mercredi 30 octobre 2013

Le chien du jardinier de Lope de Vega



Le Chien du jardinier (El perro del hortelano, 1618),  Lope de Vega, traduction de Frédéric Serralta, Folio théâtre, octobre 2011.

Lope de Vega est une des figures essentielles du Siècle d’or espagnol, période qui s’étend du XVIe au XVIIe. Durant ce siècle débordant, les dramaturges développent un théâtre inventif, codé mais libéré, qui est à mettre en parallèle avec le théâtre élisabéthain. Le théâtre est alors un genre éminemment populaire. Les pièces mettent en scène autant les gens du peuple que les aristocrates, et les différences sociales sont exploitées dramatiquement (entendons par là dans la comédie), notamment dans le couple maître/valet.

Ce sont là sans doute des considérations de spécialiste, qui ne doivent pas empêcher un public profane d’aller voir de plus près un texte écrit par un prêtre au XVIIe siècle. Comme Cervantès et son Quichotte, Tirso de Molina et son Don Juan, Calderón de la Barca et sa Vie est un songe, Lope de Vega (que les Espagnols continuent d’appeler simplement Lope, dans une proximité complice), avec Le Chien du jardinier, rend compte d’une réalité ancrée dans l’époque et bâtit également une intrigue, un monde, des rapports sociaux, qui nous touchent et nous interrogent.

L’intrigue, elle peut apparaître comme rebattue : la comtesse Diana est amoureuse de son secrétaire Teodoro, mais leur union est impossible à cause de la différence de classe. La comtesse va tout mettre en œuvre pour que l’union de Marcela et Teodoro, issus du même milieu, n’aboutisse pas. Ce sont là les thèmes habituels de l’amour, de la jalousie, de la manipulation, traités de manière tout à fait théâtrale, avec son lot de retournements, de déguisements, de tromperies et de pirouette finale qui permet le mariage des amants. 

Madeleine Renaud et Jean Louis Barrault jouent "Le chien du jardinier"
adapté à la télévision par Claude LOURSAIS..
Date : 18/05/1957  Crédits : Bataillon, Philippe / INA

Dans le théâtre, et surtout dans le théâtre baroque, l’agencement des situations est aussi important que la langue employée. Chez Lope, tout est poésie. Dans le texte original, la pièce est écrite en vers, alternant rimes et assonances selon une codification qui épouse la position sociale des personnages. Dans la traduction française proposée dans cette édition Folio, Frédéric Serralta suit le texte au plus près, de façon très respectueuse et compréhensible, et renonce à la versification, ce dont on ne peut lui tenir rigueur, bien entendu. La traduction est fidèle et fluide. Que l’on en juge par cet extrait, qui fait référence au titre de la pièce :
« Mais vous illustrez à merveille le conte du chien du jardinier. Embrasée de jalousie, vous ne voulez pas que je me marie avec Marcela, et, dès que vous voyez que je ne vous aime pas, vous recommencez à me faire perdre la raison et à me réveiller si je dors. Mangez donc, ou laissez manger, car je ne suis pas un homme à me nourrir d’espérance aussi lassantes ; parce que, sinon, je me remets dès l’instant à aimer où l’on m’aime ».

L’écriture baroque est respectée dans ses fondements (manger/nourrir, par exemple, ou encore je ne vous aime pas/aimer où l’on m’aime, qui sont des balancements typiques de l’art du temps) mais, évidemment, la forme poétique est évacuée. La référence au titre de la pièce est explicitée en page 13 de la préface : « le chien du jardinier, qui ne mange pas les choux et ne les laisse pas manger ». Le dossier proposé pour la pièce (chronologie, bibliographie, notes, résumé) est assez complet pour une édition destinée au grand public, et la préface est éclairante. Un dernier mot sur la traduction : si la forme poétique des répliques n’est pas conservée en français, les sonnets qui jalonnent la pièce sont traduits en forme canonique, et cela permet d’accéder un tant soit peu à la musicalité originale.
  
La lecture d’une pièce de théâtre est toujours un exercice paradoxal. Le texte théâtral est écrit pour être dit, incarné. Le parti pris de mise en scène, sur les planches, est une lecture disséquée et offerte. Cependant… en l’occurrence… le texte seul, même en traduction, résiste à la lecture silencieuse du lecteur. C’est là la marque du chef-d’œuvre, intemporel, civilisationnel et universel.

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Félix Lope de Vega y Carpio (1562-1635) est un écrivain espagnol du siècle d’or, auteur d’une œuvre immense et diverse, théâtre, nouvelles, poésie… (3000 sonnets, 1800 pièces profanes, 400 drames religieux…) Son œuvre la plus célèbre en France est sans doute Fuenteovejuna, une pièce de théâtre dans laquelle la population entière d’un village s’accuse d’un meurtre. Dans son Arte nuevo de hacer comedias (Le Nouvel Art de faire des comédies) il définit les nouvelles valeurs du théâtre : maître et valet ; action contre réflexion… On conseillera à un public français la lecture des Nouvelles à Marcia Leonarda dans l’édition bilingue Aubier/Montaigne de 1978.
  

dimanche 27 octobre 2013

Dans un avion pour Caracas de Charles Dantzig



Dans un avion pour Caracas, Charles Dantzig, Grasset, août 2011, et Livre de Poche, septembre 2013.

Fragments pour Xabi


Trois cents pages d’un récit à la première personne, récit non linéaire, livré par très courts chapitres, suivant la pensée et les réflexions du narrateur durant toute la durée du vol Paris-Caracas. Quatre-vingt douze fragments, tous titrés, qui vont de « au-dessus de l’Atlantique » à « atterrir », et qui mettent en scène, outre quelques passagers et membres d’équipage de l’avion, trois personnages principaux : l’écrivain Xabi Puig, son ex-compagne l’artiste Lucie, et Hugo Chávez, président de la république bolivarienne du Venezuela. Trois personnages auxquels il faut ajouter le narrateur, dont le portrait se dessine en creux. Il est « l’ami qui va chercher l’ami parti étudier une des incarnations politiques de notre période double, mélange de dictature et de rigolade, de réaction et de porcherie ».
L’écrivain Xabi Puig a été enlevé au Venezuela où il s’était rendu dans le but d’écrire un livre sur Hugo Chávez. Xabi Puig est un auteur reconnu, dont la bibliographie complète est donnée page 109, dans un fragment intitulé « du même auteur ». Sept publications, étalées de 1996 à 2005, parmi lesquelles on ne trouve aucun roman, et dont les titres, Aposiopèse, Organon, Théorie des théories, par exemple, laissent entrevoir une œuvre dans laquelle la recherche philologique le dispute à la thématique historique et à l’observation acide de la société.

L’élaboration littéraire de ce personnage d’écrivain, figure décalée de l’intellectuel, est la plus belle réussite de ce roman. Le lecteur n’est pas loin d’être aussi fasciné que le narrateur par un Xabi Puig tour à tour solaire et ombrageux, séduisant et insupportable. L’œuvre de Xabi Puig, dont le narrateur nous donne quelques extraits, est composée de fragments, de recueils de réflexions. On y décèle une analyse en marche qui s’exprime par fulgurances. Une œuvre éclatée mais cohérente, qui penche vers le moralisme, qui fond sur nombre d’évidences pour les disloquer.

Au début du vol – et donc au début du roman – le narrateur se demande si « pour vouloir écrire sur Chávez, [Xabi] n’en était pas arrivé au stade de l’intellectuel qui, n’ayant plus rien à dire, cherche un placement sans risque dans la morale internationale, comme d’autres achèteraient du Halliburton ou de l’ExxonMobil ». Puis, au fil des pensées chaotiques lors du trajet, les interrogations à propos du départ de Xabi, qui est en fin de compte le départ pour son lieu de disparition – temporaire ou définitive – d’autres raisons se font jour, comme celle de la rupture de l’écrivain avec sa compagne Lucie. Le Venezuela pourrait bien être une destination-alibi, et l’envie de démonter la mécanique Chávez un désir inavoué, sans doute non formulé, de se dépayser pour ne pas souffrir, ou montrer que l’on souffre.

Les pages sur Chávez permettent une mise en perspective salubre de la fascination que le dictateur a exercée, ou continue d’exercer, sur son peuple et une certaine intelligentsia européenne. Les passages où apparaît Lucie, artiste provocatrice, lesbienne et castratrice, mettent à nu un glamour snobinard dont n’est pas exempt tout un pan du monde de l’art contemporain. La voix du narrateur donne à entendre une amitié jalouse pour Xabi, du chagrin, de la colère, de l’inquiétude et de la confiance. Le temps suspendu du vol pour Caracas est aussi un intermède de jugement distancié.

