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lundi 11 février 2019

Comment vivre en poète d’Eric Poindron


Eric Poindron, Comment vivre en poète, éd. Le Castor Astral, 14 février 2019, 128 pages.

Eric Poindron a encore frappé. Ce fou furieux des questionnaires improbables nous offre en ce mois de février une réflexion dont le titre, sans point d’interrogation, augure d’un manuel de savoir-vivre. L’ouvrage, à la typographie impeccable – bâton et sérif, cul-de-lampe et retraits, centrage et justification droite-gauche – est une invitation non au voyage, mais au fouissage, au creusement. Comment vivre en poète ? En vivant. En étant vivant. En restant vivant. Nerval n’est jamais mort, je le soutiens mordicus.

Comment vivre en poète est un manuel, donc. De question en question, la question se creuse : « Quel langage êtes-vous ? » ; « Que vient faire la poésie dans le monde ? » ; « Sur quel monument écririez-vous, et qu’y écririez-vous ? » Là, soudain, à rebrousse-temps, surgit le souvenir récent de graffiti sur l’Arc de Triomphe, mais il n’est point question de cela chez Poindron. Le livre a été pensé et imprimé bien avant les débordements des Champs. Et puis, la question est rhétorique, et la réponse magistrale :

« Bien qu’elle soit entièrement recouverte d’inscriptions, il est notable que l’obélisque de la Concorde n’est aucunement un livre. La nuit est le confessionnal qui chuchote parfois les histoires secrètes à celui qui parfois les entend. »

Il y a, dans ce paragraphe, un contre-pied rigolard, la construction d’une atmosphère poétique typiquement parisienne, et une révélation. On le sait, le mot obélisque est masculin. Mais Poindron s’en fout. D’ailleurs, pour un symbole aussi phallique, le masculin est redondant. On s’en souvient, la part égyptienne de Paris sert de trame aux Aventures d’Adèle Blanc-sec de Jacques Tardi, dans une atmosphère qui tient du réalisme poétique autant que de l’imbroglio. Et nos rêves, poèmes de nos nuits, sont bien le creuset de notre poésie secrète.

Les inserts et les questions de l’auteur à nous posées côtoient les citations. J’avoue : dès qu’un auteur est capable de faire référence à Béalu, je craaaque. C’est comme un cadeau de reconnaissance (voir p.82 : « A la manière de Marcel Béalu, vous prenez la route pour une pérégrination fantastique. ») Sans compter que sont cités également Lord Byron, Hélène Cixous, Apollinaire et Mandiargues, Gourio et Aloysius Bertrand, entre autres. La lecture de Comment vivre en poète doit être toute personnelle. Pour ma part, j’y ai retrouvé nombre des membres de ma famille littéraire.

Ce livre est sérieux. Ces « 300 questions au lecteur et à celui qui écrit » – c’est le sous-titre de l’ouvrage – sont une invitation à faire le point sur son itinéraire poétique. Itinéraire de lecteur et d’écrivain, ou de poète qui n’écrit pas. Être poète est une attitude, une façon d’être au monde. C’est bien cela que nous montre Eric Poindron. Son livre, bien sûr, peut servir de base à des palanquées d’ateliers d’écriture. C’est une mine d’exercices. Mais, avant tout, Vivre en poète est un livre que Poindron nous offre en partage amical, avec des tonnes de clins-d’œil, de bourrades aux épaules, et de non-dits timides.  

mardi 27 mars 2018

La BIP (Brigade d’Intervention Poétique)


Dans le lycée où je sévis – comme dans tous les lycées de France – on tente de lutter contre les intrusions. Il en va de la sécurité de tous. Mais, dans le lycée où je sévis, depuis quelques jours des intrusions sont tolérées, et même encouragées. En interne. Je m’explique :

Ma collègue de Lettres Sylvie Marxer, très impliquée dans la transmission de la littérature, s’efforce de montrer à des lycéens souvent rétifs à la lecture que les textes, classiques ou contemporains, sont un bonheur que l’on peut recevoir, et offrir en cadeau. Autour de cet enseignement engagé – qui est, ou devrait être, celui de chaque prof de Lettres – elle a mis sur pied avec une classe de Seconde la Brigade d’Intervention Poétique. Le dispositif en est le suivant : deux élèves entrent dans une salle où se déroule un cours, ils déboulent dans la classe comme s’il s’agissait d’une intrusion. Les deux intrus se présentent, et lisent un poème à un public d’une trentaine de lycéens scotchés par la manœuvre, comme pris au piège de l’intrusion. Mais ils ne sont pas effrayés, ils sont au contraire admiratifs de cette audace, et ils écoutent, sages, attentifs.

Cet après-midi, deux jeunes filles de Seconde, donc, sont venues lire devant mes étudiants de BTS Communication un poème de Thomas Vinau. La mise en voix était parfaitement calée. L’une a commencé à lire le poème, puis la seconde a enchaîné, puis la première a repris la parole, etc. Mais le changement de voix n’était pas « cut » : les deux jeunes filles prononçaient en même temps deux vers, avant de se passer le témoin. C’est dans ce chœur parfaitement orchestré, qui nous a tous surpris – les étudiants et la prof – que l’émotion était la plus forte. Comme la preuve première que la poésie est affaire de partage. Et de chant. Et de communion. Au premier relais à deux voix, c’est comme un grand frisson qui a parcouru l’auditoire.

