mon cas. Exception faite pour G229 de Blondel, lu un peu par hasard, pour compléter ma documentation sur l’auteur, parce que c’est le seul bouquin de lui que j’ai trouvé en librairie hier. Bonne pioche. Tous les Meirieu du monde peuvent ravaler leurs discours, et tous les scientologues des Sciences de l’Educ’ se rhabiller : la vérité du métier n’est pas dans l’étalage des abracadabra de la pédagogie, elle est, tout simplement, dans l’humaine humilité dont ce petit livre est pétri.
*
Complément : on peut lire dans la livraison 45 de la revue Décapage, un très joli texte qui revient sur la promotion de ce livre. Jean-Philippe Blondel et ses élèves, en classe, regardant un reportage sur G229, en salle G229.