Mais ce que l’on retiendra d’abord de cet ouvrage, c’est sans doute la manière résolue, affirmée, de conduire le récit. Le roman fragmentaire et le récit non linéaire ne sont pas des nouveautés. Mais Charles Dantzig nous livre ici un texte très maîtrisé, qui sous couvert de pensée divagante sait très bien où il va. La forme adoptée fait pendant à l’œuvre de Xabi Puig. Les pensées flottantes du narrateur aboutissent à une réflexion plus poussée sur la biographie : « Si ce voyage me sert à autre chose que d’aller à la rencontre de mon chagrin, ce sera de constater l’impossibilité de toute biographie ». Dans un avion pour Caracas est une œuvre sinon moderne, à coup sûr précisément contemporaine, qui mêle le politique et le créatif, qui offre une réflexion sur le récit et la société de l’image, qui propose et utilise une autre piste romanesque pour le XXIe siècle. En cela le roman épouse-t-il les théories du personnage-écrivain Xabi Puig : « nous ne pouvons plus lire de romans de mille pages comme au début du XXe siècle, dans une société bourgeoise qui avait des loisirs et du temps. Or, […] du temps, nous en avons toujours davantage : lois de réduction du temps de travail, allongement de la durée de la vie, etc. etc. ; il se produit sans doute que, ce temps, on ne veut plus le voir passer dans une occupation prouvant que, précisément, il dure ». Le personnage Xabi Puig a écrit une œuvre fragmentaire de penseur philologue. L’auteur Charles Dantzig nous livre un roman construit de fragments qui mettent en évidence notre sensibilité contemporaine au passage du temps. Si « la forme de nos vies change la forme de nos livres », ce roman en est une illustration magnifique et réussie.
  

vendredi 25 octobre 2013

Une place à prendre de J. K. Rowling



Une place à prendre, (The casual vacancy), J. K. Rowling, traduit de l'anglais par Pierre Demarty, Grasset, 2012 et Livre de Poche, 2013.

En septembre 2012, on attendait l'auteur au tournant... En attendant la publication, le 6 novembre, chez Grasset, de L'Appel du coucou, le thriller publié sous pseudonyme (Robert Galbraith) hélas dévoilé, revenons sur Une place à prendre, le roman de J. K. Rowling qui succédait à la série des Harry Potter, et qui paraît au Livre de Poche.
   
Une place à prendre, donc. 680 pages, divisées en sept parties d’inégale longueur, toutes introduites par des extraits d’articles de L’Administration des conseils locaux, 7èmeédition. Nous sommes à Pagford, petite bourgade résidentielle du sud-ouest de l’Angleterre, limitrophe de Yarvil. Entre les deux communes, la cité des Champs, où vit une population plus que précaire. L’un des membres du conseil paroissial (assemblée qui se rapprocherait de notre conseil municipal, en France) meurt subitement. Il va falloir le remplacer. Il y a une « place à prendre ».

Dans le premier chapitre, tout de go, Barry Fairbrother succombe à une rupture d’anévrisme. Barry Fairbrother était un type bien, quadragénaire issu des quartiers défavorisés, ayant « réussi » à force de volonté et de conviction. Il défendait, au sein du conseil, une ligne sociale. Il se préoccupait du sort des précaires, il se battait pour le maintien d’un centre de désintoxication, il entraînait au lycée l’équipe féminine d’aviron. Tout le monde l’aimait. Tout le monde le pleure.

Le roman de J. K. Rowling est tout entier centré sur les personnages, et sur leur psychologie. Et ils sont nombreux, les personnages, répartis sur plusieurs générations – de l’arrière-grand-mère à l’enfant de 3 ans et demi – et sur plusieurs familles, ou groupes. Il y a ceux de Pagford : les Mollison (l’épicier, son épouse, son associée, son fils et sa belle-fille, ses petites-filles) ; les Price (l’employé à l’imprimerie, son épouse l’infirmière, leurs deux fils) ; les Wall (le proviseur-adjoint du lycée, son épouse la conseillère d’orientation, leur fils) ; les Jawanda (le chirurgien cardiaque, son épouse la généraliste, leurs trois enfants) ; l’assistante sociale et sa fille, la veuve Fairbrother et le meilleur ami de son défunt mari… Il y a ceux des Champs : Terri la toxico, sa fille de 16 ans, son petit garçon de 3 ans et demi, ses dealers, une de ses sœurs, sa grand-mère… Toute une population qui se croise et se déteste, se jalouse et se fréquente, fait alliance/allégeance ou se fait la guerre, une guerre larvée, jamais ouverte. Le tableau est absolument désespérant. Tous les personnages sont noirs, au mieux gris foncé, torturés, mesquins, petits et bas, vils, à peine calculateurs. Les rares personnages qui auraient pu ensoleiller ce paysage psychologique sont délibérément écartés de l’histoire – les deux aînés des Jawanda, par exemple, et leur père, si beau, si séduisant, si détaché.

Dans le roman de J. K. Rowling, le monde n’existe pas en dehors de Pagford et de Yarvil. Nous sommes dans une société autocentrée, autistiquement repliée sur elle-même. Londres est bien loin, on n’y va pas. Ou alors on l’a quittée – l’assistante sociale londonienne est venue s’enterrer à Pagford pour des raisons sentimentales. Lorsque le beau Jawanda propose à son épouse de faire le voyage à Amritsar, celle-ci balaie le projet d’un revers de main. Les personnages sont tous enfermés, pour ne pas dire emprisonnés. Ainsi Fats Wall, le fils du proviseur-adjoint, porte-t-il « son uniforme scolaire avec le dédain du prisonnier ».

Le lycée est un degré de plus dans ce repliement. Les adolescents s’y retrouvent tous, qu’ils viennent de la cité des Champs ou des zones résidentielles de Pagford. Mais au lycée, on a mis en place un enseignement par groupes de niveaux : on n’est plus enfermé dans son quartier ou dans sa classe sociale, on est parqué différemment selon ses capacités scolaires. Certains savent à peine lire. Les adolescents – ils ont 16 ans, sont tous, ou presque, moches, acnéiques, dégingandés, une fille est disgraciée par une moustache – traînent tous avec eux les problèmes de leurs parents. Et les problèmes ne manquent pas : violence, hystérie, alcoolisme, envie et jalousie, racisme, addiction à l’héroïne, tendances pédophiles… Les adolescents essaient de se débattre, mais c’est peine perdue. Le résultat est effrayant. Automutilation, par exemple. Pornographie sur internet. Certains tombent amoureux, mais le romantisme est une notion qui leur échappe, ou qui leur semble une faiblesse. Ils baisent. Ils veulent baiser. Ce ne sont pas les sentiments qui les préoccupent, mais le bouillonnement de leurs hormones, qui fait écho au bouillonnement des rancœurs et désirs de pouvoir de la génération qui les précède. Ils ne peuvent communiquer avec aucun adulte, ils n’ont aucun modèle sur lequel se projeter. La seule figure charismatique et bienveillante de ce monde clos était Barry Fairbrother, et il est mort. Et comme ils ne peuvent pas communiquer avec les adultes, ils passent par les moyens contemporains de communication, ils postent sur un forum internet des dénonciations calomnieuses sur leurs propres parents, qui vont attiser de plus belle les rivalités, qui vont mettre en évidence les farces et les mensonges qui régissent la vie de la petite bourgade « tranquille ».

Le personnage principal d’Une place à prendre est sans doute la jeune Krystal. Elle vit dans la cité des Champs avec son petit frère et sa mère camée. Elle parle un langage ordurier, immanquablement sexué. Elle a de la force, de la volonté. Elle est lucide. Elle porte tout, toute seule. Elle sert de mère à son petit frère. Elle joue la provoc’. Elle est désespérée. Elle est vivante, terriblement vivante, mouvante. Alors que les garçons ne savent que se réfugier dans leur chambre-grenier ou dans une grotte au-dessus du fleuve, Krystal est une fille d’extérieur. Elle est insupportable, aussi, pas forcément attachante, rebelle, prisonnière comme les autres, mais consciente du carcan qui l’enserre.

La lecture d’Une place à prendre est épuisante et fascinante. Épuisante parce qu’on aimerait parfois respirer, sortir de Pagford, des Champs, prendre de la hauteur, du recul. Le texte ne le permet pas. Fascinante parce que lorsqu’on croit avoir touché le fond – le fond de la mesquinerie, de la misère sociale ou psychologique – le texte nous entraîne vers d’autres abysses, qui à leur tour en cachent d’autres… Épuisante et fascinante parce que la mise au point du texte est toujours focalisée sur les blessures, les faiblesses et les hargnes. C’est un parti pris délibéré. Une place à prendre n’est pas un roman réaliste, même si on peut y trouver des relents – pas les plus ragoutants – d’une certaine réalité, de notre réalité. Une place à prendre ne tient pas du constat, ni social ni politique, car on n’y discerne aucune mise en perspective, et très peu d’allusions à la situation présente, à l’actualité (1).Une place à prendre est sans doute une exploration réussie des bas-fonds, terme générique qui pourrait englober ici une misère à la fois sociale et psychologique. Mais il n’y a dans ce roman aucune dénonciation, au fond. Aucune revendication politique ou sociale – ces mêmes dénonciations ou revendications que l’on trouvait chez Dickens ou chez Eugène Sue. Les candidats au poste laissé vacant par la mort de Barry Fairbrother intriguent plus pour eux-mêmes que pour leurs idées ou idéaux, dans la mesure où ils en ont, d’ailleurs.

Difficile de dire si Une place à prendre est un bon ou un mauvais roman. C’est, en tout cas, un roman bien construit, qui dénote un savoir-faire certain. Cela est nécessaire, mais pas suffisant. Il manque une étincelle, au moins une. Une lueur d’espoir. Ou de révolte. Ou de simple mise à distance, par le ton, l’angle d’attaque. Mais non. Le lecteur reste dans la nuit, comme les personnages. Ni comédie, ni tragédie, ni tragi-comédie. Un simple roman désespérant. Dans lequel on ne décèle aucune profondeur symbolique. Les personnages ne sont que ce qu’ils sont, vraisemblables, au mieux, ou au pire. Mais sans portée cathartique.

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(1) Une seule incise, peut-être : « La crise obligeait les administrations locales à dégraisser, retrancher, redistribuer. Certains, parmi les caciques du Conseil communal de Yarvil, voyaient déjà l’avantage électoral qu’ils pourraient tirer de l’effondrement de la petite cité, laquelle risquait de subir de plein fouet les mesures d’austérité imposées par le gouvernement ».

mercredi 23 octobre 2013

Surprise 2 - Guillaume Musso

Quand un écrivain rencontre son héroïne


NB : cet article a été rédigé et publié une première fois, en mars 2011. Je ne change rien au texte, mais je signale dans les notes les liens qui ont disparu du web (hélas, dirais-je, car les propos – que je cite –  étaient succulents… Ces liens ont été rompus peu après la première mise en ligne de l’article). 