L’intrusion a duré… oh… moins de trois minutes. Disons deux minutes trente-cinq (de bonheur). Mais la discussion qui a  suivi, ensuite, en cours de Cultures de la Communication, bien plus longtemps. Les deux jeunes filles étaient reparties, un peu intimidées, sous les applaudissements. Mes étudiants, eux, réfléchissaient à ce mode d’intrusion, qui résonnait en accord avec leurs préoccupations communicationnelles. Que le support de ce happening soit la poésie ajoutait une part d’étrange, si ce n’est de mystère, à l’intervention. A cette intrusion si douce, et si réussie.

*

NB : C’est le professeur hôte qui invite la BIP à venir se produire dans son cours, dans un créneau horaire. L’intrusion n’en est une que pour les élèves qui sont alors en classe avec lui, car, bien entendu, le professeur hôte ne prévient pas la classe qu’il va y avoir une intrusion, qui plus est poétique – sinon, ce n’en serait plus une, et elle perdrait de son caractère poétique.
NB2 : La classe de Seconde de Sylvie Marxer fait partie du jury du prix Kowalski des Lycéens.




samedi 3 juin 2017

Comme un bal de fantômes d’Eric Poindron

Eric Poindron, Comme un bal de fantômes, éd. Le Castor Astral, coll. « Curiosa & cætera », 1er juin 2017, 256 pages.

J’ai dansé au bal des fantômes


Cinq saisons et un jour : de l’automne à l’automne suivant inclus, et de 23 heures à plus, Eric Poindron embrasse sous la forme poétique tous ses papillons et ses fantômes. Entendons par là les amis d’hier et d’aujourd’hui, morts ou rigolant ici et maintenant. Ayant pour points communs la littérature et l’art ; pour fraternité un rien, ou un tout, de brindezinguerie ou de vraie folie, un fort penchant pour le fantastique et les mondes cachés à dévoiler ; et pour convergence la région du champagne. Car Poindron amène à lui, et chez lui, tous ses copains. Ses camarades. Ils sont tous là : de Gourio qui signe la préface à Griette et Lapouge, en passant par Caillois, Massin, Jarry, Cabral, Pessoa et tant d’autres.

A ces copains-là, Eric Poindron fait un signe d’amitié littéraire et tendre. Il faut dire aux gens qu’on les aime, et au-delà des siècles, et au-delà des civilisations aussi. Un écrivain se bâtit sur le dos des textes des autres, et son territoire est d’autant plus vaste que vaste est sa bibliothèque, physique ou mentale. La bibliothèque d’un écrivain, c’est son carnet d’adresses. Pour Poindron, c’est un carnet de bal, car il a le sens de la fête, et du partage. Les artistes convoqués dans ce recueil ne forment pas à proprement parler une « ronde », ce qui aurait rendu l’ensemble apprêté, et peut-être égocentrique. Poindron ne se met point au centre de l’assemblée, même si le « je » est omniprésent. Le terme de « bal » est tout à fait approprié pour cet ensemble d’une douce alacrité, ou les figures dessinées par les danseurs-écrivains-poètes-artistes sont autonomes, formant un tout dont l’harmonie repose, justement, sur la juxtaposition des différences.

Pourtant, ils ont tous quelque chose en commun, les invités du bal : ils appartiennent à la confrérie des rêveurs et des voyageurs de commettes, des mauvais-genres et des empêcheurs de penser en rond. Poindron donne, dans ce recueil, la définition contraire du panthéon. Définition en creux, bien entendu. Les vivants et les morts sont conviés à la fête, sans pompe, en toute complicité.

C’est peu dire que je me suis sentie à l’aise dans ce bal de fantômes. Y retrouver Marcel Béalu, Jean-Henri Fabre et Antonio Machado m’a émue, comme une surprise de happy few. Mais le plus émouvant pour moi, sans doute, reste l’évocation que Poindron fait de Nerval, et l’hommage au nageur que fut Lord Byron :
« Lord Byron était boiteux
Pied difforme et pied-bot
Lord Byron adorait la natation
Lord Byron était poète
La natation fut sa plus grande poésie »



mardi 1 décembre 2015

Lignes de vie – 18 écrivains disent leur rapport à la poésie



Collectif, Lignes de vie, 18 écrivains disent leur rapport à la poésie, Le Castor Astral, Collection « L’Atelier Imaginaire », octobre 2015, 286 pages.

Les dix-huit écrivains de Lignes de vie, convoqués par Guy Rouquet pour son « Atelier imaginaire »,  se sont tous prêtés avec fougue et sincérité à l’exercice imposé : « raconter en une dizaine de pages leur expérience de lecteur, donner la liste des dix poèmes leur tenant le plus à cœur, assortir chaque texte d’un commentaire ». Ces dix-huit écrivains, les voici, par ordre alphabétique : Alain Absire, Michel Baglin, Marie-Claire Bancquart, Claude Beausoleil, Ariane Bois, Jean Claude Bologne, Georges-Olivier Châteaureynaud, Sylvestre Clancier, Hubert Haddad, Werner Lambersy, Jean-Pierre Lemaire, Jean Métellus, Jean-Luc Moreau, Jean Orizet, Jean Portante, Amina Saïd, Joël Schmidt, Frédérick Tristan. Des hommes et des femmes représentant à peu près toutes les générations et les origines, Canadien, Haïtien, Parisien, provincial émigré, Belge, certains poètes et d’autres pas. Tous ont répondu avec franchise et générosité, se pliant plus ou moins aux contraintes imposées.