samedi 21 mai 2022

La Machine Ernetti de Roland Portiche

Roland Portiche, La Machine Ernetti, Albin-Michel/Versilio, 2020, et éd. Livre de poche. 

Cette semaine, j’ai lu – dévoré – un roman formidable. Il faut dire que j’étais de surveillance d’épreuves écrites de BTS, dans le couloir, donc non soumise à une attention soutenue. Dans le couloir, c’est calme, on se lève de temps en temps pour accompagner un étudiant aux toilettes, on relaie un collègue qui veut aller à la machine à café, mais, finalement, on est bien tranquille. Le choix de la lecture de ces moments privilégiés est primordial. Je me souviens qu’en tout début de carrière, dans les couloirs des salles où se passait le bac, j’avais terrassé en deux jours Michel Strogoff. Les surveillances de couloir, c’est le moment des lectures populaires, prenantes, haletantes.

Et donc, cette semaine, j’ai lu un roman formidable, intitulé La Machine Ernetti. Je n’en avais jamais entendu parler, je ne connaissais pas l’auteur, je ne sais même pas comment ce bouquin est arrivé dans mon sac, sans doute une trouvaille de vide-grenier. Bref.

Imagine : c’est du Dan Brown, en un peu mieux écrit, et c’est basé sur des faits réels. Ça se passe au Vatican durant la guerre froide. On y voit Jean XXIII décliner, Paul VI élu, et l’on entrevoit le futur Jean-Paul II. On est emporté dans les caves du Vatican, où sont gardés les secrets les mieux gardés. Et là, on t’offre un de ces secrets. 

Imagine : le père Ernetti, qui a réellement existé et est mort en 1994, a construit une machine – le « chronoviseur » – qui permet d’assister à des scènes du passé, un peu comme sur un téléviseur, mais sans le son. Pas grave, Ernetti sait lire sur les lèvres. Sauf que, lorsqu’on lui demande de remonter jusqu’aux temps évangéliques, il a besoin de quelqu’un qui puisse traduire l’araméen que, lui, déchiffre sur les lèvres des habitants du temps et du coin, mais ne comprend pas. C’est une certaine Natacha, chercheuse en archéologie sur le site de Qumrân, qui est chargée des traductions.

Nous sommes aux temps de la guerre froide, Jean XXIII veut lutter à sa façon contre le communisme matérialiste, en prouvant que le christianisme repose sur des bases indéniables : Jésus est mort et ressuscité, on peut produire les preuves en images.

Bon, évidemment, ce n’est pas si simple… S’il est possible, grâce au chronoviseur, de remonter aux temps évangéliques, il faut aussi prendre en compte les subtilités de la physique quantique. C’est qu’on ne joue pas avec les neutrinos comme on le fait avec les photons… Je te laisse la découverte de cette subtilité, qui donne tout son sel au roman.

Dans La Machine Ernetti, on est aussi, dans la diégèse, aux temps des recherches sur les rouleaux de Qumrân, et sur les Esséniens. La juive Natacha et le catholique Ernetti travaillent ensemble, mais ont des buts différents. Elle veut prouver une théorie, il veut asseoir une foi. Ajoutons à cela un cardinal brésilien maléfique, des manœuvres pour assurer la succession de Jean XXIII, et tout ça et tout ça…

La Machine Ernetti est un roman formidable, basé sur une intrigue hénaurme. Un roman rythmé en courts chapitres, mené d’un train d’enfer, écrit par un documentariste enthousiaste. Deux autres aventures d’Ernetti sont parues, que je m’en vais dévorer, même si les surveillances de couloir sont finies… 


mardi 10 mai 2022

Nouvelles d’un front de G.-O. Châteaureynaud et Hubert Haddad

Nouvelles d’un front, deux nouvelles de Georges-Olivier Châteaureynaud, dessins et peintures de Hubert Haddad, éditions du Contrefort, avril 2022, 60 pages.


Ils se connaissent bien, Châteaureynaud et Haddad. Ils se sont rencontrés au lycée, et ne se sont jamais quittés. « Nous avons œuvré jusqu’à ce jour dans une mitoyenneté spéculaire » écrit – superbement – Hubert Haddad dans sa préface. Dans Nouvelles d’un front, nous retrouvons le Châteaureynaud nouvelliste, et découvrons le Haddad peintre et dessinateur. « Quand [Hubert] peint, son monde ne m’est jamais étranger » écrit Châteaureynaud. On ne saurait dire qui illustre qui, celui-ci les œuvres picturales avec ses mots, celui-là les textes de son ami avec ses couleurs. 


Regards croisés (43) – Sang trouble de Robert Galbraith

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Robert Galbraith (J.K. Rowling), Sang trouble, traduit de l’anglais par Florianne Vidal, éd. Grasset, février 2022, 928 p.