(Guillaume Musso) comparé à (Marc) Levy,
c’est quasiment du Victor Hugo
(même si, comparé à Hugo,
c’est bien du Levy)  - Pierre Jourde (1)
      

La Fille de papier (2) est le dernier opus en date de Guillaume Musso. En tête des ventes, ex-æquo ou à peu près avec les écureuils de Katherine Pancol. À chaque jour sa peine suffisant, nous ne nous pencherons que sur le premier best-seller. Et nous verrons bien dans quel état nous en sortirons. Il s'en murmure des choses, sur Musso. Il s'en hurle, aussi. On se pâme ou l'on trépigne. Nous commençons la lecture sans a priori, ou presque (avouons-le tout de même, nous partageons souvent les vues de Pierre Jourde).

Le titre résonne en écho à un autre titre : Une veuve de papier, de John Irving (3). C'est juste un écho, fugitif. Parce que le thème du roman de Musso n'est pas celui du roman d'Irving. Le thème du roman de Musso, on n'a pas pu y échapper, on a entendu les publicités à la radio, on a lu les résumés dans les journaux, on a vu les placards sur les kiosques... Bref, on sait que le personnage principal, un écrivain à la dérive, va se retrouver face à l'incarnation d'un de ses personnages féminins. On a déjà lu ça, sous la plume de l'Espagnol Miguel de Unamuno, par exemple, où la rencontre entre le créateur et le personnage - personnage masculin - donnait des pages magnifiques sur le libre-arbitre (4). L'écho devient sirène hurlante, surtout, si l'on songe au roman Le Cabinet noir de Peter Straub (5), roman dans lequel le personnage féminin de Willy débarque dans la vie de son créateur, l'écrivain Tim Underhill. 

Ouf ! Alors Musso, c'est ça ? La lecture en est épuisante. Le prologue, par exemple, qui se donne des airs de générique - voire de pré-générique : fausses coupures de presse avec titres en gras, points d'interrogation, d'exclamation, guillemets ; copies d'e-mails ; « entracte » de narration commençant par « vous avez certainement déjà vu cette vidéo... » (Qui ça « vous » ? Nous ? Lecteurs ?)

Le chapitre 1, sous l'égide-exergue de Pavese, s'ouvre sur trois lignes de dialogue et une ligne de narration, puis une indication pseudo-scénaristique : « Malibu - Comté de Los Angeles, Californie - Une maison sur la plage ». Le titre du chapitre étant « la maison sur l'océan », le décor est planté lourdement - bien que de manière allusive -, de façon redondante, pour ne pas dire pléonastique. On retrouve souvent ce dispositif (titre du chapitre - exergue - paragraphe - indications de lieu et parfois d'heure) dans le roman, sans que l'on puisse dégager la logique de son utilisation ou de sa non-utilisation. De la même façon, le passage d'une narration à la troisième personne à une narration à la première personne, s'il est explicable dans les scènes où le personnage principal, Tom Boyd, n'apparaît pas, est curieux dans les scènes où il est au cœur du récit. La fatigue provoquée par la lecture ne naît pas forcément du changement de narrateur. La fatigue naît de l'incompréhension de l'utilité de ce changement de narrateur.

Elle naît aussi, la fatigue, d'une typographie, d'un dispositif typographique, qui se veut, peut-être, moderne, ou ludique. Passons sur le prologue, dont nous avons déjà parlé. Au début du chapitre 6, page 59, trois lignes sont tout à coup imprimées dans une police qui rappelle les caractères des vieilles machines à écrire. Pages 76-77, 121-122, 173, 235-236, 247-249, 262, on trouve des passages en écriture manuscrite, écriture différente selon les scripteurs. Autre effet visuel : pages 85-86 la sonnerie insistante de la porte est rendue par un, puis deux, puis trois DRING tremblotés, alignés à droite, qui s'apparentent à de la typo de bande dessinée. Effet bande dessinée renforcé par les hurlements de Milo ou de Carole (pages 86-87 et 108) en gras, majuscule, non justifié, dans la typo d'Astérix. Le lecteur peine à comprendre l'utilité d'un tel artifice. Comme il peine à comprendre pourquoi, pages 192-193 et 328 les SMS apparaissent graphiquement dans la page tels qu'ils apparaissent sur l'écran d'un iPhone - on nous épargne tout de même la couleur d'arrière-plan. Ces « trucs » se veulent sans doute « modernes », rajoutent de la technologie contemporaine au bling-bling d'arrière-plan, ou de premier plan, et visent à créer, peut-on penser, un effet « cinéma », puisque visuel. La cerise trop confite sur ce gâteau au glaçage trop sucré étant les petites notes de musique flottant autour des paroles des chansons citées dans le texte, quand les personnages écoutent de la musique en voiture (pages 97 et 135). Remarquons que les paroles de chansons sont présentées plus sobrement lorsqu'elles sont entendues dans d'autres endroits - au restaurant, par exemple, page 212. Visiblement, l'ajout des petites notes de musique flottantes a donc été pensé. Pensée aussi la transposition graphique des bavardages de Billie, le personnage féminin : taille de la police s'amenuisant ligne à ligne jusqu'à l'illisibilité. Répétons-le : typographiquement, ou graphiquement tout court, la lecture de ce livre est épuisante.

Pour l'instant, nous n'avons pas encore parlé de ce que l'on y trouve, dans ce texte. Eh bien, ce qui frappe en premier lieu, c'est qu'on y trouve force mentions de marques, de noms de célébrités, d'écrivains, de peintres... Regardons de plus près. Nous en avons dressé la liste - à peu près complète, sous bénéfice d'inventaire :

Les marques et les enseignes : Vicodin, Valium, Xanax, Zoloft, Stilnox, Spago (restaurant), Anisette (restaurant), Ray-Ban (présision : Wayfarer), Bugatti (précision : Veyron Sang Noir), iPhone, amazon.com, facebook, twitter, Starbucks, Balmain, Burberry, sac Birkin (Hermès, non précisé, car allant de soi...), jean Notify, chaussures Louboutin, Super Glue, Dunhill (cigarettes), Dodge, Carte Platinium, montre IWC Schaffhausen (précision : modèle « la portugaise »), Mercedes, Ford (modèle Crown), Samsonite, google.maps, Chevrolet, Dom Pérignon, Rolls Royce, Harley (sans la mention Davidson), mouton-rothschild, Nokia, Lexus, Fiat (modèle 500), Mini Cooper, Corvette, 24 Market, Power book 540c, Aquafresh, Cristal Champagne, BlackBerry, château-latour (1982), Château-Margaux (1990), chemise Abercrombie, iPod, Plymouth (modèle Fleury), Clio (sans la mention du constructeur Renault), DS (sans la mention du constructeur Citroën), Ducati, Glock (précision : 22), Walmart, Volvo, People magazine, Vanity Fair, Variety, Le Parisien.

Les personnalités citées (6) :
Littérature : Dan Brown, Stieg Larsson, Proust, Harry Potter, Elie Wiesel, Platon, Stephen King, Maupassant, Nerval, Artaud, Virginia Woolf, Cesare Pavese, John Kennedy Toole, Hemingway, Dorothy Parker, Balzac, Truman Capote, Carlos Ruiz Zafón, Apollinaire, Jane Austen, Schopenhauer, Paulo Coelho, Soljenitsyne, Shakespeare, Malcom Lowry, Albert Camus, James Ellroy, Dickens, Stendhal, Tolstoï, Anna Karénine, Ariane et Solal, Sénèque, Georg Willem Friedrich Hegel, Jean-Paul Sartre, Umberto Eco, Voltaire, Verlaine, Racine, Oscar Wilde, Steinbeck, Salinger, Henry Higgins et Eliza Doolittle (deux personnages du Pygmalion de G. B. Shaw), Keats, Shelley, Faulkner, Scott Fitzgerald, Conan Doyle, Emily Dickinson.

Peinture, sculpture, photographie : Chagall, Camille Claudel, Nicolas de Staël, Robert Ryman, Magritte, Marie Laurencin, María Izquierdo, Rufino Tamayo, Peynet, Delacroix, Picasso, Andy Warhol, Richard Long, Doisneau.

Musique : John Lennon, Miles Davis, John Coltrane, Philipp Glass, les Rock Bottom Remainders (groupe de rock composé d'écrivains reconnus - Stephen King, Scott Turow,... cf. p.55), Nirvana, Red Hot Chili Pepers, Amy Winehouse, Lou Reed, Kurt Cobain, Ottis Redding, Mozart, Pete Doherty, Stan Getz, João Gilberto, Black Eyed Peas, Jean-Sébastien Bach, Rolling Stones, Bob Dylan, Sinatra, Carlos Santana, Enrique Iglesias, Elvis (non précisé : Presley), Martha Argerich, Chopin, Beethoven, Bono, REM, Dr Dre, Snoop Doggy Dog, Tupac, Prince, Sinéad O'Connor, Robbie Williams, James Blunt, Dean Martin, Anna Netrebko, Melody Gardot, Prokofiev, Norah Jones, Nina Simone, Jim Morrison, Léo Ferré.

