samedi 9 novembre 2013

L'attaque des dauphins tueurs de Julien Campredon


Julien Campredon, L’attaque des dauphins tueurs, éd. Monsieur Toussaint Louverture, novembre 2011, 128 p.

Julien Campredon est né en 1978, parle occitan et catalan, cite Joan Bodon, Zola et Mac Orlan lorsqu’on l’interroge sur ses écrivains favoris, et dit préparer un roman de chevalerie. Voilà qui intrigue, et encourage à se jeter sur ce recueil que publie Monsieur Toussaint Louverture, maison d’édition au catalogue impeccable. Cinq nouvelles composent ce recueil, cinq nouvelles dont les titres sont autant de promesses tenues, tant du point de vue de l’humour que de l’imagination : Diablerie diabolique au clubhouse, La Vengeance du livre uruguayen, La Coulée de béton infernale, L’Attaque des dauphins tueurs, M., M. M., D. & M.

Dans les cinq textes du recueil, on rencontre Dieu et le diable, quelques fantômes, une âme du XIXe prénommée Giselle, un livre aux pouvoirs magiques, des dauphins qui incitent les jeunes générations à manger des sardines, mais ne nous y trompons pas, sous la fantaisie perce le constat social. Il y a quelques manières convenues de parler de son temps, quelques manières admises et diffusées. Parfois réjouissantes, parfois platement banales. Ou rébarbativement égocentrées. Julien Campredon, lui, invente sa manière. Remarquons, au passage, que loin d’un régionalisme de revendication, les textes de ce recueil sont à coup sûr ancrés dans un terroir occitan, une discrète réalité géographique et culturelle.

Les personnages de la nouvelle L’Attaque des dauphins tueurs se prénomment Jean-Kevin et Tiphaine, et c’est toute une génération qui prend chair. Le jeune homme danse comme on danse aujourd’hui : « Pour commencer, de son bras droit il enveloppa sa tête, et sa main glissa sur son cou d’une oreille à l’autre pendant que, synchronisant le tout, il faisait passer son avant-bras au-dessus de ses cheveux ». Cette observation minutieuse, presque entomologique, de notre présent immédiat, on la retrouve dans le portrait de la femme cougar de La Coulée de béton infernale. La mère d’un ancien camarade d’école vient demander secours au narrateur. Cette Marie-Claire « n’avait pas beaucoup changé, elle était à la fois un peu plus vieille et beaucoup plus infantile ». Et lorsqu’elle a fini d’exposer son problème, elle repart « comme elle était venue, dans un nuage de parfum pour adolescente », non sans avoir demandé au narrateur « si ça [le] gênait de savoir qu’elle aimait se promener en string sur sa terrasse ». Le narrateur en question est exorciste. Titulaire d’un double doctorat, il note : « si je suis devenu exorciste, c’est parce que c’était ça ou les assurances ». Tout est à l’avenant. Un décalage salubre et irrésistible sous-tend chaque texte. Le snobisme du golf, la peur de vieillir et l’exploitation des jeunes chercheurs bardés de diplômes sont traités dans la même nouvelle, où apparaît également le diable, que l’on reconnaît à sa montre « classieuse ». Les retraités du nord de l’Europe qui, empêchés d’aller plus au sud par le printemps arabe, s’installent dans l’arrière-pays du Roussillon et transforment le paysage ; la crise immobilière ; les mère-porteuses ; et même les libraires qui apposent des notes manuscrites sur les présentoirs pour vanter tel ou tel livre… on trouve tout cela, chez Campredon.
  
On trouve tout cela, mais traité de façon parfaitement jubilatoire, dans un fantastique quotidien empreint d’humour et de dérision. Aucune trace de moralisation, d’analyse pesante, de digressions indigestes. Le format court est particulièrement adapté à cette vision du monde, à ce rendu du monde : la narration déroule son cours à bonne vitesse, l’histoire est bâtie fermement, le thème sous-jacent est audible en mode mineur, ce mode du désenchantement. La petite musique de Julien Campredon est immédiatement contemporaine, et à coup sûr harmonieuse.

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Deux extraits, pour le plaisir :
  
« – Mais enfin ! Nous n’arriverons jamais à rembourser, tu sais bien que notre taux d’entêtement ne peut dépasser trente-cinq pour cent de nos revenus […]
– Reste tes ovocytes… Écoute-moi, Mathilde, des gens veulent des enfants, et toi, tu veux un appartement avec des briques apparentes. Il y a des moments dans la vie où il faut savoir faire des choix ! »
  

« Le sabbat, salon nocturne des métiers de la sorcellerie qui, depuis toujours, défraye la chronique, d’autant plus que certaines mauvaises femmes mamelues y chevauchaient différentes bêtes lubriques. Ma foi, c’est bien vrai, je dois avouer que les premiers sabbats sont grisants, mais avec le temps cela devient une obligation professionnelle comme une autre. “Le boulot, quoi”, ai-je soupiré en glissant mon grimoire dans ma mallette en cuir ».