mardi 30 mars 2021

La Vie rêvée du joueur d’échecs de Denis Grozdanovitch

Denis Grozdanovitch, La Vie rêvée du joueur d’échecs, éd. Grasset, janvier 2021, 208 p.

Les échecs sont à la mode, paraît-il. Les ventes d’échiquiers, pour Noël, et les téléchargements d’applications pour tablettes et téléphones mobiles ont bondi. Tout cela par la magie d’une série, par ailleurs excellente, diffusée sur la plateforme Netflix, Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit), adaptée d’un roman non moins excellent de l’écrivain américain Walter Tevis. Denis Grozdanovitch ne surfe par sur la vague du Jeu de la dame. Le jeu d’échecs, il connaît. Il s’y est englouti, s’en est éloigné, puis y est revenu de façon plus raisonnée. Dans La Vie rêvée du joueur d’échecs, il nous parle, bien entendu, des échecs, mais ce jeu sert de base à une observation plus ample, attentive, de nos comportements et de notre façon d’être au monde.

L’ouvrage est tout à la fois une réflexion sur la place du jeu dans nos sociétés, un parcours philosophique rehaussé de citations, et une balade aux bifurcations merveilleuses qui entraînent le lecteur sur les soixante-quatre cases de l’échiquier. A se demander si Grozdanovitch n’a pas tenté de résoudre le problème du cavalier passant par toutes les cases sans jamais passer deux fois par la même, en empruntant des chemins d’érudition, de confession, et d’observation. Cette balade échiquéenne est formidable d’intelligence, de surprise, et d’humour. 

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jeudi 25 mars 2021

Regards croisés (39) – Les Enfants sont rois de Delphine de Vigan

Regards croisés

un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville


Delphine de Vigan, Les Enfants sont rois, éd. Gallimard, 4 mars 2021, 352 p.

 

Ne devient pas Loana qui veut. Mais qui voudrait devenir Loana ? Eh bien, par exemple, Mélanie Claux, un des personnages du dernier roman de Delphine de Vigan Les Enfants sont rois. Dans sa jeunesse, Mélanie a intégré une émission de téléréalité mais elle en a été virée au terme de la première soirée. Qu’à cela ne tienne, lorsqu’elle devient mère de famille, elle crée sa propre chaîne YouTube, qu’elle intitule Happy récré, sur laquelle elle met en scène ses enfants dans les situations banales du quotidien. Enfin, pas tout à fait : tout cela est aussi une affaire de gros sous, les marques envoient des produits à Mélanie, et il s’agit de susciter le besoin chez le consommateur. Les enfants, Samy et Kimmy, sont donc les champions de l’unboxing, et lancent de petits cris d’impatience et de surprise en déballant les colis. C’est à pleurer, et ça existe. Je me souviens d’une de mes collègues, au bahut, étonnée et désespérée, qui m’a dit comme en confidence : « tu sais, mes petits enfants regardent des chaînes sur Internet où il y a des gens qui se filment toute la journée. » 

Delphine de Vigan tente de s’emparer de ce sujet de société : la disparition de l’intime, le monde des influenceurs, la surconsommation et la malbouffe (les gamins de Mélanie ne mangent que des trucs sucrés et industriels sur l’écran), l’exploitation des enfants par leurs parents… tout ça, quoi. Cela donne un roman qui n’en est pas vraiment un, car il y manque pour moi l’essentiel : le plaisir que le lecteur peut prendre à la lecture d’un sujet bien ficelé traité avec style. Ici, de style, point. Les personnages sont peu intéressants – une policière obstinée, une mère écervelée, un père falot pratiquement inexistant, et, quelques années plus tard, des enfants en révolte contre l’enfance qu’on leur a fait subir. Quant à l’intrigue, elle est insignifiante. 

Ne soyons pas trop dure… Il y a tout de même quelque chose de formidable dans ce roman, c’est l’épigraphe, signée Stephen King : « Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le téléachat. »


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vendredi 12 mars 2021

Les sept péchés capitaux, collection de sept ouvrages

Céline Curiol, La Posture du pêcheur ; Cécile Ladjali, Chère ; Louis Henri de le Rochefoucauld, Mémoires d’un avare ; Linda Lê, Toutes les colères du monde ; Laurence Nobécourt, Post Tenebra Lux ; Laurent Nunez, Regardez-moi jongler ; Mathieu Terence, Du Ressentiment, Ed. du Cerf, coll. Les sept péchés capitaux, 4 février 2021. 

Voilà une idée éditoriale formidable : consacrer une collection à un thème donné, circonscrit, et publier tous les ouvrages en un seul office. Les sept péchés capitaux se prêtent parfaitement à ce genre d’entreprise. Le péché est par nature romanesque. La vertu, en revanche… Et puis, il y a la magie du chiffre 7. Les péchés capitaux sont au nombre de sept. Les vertus, elles, doivent se scinder en deux groupes – trois vertus théologales et quatre vertus cardinales – pour atteindre ce chiffre magique. Bon, tout cela a évolué au fil des siècles, ça ne s’est pas fait en un jour, mais dans la culture chrétienne c’est fixé depuis le XIIIème siècle : sept. On notera que l’acédie, cette espèce de découragement de l’âme qui rappelle notre burn out contemporain, a disparu de la nomenclature officielle. 

(...)

La collection, lue d’une traite dans son ensemble, met en lumière une cohérence de fond et quelques divergences de forme. Heureusement. Quel ennui s’il en était allé autrement ! Si chaque auteur avait dû se conformer à un carcan préétabli : tant de feuillets, une novella et rien d’autre, rester dans la ligne fixée… Cela n’aurait eu aucun sens. Parce que se pencher sur la notion de péché c’est, par définition, s’écarter de la ligne. 

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