Cinéma et Télévision : Keira Knightley, Adrian Brody, Spielberg, Malkovitch, Jack Nicholson, Michael Douglas, Marylin Monroe, John Cassavetes, Brangelina (Brad Pitt et Angelina Jolie), Brad Pitt, Jeff Bridges, Benicio del Toro, jardinier sexy de Desperate Housewives (non nommé), Betty Boop, Ava Gardner, Marlene Dietrich, Peter O'Toole, Dr House et Hugh Laurie, Robert Pattinson, Kristen Stewart, capitaine Kirk, inspecteur Colombo, Teresa Lisbon, Tim Burton, Truffaut, Quentin Tarantino, Martin Scorsese.

Autres : Madoff, Chapmann, Coronelli, Gandhi, Edgar Hoover, Ayrton Senna, Eisenhower, Kennedy, Les Dogers, les Yankees, Claudia Schiffer, Magic Johnson, Cristiano Ronaldo, Mike Tyson, Marie-Antoinette, Albert Einstein, Obama, le dalaï lama, Balanchine, Zinedine Zidane, Youri Djorkaeff, Rodney King, Reagan, Bush (non précisé : père), Kate Moss.

Avouons-le, cela fait tout de même beaucoup de monde. La recension, hors contexte (contexte ?) s'avère parfois savoureuse. On y trouve aussi bien Dan Brown que Sénèque, le dalaï lama que Cristiano Ronaldo, Marie-Antoinette que l'inspecteur Colombo. Mais soyons honnête, s'il y a beaucoup de monde, ce n'est que du beau linge. Autant de noms et de marques dans un texte de 378 pages relève de ce que nous appellerons, sans ironie, le style. Inutile de s'embêter à décrire un bellâtre quand il est si simple de dire qu'il a « un sourire Aquafresh » et une « barbe à la James Blunt ». Le lecteur visualise immédiatement l'image à partir de la publicité et du chanteur - et fait l'économie de l'imagination, puisqu'on lui sert les images toutes mâchées. L'écrivain, pour sa part, fait l'économie de l'imaginaire.

Les citations placées en exergue flattent le lecteur autant que l'écrivain. On trouve : Henry Miller, Margaret Atwood, Cesare Pavese (3 fois), Richard Brautigan, Jacques Brel, Emily Brontë, Alec Covin, Friedrich Nietzsche, Stephen King (2 fois), Lou Andreas-Salomé, Nancy Huston, un Anonyme, Tim Burton, Dylan Thomas, Quentin Tarantino, Serge Gainsbourg, Victor Hugo, Balzac, Randy Pausch (2 fois), Paul Morand, Victoria Ocampo, Octavio Paz, Dorothy Parker, Chuck Palahniuk, Stephan Zweig, Françoise Sagan (2 fois), Elsa Triolet, Romain Gary (2 fois), Martin Luther King, Harper Lee, Christian Bobin, Jerome K. Jerome, Marlene Dietrich, Milan Kundera (7). À nouveau, que du beau linge. Comment ne pas se sentir aspirés vers le haut par quelques noms prestigieux - Brontë, Einstein, Dylan Thomas, diable ! La citation anonyme « les amis sont les anges qui nous soulèvent lorsque nos ailes n'arrivent plus à se rappeler comment voler » semble sortir tout droit d'un carnet d'adolescente, ou d'une compilation en ligne. Si l'on tape la citation dans Google, on s'aperçoit que le moteur de recherche donne 1 050 000 résultats (c'est-à-dire le nombre de pages web dans lesquelles la citation apparaît). Parmi ces résultats, le site www.poesie-citation.fr. Mais nous ne faisons pas de procès d'intention, et ne suggérons même pas que les autres extraits cités en exergue sortent d'un dictionnaire des citations. Après tout, si autant de personnes connaissent la formulation « les amis sont les anges... » et l'utilisent dans leur blog, il est normal que Musso la connaisse aussi, l'ait connue aussi, et l'insère dans son roman, d'autant plus que son héros, écrivain, a écrit une trilogie dont le titre est La Compagnie des anges. Peut-être que tout se tient. Quoi qu'il en soit, cela a peu d'importance, et rejoint le même procédé, ou artifice, que les personnalités ou marques utilisées dans la narration : le lecteur doit se retrouver en terrain connu.

Ce « terrain connu » semble être celui du bling-bling, des people, des magazines en papier glacé. On n'a pas une montre, on arbore une IWC Schaffhausen (plus « classe » qu'une simple Rolex) ; on se déplace en Bugatti ; on ne va pas simplement au restaurant, on dîne chez Spago. Tout est à l'avenant, les chaussures, forcément, viennent de chez Louboutin ; on ne communique qu'avec des iPhone ou des BlackBerry. L'univers décrit est rassurant, jamais déstabilisant, parfaitement identifiable. Il en va de même pour les personnages, qui tous s'apparentent, de près ou de loin, à des personnages de séries : la flic latina, l'infirmière amoureuse du médecin marié, par exemple. La pianiste - elle s'appelle Aurore - qui a brisé le cœur du protagoniste est un subtil mélange d'Hélène Grimaud, de top modèle et de star du rock. Son nouveau compagnon, tennisman, a des allures de Rafael Nadal. Le décor n'est jamais planté par la description - on ne va pas s'embêter, là non plus, à décrire la plage de Malibu, car enfin, tout le monde connaît la série Alerte à Malibu -, d'ailleurs parfois il n'est pas planté du tout, le lecteur n'a que l'indication « Pacific Coast Highway - South Bay, L.A. - 2 heures de l'après-midi », comme dans un script. On pourrait remplacer « 2 heures de l'après-midi » par « extérieur jour ». Ce « terrain connu » qui ne nécessite ni digression descriptive ni précision psychologique est bien entendu basé sur le cliché. Dans ce livre, le lecteur n'apprend rien, il reconnaît. Ce qui rend la lecture aisée, rapide, rassurante. La littérature n'est pas faite pour rassurer le lecteur, elle se doit au contraire de le bousculer, nous semble-t-il. Mais tout cela n'est pas bien grave. La Fille de papier est un livre, disons même un roman. Rien ne prouve vraiment qu'il entre dans la catégorie « littérature ».

Tom Boyd, le personnage de Guillaume Musso, est donc écrivain. Dans le roman, il parle parfois de son travail, de la façon dont il élabore ses textes, des endroits où il les écrit. Ainsi, à la page 83, Tom Boyd explique-t-il : « pour être en totale empathie avec mes "héros", j'avais pris l'habitude d'écrire pour chacun d'eux une biographie détaillée d'une vingtaine de pages. [...] Les trois quarts de ces indications ne se retrouvaient pas dans la mouture finale du livre, mais cet exercice faisait partie du travail invisible qui permettait que se produise l'alchimie mystérieuse de l'écriture ». Ah ! L'alchimie mystérieuse de l'écriture ! Guillaume Musso possède un blog. Dans la rubrique « vos questions » (8), sous l'item « quelle est votre méthode de travail ? » on trouve cette réponse : « je travaille beaucoup sur les personnages en faisant des fiches biographiques très détaillées. Même si les trois quarts de ces renseignements ne se retrouveront pas dans le livre, j'ai besoin de connaître parfaitement mes personnages pour rentrer en empathie avec eux et pour qu'au cours du processus d'écriture se produise cette alchimie mystérieuse qui va faire naître l'émotion ». Outre que ce sont là les conseils (faire des fiches détaillées sur les personnages) donnés par nombre de manuels d'écriture scénaristique américains, on constatera que, pratiquement mot pour mot, le romancier place dans la bouche de son personnage les phrases de son blog. Deux explications possibles à cela : soit Guillaume Musso est réellement en « empathie » avec son personnage Tom Boyd, à un point tel que « l'alchimie mystérieuse de l'écriture » aboutit à l'écholalie ; soit lorsqu'il affirme dans la même page de son blog qu'il « travaille d'arrache-pied », il ment, au moins en ce qui concerne le passage cité plus haut, qui n'est qu'un copier/coller.

Restons un instant encore sur l'écrivain au travail. Dans la même page de son blog, à la question multiple « Avez-vous des habitudes d'écriture ? Où travaillez-vous ? Dans le silence ou en musique ? Sur ordinateur ou sur papier ? », Guillaume Musso répond : « J'essaie de travailler de partout : bureau, TGV, avion. J'ai d'ailleurs remarqué que beaucoup de mes idées me venaient dans les aéroports ou à l'étranger. Mais c'est vrai que le gros du travail d'écriture - celui qui fait mal - s'effectue souvent entre 22h et 3h du matin, lorsque la vie s'arrête autour de vous (9). J'écris mes chapitres les uns après les autres, sur ordinateur - toujours sur un Mac et avec un traitement de texte configuré d'une façon très précise - puis de longues corrections sur papier puis à nouveau sur ordinateur et ainsi de suite. Il y a autant d'aller-retour que nécessaire. Parfois, lorsque rien ne vient, j'achète un cahier d'écolier comme au bon vieux temps pour provoquer une déstabilisation, un électrochoc ». Passons sur la configuration très précise du traitement de texte, dont on se demande si elle tient seulement, comme chez tout un chacun, au calibrage de l'interlignage, des sauts de paragraphes, de la police et des marges, ou bien si elle procède d'un réglage savant et hermétique, réservé aux initiés, qui conduit à la « mystérieuse alchimie de l'écriture ». Tom Boyd, le personnage de Musso, a les mêmes habitudes que son créateur. On apprend page 44 qu'il écrit à l'ordinateur (10) ou sur des cahiers d'écolier, et qu'il peut travailler partout, à la terrasse d'un café ou « sur les sièges inconfortables des avions ». Ainsi, presque souterrainement, et pour qui se donne la peine d'aller lire le blog de Musso, le personnage de l'écrivain se confond-il avec l'écrivain lui-même. Dans le roman, Tom Boyd est le seul à ne pas être défini - on n'ose écrire « élaboré » _ à partir de modèles people ou artistiques. C'est qu'il est le clone, au moins dans sa façon de travailler et d'envisager ses textes, de l'auteur. Page 146, dans la chambre d'un motel mexicain, Tom Boyd trouve une traduction espagnole de son roman (11). « Je feuilletai [l'exemplaire] avec curiosité. La personne qui l'avait lu avait pris soin de souligner quelques phrases et d'annoter certaines pages. Je ne saurais dire si ce lecteur avait aimé ou détesté mon texte, mais en tout cas l'histoire ne l'avait pas laissé indifférent et c'est ce qui comptait le plus pour moi ». La satisfaction du personnage peut être mise en parallèle, là encore, avec les propos de l'auteur sur son blog : « En choisissant notre livre parmi beaucoup d'autres, le lecteur nous accorde sa confiance et le moins que l'on puisse faire est de ne pas le décevoir. [...] Le moment où l'écriture devient un plaisir, c'est à la fin, quand le livre est là et que les lecteurs viennent me dire qu'ils se sont reconnus dedans. Comme cette dame qui m'a envoyé un message pour me dire qu'elle a emmené le livre à son travail pour le lire pendant sa pause, ou cette lycéenne qui m'a avoué qu'elle ne lisait jamais mais que mon livre, elle l'avait fini en cachette en classe ».