Sang trouble est le cinquième volet de la série policière mettant en scène les détectives Cormoran Strike et Robin Ellacott. Je me suis rendu compte que j’avais loupé un épisode, le quatrième, intitulé Blanc mortel, publié en français en 2019. J’ai lu en leur temps (et un peu oublié aujourd’hui, je dois bien l’avouer) L’appel du coucou, Le Ver à soie et La Carrière du mal. Je me souvenais que les intrigues policières m’avaient bien moins intéressée que l’évolution des sentiments et des relations entre Cormoran et Robin. Peut-être que toutes les séries policières – à la TV ou dans les romans – ne valent que par leur arche sentimentale ou familiale. L’élaboration de telles séries est une course de fond : réussir à former le couple d’évidence, ou rétablir des relations pérennes avec son enfant. Je renvoie, comme toujours, aux Experts, à Castle, et à Wallander, mais il y a des tonnes d’exemples. 

Et donc, j’ai lu Sang trouble. C’est long. Ça bifurque, ça fait des nœuds. C’est une histoire de cold case, pas très originale. C’est tout de même un peu original, parce c’est la première fois qu’une enquête que Cormoran et Robin est basée sur une affaire enterrée et déterrée. Comme dans chaque enquête de ce genre, l’héroïne disparue a à jamais l’âge de sa disparition… 

Il y a, dans Sang trouble, une incursion dans l’astrologie et dans l’ésotérisme qui donne un peu de piquant à l’énigme. Le premier policier chargé de l’enquête, à des décennies de là, a laissé un carnet rempli de gribouillis, de dessins et de digressions sur les différents suspects, les connexions entre les personnes. On y trouve des pentacles, un Baphomet, des allusions à Aleister Crowley, et des références à différents systèmes astrologiques, ce qui fait qu’Untel né sous le signe des Poissons peut aussi être Capricorne ou Serpentaire… Galbraith-Rowling donne à Cormoran Strike une attitude rationnelle, et laisse à Robin Ellacott le rôle de l’enquêtrice intéressée par la pensée magique. C’est un peu agaçant, et convenu. 

Bien entendu, le cas est résolu par Cormoran et Robin. L’assassin est un personnage très intéressant, bien caché. Mais ce qui est en jeu dans cette enquête, c’est avant tout la famille, et les liens perdus. C’est la fille de la victime qui fait appel à Cormoran et Robin pour résoudre le mystère de la disparition de sa mère il y a quarante ans. Celle-ci a été déclarée victime d’un serial killer qui n’a rien à envier à ceux que les films et séries nous proposent, mais une autre piste est possible. Durant l’enquête, qui s’étale sur des mois, et qui est menée en parallèle avec d’autres cas moins prégnants mais psychologiquement intéressants, Cormoran et Robin sont confrontés à des situations familiales difficiles. Robin n’arrive pas à conclure son divorce, Matthew fait reculer chaque fois la date de la médiation, pour tout d’un coup capituler – il a une bonne raison, urgente. Cormoran assiste impuissant à l’agonie de la tante qui l’a élevé en Cornouailles, et son rockeur de père veut absolument réunir une fratrie de façade. Cormoran ne veut pas assister à la réunion d’une fausse famille. Je passe sur l’épisode de Charlotte, l’ex de Cormoran… Le détective a une vie bien compliquée en dehors des enquêtes. La famille, c’est aussi celle formée par les différentes entités du Royaume Uni. L’enquête se déroule pendant la consultation sur l’indépendance de l’Ecosse, et un ami d’enfance de Cormoran insiste sur la particularité des Cornouaillais. 

Il y a, dans ce roman touffu aux multiples personnages et imbrications, un épisode particulièrement réussi : Cormoran et Robin se retrouvent dans une station balnéaire, Robin y a des souvenirs d’enfance, et Cormoran voudrait voir la mer. Mais le paysage urbain, toujours, la lui cache. C’est ce genre de scènes qui donne chair aux personnages, et les rend attachants. Plus encore, peut-être, que les élans amoureux sans cesse différés entre les deux enquêteurs. Pour l’instant, ils se sont déclarés « meilleurs amis ». On avance…

Il paraît que la série des enquêtes de Cormoran et Robin devait se composer de sept tomes, comme la série des Harry Potter. Sept, c’est bien, c’est un nombre magique. Il semblerait que l’on soit partis pour plus de tomes, en réalité. C’est dommage. L’idée d’une série d’enquêtes en nombre limité, annoncé d’avance, permet au lecteur d’anticiper sur la vraie conclusion de l’arche narrative – le couple amoureux formé par Robin et Cormoran – et à l’auteur de jouer avec les nerfs des lecteurs en ayant prévu à l’avance une fin inattendue, ou désarmante. Je parierais volontiers que ce couple ne se formera jamais.

Toujours est-il que Sang trouble est un bon roman, peut-être un peu longuet. Les stéréotypes du genre ne sont pas écartés : les femmes sont des victimes, les enfants sont sacrifiés, les parents sont absents et ceux qui les remplacent sont admirables, etc. Dans la résolution du cold case, et sans rien divulgâcher, on peut tout de même noter que la piste du serial killer n’était pas mauvaise, on s’était tout juste trompé de serial killer… Je ne peux aller plus avant, ici, dans la divulgation, mais je note que le modus operandi et les « armes » employées par les serial killers, dans ce roman, sont aussi stéréotypés. Galbraith-Rowling appuie son savoir-faire sur des bases solides de narration et de références. C’est impeccablement mené, sur deux fronts : celui de l’enquête factuelle, et celui de l’arche sentimentale. Galbraith-Rowling a fait le job. 

Lire l’article de Virginie Neufville