À présent, intéressons-nous à l'histoire. Que raconte La Fille de papier ? L'intrigue tourne autour de quatre personnages : Tom Boyd, l'écrivain ; Milo Lombardo, son agent ; Carole Alvarez, flic au LAPD, arrivée aux États-Unis de son Salvador natal à l'âge de neuf ans ; Billie Donelly, infirmière, personnage de Tom Boyd. Tom, Milo et Carole sont amis d'enfance, ils habitaient le même quartier difficile, et ont eu une jeunesse chaotique : Milo a fait de la prison, Carole était violée par son beau-père, Tom a tué le beau-père de Carole sans être inquiété - le meurtre ayant eu lieu pendant les émeutes de Los Angeles, on n'a pas poussé l'enquête. Tom a fait fortune en publiant La Compagnie des anges, le roman qu'il avait inventé et qu'il racontait à Carole pour la réconforter, durant leur adolescence. L'éditeur de Tom décide de sortir une édition spéciale du roman, un tirage de luxe, mais les 100 000 exemplaires sont défectueux : à partir de la page 266, il n'y a que des feuillets blancs. Le texte s'arrête au beau milieu des supplications de Billie, « Je t'en supplie ! hurla-t-elle en tombant », sans ponctuation. C'est l'explication de l'apparition de Billie dans la vie réelle de Tom : « c'est chez vous [= chez Tom] que je suis tombée ». Au moment de l'apparition de Billie, Tom est dans une mauvaise passe, bien plus mauvaise encore que ce qu'il croyait. La femme qu'il aimait, la pianiste Aurore Valancourt, l'a laissé tomber pour un tennisman. Tom, désespéré, ne peut plus écrire, et peaufine sa déprime avec des cocktails de médicaments. Pour couronner le tout, l'affaire Madoff a ruiné l'écrivain, à son insu : son ami et agent Milo Lombardo a fait de mauvais placements, les caisses sont vides, les huissiers ne vont pas tarder.

Voilà pour la trame. Ne boudons pas notre plaisir, il y a de très bonnes idées dans ce livre. Citons-en deux : Billie tombe malade. Page 217 on peut lire : « Avec douleur, elle régurgita une pâte épaisse et visqueuse avant de s'écrouler sur le sol. Mais ce que je voyais n'était pas du vomi. C'était de l'encre ». Le chapitre 24 se termine sur ces phrases, et c'est assez réussi. Il faut dire que jusque là, c'est-à-dire un peu plus de la moitié du roman, Billie n'a pas été traitée littérairement selon son « statut » de personnage fantastique. Rien ne la différencie, dans son attitude, dans ses dialogues, d'une jeune femme réelle. Et Tom, le personnage de Tom, la traite également comme une jeune femme réelle. L'action est menée sous l'angle de la comédie, avec chamailleries, péripéties sur la route, scènes sentimentales, sans que le motif fantastique soit véritablement exploité, ou tout au moins sans que la supercherie - car il s'agit d'une supercherie, Billie est une jeune femme bien réelle qui a été embauchée pour que Tom se remette à écrire et comble ainsi ses déficits - fasse du lecteur un complice et du personnage de Tom une victime candide. Imaginer que la jeune femme vomisse de l'encre, ça c'était une jolie trouvaille. La deuxième bonne idée du roman que nous signalerons, c'est l'utilisation des feuillets vierges de l'édition défectueuse. Il ne reste qu'un exemplaire en circulation, les 99 999 autres ont été détruits par l'éditeur. Cet exemplaire fait le tour du monde, au vrai sens du terme, il passe entre les mains de différentes personnes, est trouvé dans une poubelle, revendu sur Internet, oublié dans un avion, laissé volontairement sur une étagère de brasserie, jeté dans la Seine... Les personnes qui l'ont en main utilisent les feuilles vierges pour y écrire des recettes de cuisine, pour y coller des photos. Le périple effectué par l'unique exemplaire rescapé est traité en parallèle avec le séjour en hôpital de Billie - la jeune femme a vomi de la fausse encre, mais souffre d'une maladie cardiaque bien réelle, et sa vie est en jeu.

La confrontation personnage/créateur, dans le roman de Musso, se résume à un scénario de mauvais téléfilm. Comme nous l'avons vu plus haut, les artifices de la narration plongent le lecteur dans une ambiance bling-bling et superficielle qui ne provoque aucune émotion. Le chapitre 35, à cet égard, est assez exemplaire : sur sept pages et demie, on y trouve neuf scènes différentes, bien délimitées par des étoiles ou des indications du genre « Hôpital Marie-Curie - 8h 10 ». L'écriture cinématographique a ses limites. Dans ce chapitre, on passe de l'hôpital aux quais de Seine, pour revenir à l'hôpital puis aux quais de Seine, pour ensuite, sous la mention « Puis les jours défilèrent... » faire un tour à l'hôpital pour prendre des nouvelles de Billie, retrouver Milo fouinant chez les bouquinistes, atterrir dans un atelier monastique, revenir à l'hôpital, et voir Tom mettre le point final à son roman. Un tel traitement de l'intrigue laisse peu de place à l'élaboration de la phrase. On n'en est plus à s'occuper des subordonnées, ni même, paradoxalement, du rythme. On fait dans l'efficace, ou plutôt dans l'utile : « De retour au quartier général de la Brigade fluviale, le lieutenant Capella s'occupa de vider la vedette avant de passer au nettoyeur haute pression. Il récupéra l'enveloppe à bulles gorgée d'eau comme une éponge. Elle contenait un livre en anglais qui semblait dans un sale état. Il était sur le point de le balancer dans la benne à ordures lorsque, se ravisant, il décida finalement de le déposer sur le quai ».

Nous n'avons pas parlé de l'écriture elle-même, si ce n'est pour mentionner le passage étrange d'un narrateur à l'autre, lorsque Tom est au centre du récit. Le roman est écrit au passé, dans une alternance rigoureuse de passé simple et d'imparfait. L'imparfait du subjonctif est évincé au profit du présent du subjonctif, comme il est de règle presque uniformément dans la littérature contemporaine de langue française. On notera toutefois deux résurgences archaïques pages 52-53 : « bien qu'il refusât de l'admettre » et « faisant mentir le principe qui voulait que l'on ne quittât pas la Mara ». Quelques scènes du roman sont des flashbacks, pour garder la terminologie cinématographique. Ces scènes-là sont écrites au présent, preuve que l'auteur s'est posé la question de la temporalité, et de l'effet de style. Dans un téléfilm, on peut raisonnablement penser que les scènes au présent seraient tournées en noir et blanc, pour le même effet de style. Du point de vue de l'expression, on regrettera de trouver page 138 « ma confrère » (qui ne peut être qu'une coquille) et page 142 « bon an mal an notre guimbarde nous mena jusqu'à l'immense poste-frontière qui permettait de passer à Tijuana » (même dans une « gimbarde », il ne faut tout de même pas des années pour se rendre de San Diego à la frontière mexicaine). Quelques précisions inutiles auraient pu être évitées : « Le nom de l'hôtel - La Puerta del Paraíso - promettait une porte donnant sur le Paradis », et les indications de vitesse auraient pu respecter les normes américaines (12).

Quant au style lui-même, il évite soigneusement tout recours à la métaphore. On décrit les actions, peu les sentiments, encore moins les paysages. La narration tient du constat. La métaphore, on le sait, différencie le texte littéraire du simple rapport, qu'il soit de police ou de stage. « Quand dans un article consacré à Flaubert, Proust écrit : "Je crois que la métaphore seule peut donner au style une sorte d'éternité" _ il faut à mon sens entendre que l'éternité est un style, c'est-à-dire une vision cohérente et exprimée dans une langue d'une cohérence renouvelée du réel, et que ce style a pour moyen et instrument la métaphore » (13). On cherchera vainement chez Musso une « cohérence renouvelée du réel ». Si l'intrigue a des allures fantastiques - mais on ne va pas au bout de l'idée, Billie est bel et bien de chair, c'est une femme, et non un personnage de roman intégré dans un roman - la réalité décrite et écrite est platement réelle, indiscutablement réelle, abominablement réelle. C'est le règne du cliché, du raccourci people. Même pas du clinquant. Du pur et simple bling-bling.

 *
   
2 Guillaume Musso, La Fille de papier, XO Éditions, 2010.
3 John Irving, Une veuve de papier (A widow of one year), Traduction de Josée Kamoun, Seuil, 2000.
4 Dans le roman de l'Espagnol Miguel de Unamuno, Niebla, paru en 1914, le personnage Augusto Pérez vient demander des comptes à son créateur Unamuno lui-même.
5 Peter Straub, Le Cabinet noir (In the night room), traduction de Michel Pagel, Plon, 2007.
6 Les noms sont compilés tels qu'apparaissant dans le texte, avec ou sans le prénom. Les personnages fictifs sont traités comme des personnalités. L'indication entre parenthèses concernant les personnages de Shaw est donnée dans le roman en note de bas de page. Idem pour le groupe de rock Les Rock Bottom Remainders.
7 Exergues au début du roman et en tête du prologue et des trente-neuf chapitres. Le chapitre 9, intitulé « épaule tatoo »ne comporte pas d'exergue, Musso n'a pas cédé à la facilité de citer les paroles de la chanson d'Etienne Daho.
8 http://www.guillaumemusso.com/-Vos-questions- (NB : lien rompu. Le site de G. Musso a été remanié).
9 Il semblerait que les réponses du blog servent non seulement de base à l'écriture du roman, mais aussi de réservoir pour la campagne publicitaire. Ces propos sont repris pratiquement mot pour mot dans les spots radio, qui tous sont centrés sur la personnalité de Musso, et non sur la teneur du roman lui-même.
10 Plus loin, on apprend que le premier ordinateur de Tom Boyd était un Power book 540c, offert par son amie Carole.
11 Il trouve également dans la chambre un exemplaire en espagnol de L'Ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón, preuve, s'il en était besoin, que les livres de Tom Boyd ont autant de succès que ceux de l'auteur espagnol, et se hissent à leur hauteur.
12 « 170 km/h dans une zone limitée à 90 », p. 128.
13 Jean Blot, Le Roman, poésie de la prose, Champion, 2010, p. 48-49.

mardi 22 octobre 2013

Revue Brèves n°102 - Un rêve sans fin


Le Rêve sans fin, nouvelles réunies par Hubert Haddad, Revue Brèves n°102, éditions PNL, été 2013.
    
Il serait fastidieux d’énumérer le contenu de chacune des vingt et une nouvelles qui composent le recueil. En effet, cet artifice n’éclairerait pas le lecteur potentiel sur l’ensemble, mais obscurcirait à coup sûr l’idée qu’il se fait de la lecture d’« une anthologie permanente de la nouvelle ».

« Fermez les yeux avant de les ouvrir ».
Fort de ce conseil d’André Breton, rappelé dans le texte de Frédérick Tristan, Hubert Haddad a rassemblé des nouvelles issues d’univers littéraires différents, « celles qui cinglent une bonne fois la durée charretière du roman, impliquent presque toujours suspense, humour infusible, chute dans l’exosphère, fatale irrésolution, mise sur orbite inexplorée, nouveau paradoxe de Zénon, signal Wow ! La dimension magique n’étant rien d’autre qu’un approfondissement de la réalité, sa mise en perspective fantasque, l’invention inépuisable de ce qu’elle semble être ou n’être point ».

Ecrire une nouvelle est exercice difficile car il s’agit de raconter une histoire captivante en peu de lignes, et de manier l’art de la chute. Les contraintes du genre sont nombreuses, mais hormis les deux « obligations » citées plus haut, l’auteur est libre d’emmener le lecteur où il veut. Dans les Noix de coco, Gary Victor insiste sur la liberté créatrice de l’auteur, sur la nécessité d’une inspiration non censurée, même si cette dernière est à l’origine de difficultés conjugales ! Ainsi, Hugues Simard nous emmène vers les chimères des rues parisiennes ; Tristan Félix se fait narrateur omniscient d’une journée d’été dans un quartier. Enfin, Sylvain Jouty dans Sauver ma peau, narre les mœurs étranges du pays de Sgurr où chaque habitant écrit son propre livre :
« Ici, chaque homme est un livre, et chaque livre est un homme ; voici pourquoi les vôtres vous ont été confisqués ».

Chaque nouvelle est découverte d’un lieu réel ou fantasmé.
  
« Ecrire c’est attiser le feu » explique Frédérick Tristan. C’est aussi emmener le lecteur vers des contrées inexplorées aux confins du fantastique et de la poésie. Dans La brocante mystique, Châteaureynaud confronte son personnage, amateur de changement et rebelle à toute forme de « vieilleries », à l’usure du temps, en lui faisant affectionner de vieux clichés.
Justement, la question du personnage est essentielle. Il faut un bon personnage pour porter une bonne nouvelle car il est seul. N’est-ce pas ce que François Coupry explique dans Le jour où j’ai su que je n’étais pas humain ?
« J’étais dans mon rôle, comme tout bon personnage de roman, tout bon acteur : un monde d’opérette ne dit-il pas de ressentir de la haine pour des terrestres qu’il doit forcément combattre dans la guerre des Etoiles ? »
Le narrateur, professeur au Centre Romain d’Etudes des Récits de l’Imaginaire se transforme peu à peu en monstre vert…
L’imaginaire est primordial dans les nouvelles de ce recueil. Il peut être un « vécu fictionnalisé » ou issu de l’imagination libre de l’auteur. Dans Effet secondaire, Eric Faye raconte l’histoire d’un homme capable d’entendre les pensées intimes des gens à cause d’une otite mal soignée. Tout savoir sur tout devient un fardeau :
« Il souffrait, nostalgique, d’un âge d’or où tout n’était peut-être que simulacre mais où la lucidité ne l’accablait pas ».
Ces voix, Faye les appelle « les serpents qui sifflent dans les égouts de l’esprit ». Elles rappellent celle du narrateur de Cendres, la nouvelle d’Anne Mulpas : un homme au chômage, en fin de droit, décide de monopoliser la parole devant l’employée de Pôle Emploi, car parler, c’est exister encore un peu :
« Je me suis éteint (…) Une extinction pure et simple quasi indolore. Je suis devenu un hommes de cendres et lorsqu’ils m’ont licencié il y a deux ans, j’ai accepté sans broncher, sans me battre pour de meilleures indemnités ».
Parler oui, mais pas de logorrhée verbale. Parler pour exorciser sa peur, pour vaincre le traumatisme. Dans Hptel, Christine Balbo met en scène Laeta Loquax, une joyeuse bavarde, la veille d’une opération bénigne. Descendue pour fumer une dernière cigarette, elle se retrouve coincée hors de l’hôpital, à passer la nuit sur l’esplanade, « parvis de cathédrale pour cour des miracles », avec des compagnons d’infortune.
Hptel, ou Hôpital Privé de l’Est Lyonnais ; le T synonyme de Trauma pour chaque patient :
« Autour du brasero chacun y alla de son histoire, véridique ou fantasmée. Les membres manquants s’étaient perdus dans la ferraille d’un accident de grue, dans un défi de rodéo de banlieue, dans un duel au cran d’arrêt, sous une machine outil ».
La force de la nouvelle c’est de convaincre le lecteur qu’il est partout chez lui et nulle part à la fois.Nowhere at home pense Hubbert Haddad qui anticipe une France avec des frontières du Sud rétablies, victime d’un accident nucléaire majeur :
« Mais l’apocalypse n’est qu’une saison du monde et le déluge, sans doute, qu’une façon d’arroser son jardin ».
  
Le rêve sans fin parle du temps qui passe, du temps passé et celui à venir. Ses personnages sont mystiques, chimériques, évanescents, parfois fous comme Efferhorn raconté par Marc Petit. Nous sommes loin des lois du roman où plusieurs personnages participent, souvent, à la narration. Tout est unique dans la nouvelle : unité de temps, d’action, de lieu, de personnage. La force du recueil est de transformer cette unicité en multiplicité sélective.

Tous les écrivains publiés dans cette livraison de Brèves développent une littérature basée sur l’imaginaire et la fiction, éloignée des carcans du réalisme ou du psychologisme. Ils incarnent une branche méprisée du « roman français ». Les réunir dans un ouvrage collectif témoigne de la volonté de changer les mentalités et d’apporter un regard neuf sur le genre. Pour cela, saluons la revue Brèvesqui, depuis 1981, soutient, diffuse et fait connaître les auteurs de nouvelles.

Article de Virginie Neufville
(son blog : Fragments de lecture)
  
Pour des raisons évidentes de déontologie,
je ne pouvais rédiger sur une livraison qui accueille une de mes nouvelles.
  

La revue sera présente au Salon du Livre d'Ozoir-le-Férrière le 26 octobre (avec Laure Fardoulis), à la Médiathèque de Villeneuve-Tolosane, dans le cadre des Métropolitaines, le 22 novembre (avec François Coupry) et au Salon de la nouvelle de Bures sur Yvette le 30 novembre (avec Jean-Marie Blas de Roblès).


dimanche 20 octobre 2013

L'agonie du papier et autres textes d'une parfaite actualité d'Alphonse Allais


    
Alphonse Allais, L’Agonie du papier, et autres textes d’une parfaite actualité, éditions Le Pont du Change, juillet 2011, 80 p.

On connaît Alphonse Allais pour ses aphorismes. Citons-en deux, peut-être les plus fameux : « Le café est un breuvage qui fait dormir quand on n’en prend pas », et « Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Être de quelque chose ça pose un homme, comme être de garenne ça pose un lapin ». Ce journaliste-écrivain de la deuxième moitié du XIXe siècle (il est mort en 1905) est l’auteur de courts textes, dans lesquels l’humour le dispute à l’absurde.

L’agonie du papier et autres textes d’une parfaite actualité est un recueil de quinze articles réunis pour leur caractère étrangement prémonitoire. On y trouve des réflexions sur la réforme de l’orthographe et la déforestation, des anticipations sur le féminisme ou les économies d’énergie. L’auteur qui, à la veille de son décès, déclarait à un ami « demain, je serai mort », semblait avoir prévu quelques évidences de notre présent.
   
Les deux textes les plus étonnants sont sans doute La marée à Paris (1905), dans lequel Alphonse Allais imagine installer à la place des fortifs « un littoral véritablement marin, admirablement aménagé pour donner l’illusion du vrai bord de la mer » et que l’on nommerait… Paris-Plage ; et Ancor la réform de l’ortograf (1900), où l’auteur suggère que l’on écrive « NRJ » pour « énergie ». Un siècle plus tard, l’humour prend des allures de prophétie. Dans les quinze textes proposés, on trouve également la suggestion du « télévote » ou vote à distance pour les députés, ce qui éviterait les va-et-vient entre les circonscriptions et la capitale ; l’idée de remplacer le papier par ce qui ressemble à des microfilms ; une réflexion sur la date véritable de l’entrée dans le siècle nouveau (en l’occurrence, le XXe, mais la question s’est reposée en l’an 2000, on ne l’a pas oublié) ; l’expression d’une réelle inquiétude quant à la disparition des forêts à cause de la production intensive de papier. Dans les quinze textes de ce recueil, on trouve bien d’autres choses surprenantes encore.
  
Alphonse Allais n’était pas devin. Ces quinze petits textes ont été regroupés dans ce recueil car ils résonnent singulièrement à notre propre époque. Mais l’angle d’attaque est toujours celui de la dérision, de l’humour absurde. Sa plume, Allais l’affute en observant son propre temps, la Belle Époque, et non en se dressant comme un Nostradamus. Le résultat n’en est que plus réjouissant. Ce recueil met en évidence, sous l’humour et la dérision, une force d’imagination détonante, un refus de l’immobilisme, une confiance en la capacité technique et technologique des temps à venir. Alphonse Allais n’était pas un visionnaire, pas un futurologue (les futurologues se trompent toujours, comme les astrologues).L’Agonie du papier… montre à quel point l’imaginaire d’un écrivain peut être en avance sur la plate réalité du quotidien. Il nous appartient de dénicher, parmi les publications d’aujourd’hui (ailleurs que dans la science-fiction), celles qui nous dévoilent dès à présent les temps de demain.


samedi 19 octobre 2013

La lumière est plus ancienne que l'amour de Ricardo Menéndez Salmón



La Lumière est plus ancienne que l’amour, Ricardo Menéndez Salmón, traduit de l'espagnol par Delphine Valentin, éditions Jacqueline Chambon, septembre 2012.

Trois peintres, un écrivain, et l’auteur. Un peintre réel – Mark Rothko (1903-1970) – et deux peintres imaginés – Adriano de Robertis (1300-1400), et Vsévolod Semiasin (1925-2005). Un écrivain – Bocanegra – qui recevra le prix Nobel de Littérature et qui choisira de commencer son discours de Stockholm par ces mots : « Il y a trente ans, en 2010, quand j’étais encore jeune, j’ai publié un livre intitulé La Lumière est plus ancienne que l’amour ». Et l’auteur, Ricardo Menéndez Salmón, qui publie en 2010 en Espagne ce roman. Ces quatre – ou cinq – personnages ne se croisent pas, pas vraiment. Leurs trajectoires, pourtant, se rejoignent et s’entrelacent, sur une toile de fond qui mêle la recherche créatrice et les rapports au pouvoir et à la mort.

Adriano de Robertis, bouleversé par la liberté qu’exprimaient les dessins de son fils emporté par la peste noire, peint dans son château de Sansepolcro, en Toscane, une Vierge à barbe, que Pierre de Beaufort, futur pape, lui ordonne de détruire. Cette Virgen barbuda survivra tout de même, mais invisible, dans le donjon. Des siècles plus tard, Mark Rothko, en voyage en Italie, est frappé par « la présence physique, tangible, palpable dans l’atmosphère, du mal » tandis qu’il visite le château de Sansepolcro, à présent propriété d’une riche famille florentine, après avoir servi de cachot pendant les guerres de religion et de maison close sous Mussolini. Plus tard, le peintre Semiasin fera l’acquisition de ce château, et par là-même de la Vierge à barbe de Robertis.
  
Dans ce roman, les quatre personnages – les trois peintres et l’écrivain Bocanegra – sont confrontés à la mort, et au pouvoir. La mort, c’est celle du fils d’Adriano de Robertis – la peste –, celle de Rothko – le suicide –, celle que Semiasin côtoie durant son enfance à Stalingrad – la guerre –, celle de la seconde épouse de Bocanegra qui se meurt d’un cancer du pancréas – la maladie. La mort, dans le roman, est difficilement dissociable de l’élan créatif. Ce roman est aussi – et peut-être surtout – une interrogation sur l’art, sa nécessité, et/ou son échec. De quoi se nourrit l’art ? Chez Semiasin, par exemple, la peinture devient organique : dans ses tableaux, il inclut des fragments humains. À ce point organique, la peinture, que le peintre en arrive à dévorer, au sens propre du terme, ses tableaux : « son obsession pour l’œuvre faite chair, pour le sujet absorbé par la toile, ne fut pas le fruit d’un vent de frivolité soufflé par la liberté de l’Occident, mais avait déjà couvé dans les holocaustes de sang et de blancheur de Stalingrad, bien loin de toute tentation de frivolité » (1). Chez Rothko, l’art se nourrit de la dépression : « Qu’a peint Rothko dans la chapelle de Houston ? Peut-être les mystères d’un Dieu sévère : la douleur psychique transmuée en beauté ». Oui, l’art, sa nécessité, sa finalité, sont bien au centre de ce roman. Comme la mort.
  
Comme sont au centre, également, les rapports de l’art et du pouvoir. C’est le futur pape Grégoire IX qui ordonne la destruction de la Vierge à barbe. C’est Rothko qui, au faîte de sa notoriété, est invité par Kennedy à sa cérémonie d’investiture. C’est Semiasin, tout jeune peintre de 22 ans, qui rencontre Staline au sommet du clocher d’Ivan le Grand. C’est Bocanegra qui serre la main du roi de Suède le jour où il reçoit son prix Nobel. Art du pouvoir, et pouvoir de l’art.
  
Ricardo Menéndez Salmón nous donne ici un roman littéraire et métaphysique, qui interroge le lecteur sur la création artistique, ses fondements, ses impératifs, personnels ou politiques, humains ou transcendés, dans une belle langue, précise, souple, superbement rendue en français par Delphine Valentin. Il n’y est pas question que de peinture : la mise en abyme Bocanegra/Menéndez Salmón induit au moins un niveau de plus dans la démarche, et dans la lecture. Le texte est parsemé de correspondances évidentes – le château de Sansepolcro – ou ténues – le balancement heureux/satisfait (Bocanegra) et sérieux/heureux (Semiasin) par exemple.
  
Sans doute Menéndez Salmón continue-t-il d’explorer le Mal, comme il l’avait fait dans sa trilogie (La ofensa, Derrumbe, El corrector), mais en empruntant d’autres voies. En 2012 paraît en Espagne son dernier roman, intitulé Medusa, dont le personnage principal est un photojournaliste qui traverse le siècle dernier. Peinture, photographie…  Laissons le dernier mot à l’auteur lui-même, qui s’exprime dans un entretien au quotidien espagnol La Vanguardia : « Le siècle dernier, et ses horreurs, obligent l’art à être conscient de cette monstruosité, ou à devenir une activité sans transcendance. Ou bien l’art prend en considération l’expérience totalitaire et ses conséquences (le post-humanisme, le silence absolu de Dieu, la brutalité des politiques), ou bien il n’est plus qu’une banalité sans fondement. L’art, tout au moins celui qui m’intéresse et me bouleverse, est toujours un constat et une exhumation. Il ne nous rend ni heureux ni meilleurs, mais il nous pousse à ne pas avoir confiance, à nous sentir mal à l’aise face à nos actions et nos omissions. Moi, je renverserais la phrase d’Adorno : c’est précisément parce qu’Auschwitz a existé que la poésie continue à faire sens » (2).

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(1) la frivolité, pourtant, pour Marcel Proust, selon Mauriac, était bien un état violent.
(2) « El siglo pasado, sus horrores, obligan al arte a ser consciente de esa monstruosidad o a convertirse en una actividad intrascendente. O el arte tiene en consideración la experiencia totalitaria y sus consecuencias (el poshumanismo, el silencio absoluto de Dios, la sevicia de los políticos), o se convierte en una banalidad sin fundamento. El arte, al menos el que a mí me interesa y conmueve, es siempre constatación y exhumación. Ni nos hace felices ni nos hace mejores, pero nos impele a desconfiar, a preguntar, a sentirnos incómodos ante nuestras acciones y ante nuestras omisiones. Yo le daría la vuelta al enunciado de Adorno: precisamente porque existió Auschwitz, sigue teniendo sentido la poesía ». (C’est nous qui traduisons).

Le Correcteur de Ricardo Menéndez Salmón



Le Correcteur, Ricardo Menéndez Salmón, traduit de l’espagnol par Delphine Valentin, éditions Jacqueline Chambon, avril 2011, 130 p. 


Le Correcteur, troisième volet d’une trilogie (1) sur l’horreur du monde contemporain, est un texte court et dense ayant pour toile de fond les attentats survenus à Madrid le 11 mars 2004. Vladimir, le narrateur, est en train de corriger les épreuves des Démons de Dostoïevski lorsqu’il apprend la nouvelle. On se souvient sans doute que ces attentats, commis par un groupuscule se réclamant d’Al-Qaïda, ont été immédiatement imputés à l’E.T.A. par le gouvernement Aznar (2). Ricardo Menéndez Salmón, écrivain, éditeur, et critique littéraire, s’empare de ce mensonge pour tramer un récit sur la littérature, la paranoïa et l’absurdité. Et sur l’amour.

Vladimir est un écrivain qui a renoncé à écrire. Il a publié deux romans qui sont passés inaperçus, et en a pris son parti. Il est heureux dans son activité de correcteur, heureux dans sa vie de couple avec Zoe, une restauratrice de tableaux. Il entretient de bonnes relations avec ses parents, son éditeur, et son ami madrilène Robayna. Il vit dans le nord, bercé par l’odeur de la mer, et mène une vie calme. Les attentats du 11 mars 2004 vont l’obliger, presque malgré lui, à s’interroger plus avant sur sa propre vie, à comprendre à quel point l’amour qu’il porte à sa femme est essentiel, et à quel point cet amour est le seul rempart contre la folie du monde.

Un tel résumé ne rend que bien peu compte de la valeur de ce roman. Tout y est subtilement et intelligemment suggéré, et l’attention complice du lecteur y est sans cesse sollicitée. De la signification du prénom Zoe (qui signifie « vie ») à l’enfant caché du narrateur, du personnage de Stavroguine à l’économie de marché triomphante, de la nécessité de restaurer un tableau du XVIe siècle agressé au couteau à l’impuissance de la littérature, Menéndez Salmón établit des correspondances entre l’actualité du moment et la vie intime du narrateur qui sont la marque du très bon écrivain. En si peu de pages, on s’interroge sur le bonheur qu’il peut y avoir à renoncer à sa passion ; sur le mensonge et le non-dit ; sur l’impuissance des mots – qu’ils soient dits, écrits, ou tus ; sur les rapports filiaux ; sur la place de l’Art dans notre monde…

Les références littéraires abondent – Dostoïevski, Camus, Coetzee, DeLillo, Balzac, Boulgakov, Platon… – mais n’alourdissent pas le texte. Elles sont des balises, en phase avec le narrateur. Et lorsque le père de Vladimir, au téléphone, se met à analyser Le Mépris de Godard, on comprend l’abîme qui sépare le père et le fils – cinéma contre littérature – mais on comprend également, tout d’un coup, le parallèle avec Homère (3) : la guerre, sous le regard des dieux dans l’Antiquité ; et la terreur contemporaine, sous le regard d’on ne sait qui. À la fin du roman, c’est bien le bruit de la mer, « le cantique de la marée » qui berce l’étreinte de Vladimir et Zoe, apaisés.

La fin du roman… Le récit est bâti sur cette manière tellement espagnole de penser le temps narratif… Un temps qui n’est ni rectiligne ni circulaire, mais spiralé. Un temps qui va sa course, en évitant soigneusement la ligne droite. Ainsi, à la fin du chapitre XVI, peut-on lire : « Je relis ces pages et je réalise les sauts gigantesques que je m’y suis permis. Ici, se donnent la main, sans solution de continuité, le premier rendez-vous de mes géniteurs, une apparition institutionnelle et l’histoire privée de l’ange déchu. Et, au beau milieu de ce pandémonium, comme par enchantement, héroïque, tragique, voire solaire, je passe, moi, le correcteur ». Il passe et reste, en chroniqueur. Chroniqueur maître de son temps narratif, maître de chroniquer sa vie et le monde, sa vie dans le monde. À la fin de cette trilogie du Mal, la littérature n’apporte pas le réconfort. Mais elle nous guide : « Peut-être bien que toute l’histoire de la littérature occidentale tient dans quelques vers inspirés : François Villon, Yórgos Seféris, Fernando Pessoa. Peut-être bien aussi que ces quelques vers sont les seuls capables de saisir l’ineffable de l’existence, son indétermination caractéristique, les corrections incessantes auxquelles elle nous oblige afin de ne pas sombrer dans la folie ».

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(1) La ofensa, 2004, fait référence à la seconde guerre mondiale (L’Offense, Actes Sud, 2009) et Derrumbe (2008) se déroule dans la cité imaginaire de Promenadia. 

(2) Que l’on me permette ici une référence personnelle. Le 11 mars 2004, je me trouvais en compagnie d’une de mes collègues hispanistes en salle des professeurs. Nous étions bouleversées, bien entendu. Et très troublées, également, par la voix de la mère de cette collègue, qui habitait Madrid, et sanglotait au téléphone en répétant « ça ne peut pas être l’ETA, ils ne font jamais comme ça, ils préviennent, il n’y a jamais autant de victimes, on est en train de nous raconter n’importe quoi ».

(3) Dans Le Mépris, « Fritz Lang veut tourner L’Odyssée pour rappeler la gloire de la Grèce antique, mais Jack Palance se contente de filmer un drame psychologique à l’attention du public de l’époque » (p. 81).

mercredi 16 octobre 2013

La Part animale d’Yves Bichet

  
La Part animale, Yves Bichet, Gallimard, 1994 et Folio. (Nous utilisons l’édition Folio pour les citations, dans l’article). Le roman a été adapté au cinéma en 2007 par Sébastien Jaudeau, avec Niels Arestrup, Anne Alvaro, Rachida Brakni et Carlo Brandt dans les rôles principaux.

Le roman est placé sous le signe des Elégies de Duino de Rilke, que le personnage principal, Etienne, découvre sur l’almanach de la Poste.
  
Etienne est employé par Henry Chaumier, « aviculteur placé au faîte de la hiérarchie agricole locale » (p.42), dans un village de l’Ardèche. Etienne s’occupe de récolter la semence de dindons Douglas, et d’inséminer les dindes. « Il apprit à regarder les dindons comme on regarde un vulgaire alignement de manteaux, de parapluies. Il se familiarisa en quelques semaines avec les tâches que lui assignait le paysan et parvint à masturber son troupeau sans trop d’arrière-pensées » (p.52) Nous sommes, dans ce roman, dans un univers encore paysan mais déjà industriel. Les poules, dindes et dindons sont élevés en batterie, mâles et femelles séparés. On laisse la lumière dans les entrepôts une nuit sur deux, durant l’hiver, pour que les poulettes grossissent plus vite.

Le roman s’attache à décrire des rapports humains teintés de violence : Henry Chaumier, volage, se déchaîne lorsqu’il apprend que sa femme le trompe. Des chiens sont pendus. La violence qui règne dans les entrepôts avicoles – dindons se battant entre eux, poules « désignant » des boucs-émissaires et les massacrant – retentit sur Etienne. Il vit avec Claire et leur enfant, mais peu à peu son singulier emploi à la ferme a des répercussions sur sa vie quotidienne. Il faut dire qu’à ses fonctions de « masturbateur » doivent s'ajouter bientôt celles de « castrateur », lorsqu’il est question de chaponner les dindons. Comment un tel métier, un tel environnement, ne rejailliraient-il pas sur sa vie, et sur son rapport au monde ? Dans la troisième partie du roman, le glissement de la masturbation des dindons à leur castration devient, pour Etienne, renversement des valeurs et revirement des enjeux : « Gagné par l’enthousiasme novateur d’Henry Chaumier, Vire-Branle [= Etienne] avait le sentiment de participer directement au devenir de l’humanité. Il tranchait, coupait, sabrait dans la chair vivante des Douglas sans le moindre sadisme, avec le seul désir de satisfaire ses concitoyens et de bannir sa sensiblerie » (p.169).

Les dindons dont Etienne a la charge arrivent, bien entendu, dans les assiettes, sous forme de viande morte. Lors de sa première journée de travail, malhabile, Etienne a provoqué la mort de quelques volailles. L’une d’elle lui a été servie, somptueusement préparée, par l’épouse d’Henry Chaumier, et il a été contraint de la manger. Plus loin dans le roman, Etienne ne peut qu’affirmer à sa compagne : « On ne sait rien de la mort avant d’y avoir mis les mains, d’en avoir mangé » (p.169). Les règnes animal et humain en viennent à se confondre : qui fait le coq, dans la ferme ? Henry l’époux ou François l’amant de la paysanne ? Les rapports « sociaux » sont-ils plus civilisés dans le village que dans les stalles ? Et quelle est la place d’Etienne ? Castrateur castré, masturbateur assouvi, époux inattentif, fils putatif/ami singulier de la boulangère folle ? Quelle est la place de la poésie, et de la métaphysique, dans ce monde de barbarie industrielle ? Rilke, peut-être, avait trouvé la réponse. Ou posé définitivement la question.

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NB : Les hasards professionnels sont ainsi faits : il se trouve que je suis partie prenante du festival « Mode d’emploi » organisé par la Villa Gillet, à Lyon en cet automne 2013. Le thème que nous avons choisi pour notre participation est « Le point de vue animal ». L’actualité éditoriale, avec la publication du roman d’Isabelle Sorente 180jours, a servi de support, entre autres, à notre réflexion. L’analyse littéraire n’étant rien (ou si peu) sans la confrontation au texte de fiction, je renvoie le lecteur curieux à la nouvelle Un autre monde que j’ai publiée sous mon nom d’écrivain, Christine Balbo, dans la livraison 41 de la revue Harfang. On y trouvera un « girls band » d’oiselles ; on y découvrira un élevage de perdrix. Parce que le point de vue animal est avant tout le point de vue de l’homme-animé sur l’animal.