Georges-Olivier Châteaureynaud, Jeune vieillard assis sur une pierre en bois, nouvelles,
Grasset, 23 octobre 2013, 240 pages.
Enfin de
bonnes nouvelles !, proclame le bandeau rouge sur la couverture du recueil
Jeune vieillard assis sur une pierre en
bois de Georges-Olivier Châteaureynaud que Grasset publie en cette fin
octobre. Huit merveilleuses nouvelles, aux titres mystérieux, qui suggèrent la
lévitation et la brocante, la nostalgie et la mythologie, l’impossible et la
surprise. Dans tous les cas, se fait jour un jeu sur la langue française, entre
allusion littéraire détournée et expression toute faite prise au pied de la
lettre. Les nouvelles de Châteaureynaud sont toujours publiées, et présentées,
par ordre chronologique de rédaction. Il n’existe qu’une seule entorse à cela, depuis
1973, due à des problèmes de droits d’édition. Les recueils ne sont donc pas thématiques.
Et pourtant… Il semble bien que dans ce déroulé temporel que le lecteur explore
au fil des recueils, les thèmes soient également apparents, et induisent une
évolution. Penchons-nous sur les dernières nouvelles en date.
L’homme
est seul. Il a beau avoir – on n’ose écrire « posséder » – une mère,
une épouse, une fiancée, des enfants… il est seul. Dans Les Intermittences d’Icare, par trois fois, il est donné au
narrateur le pouvoir de voler. De décoller du sol : « une seconde mes
pieds nus s’enfonçaient dans le sable grossier, et la suivante ils en étaient
dégagés et flottaient une dizaine de centimètres au-dessus de leurs
empreintes ». Le narrateur a neuf ans lors de son premier envol, qui se
produira encore deux fois dans sa longue vie : au-dessus du corps de la
jeune fille aimée à vingt ans ; sur la dune du Pyla lorsque, homme fait,
il peine à grimper sur le sable. Le sable… qui ramène la nouvelle au temps du
sablier. Chez Châteaureynaud, ce foutu temps qui passe est à maudire et à
célébrer. Et personne, dans la nouvelle, pour assister au prodige. Car enfin,
voler, ce n’est pas donné à tout le monde, hein ? Eh bien… ni la mère, ni
la fiancée, pour regarder l’enfant, le jeune homme, décoller. Et puis si, enfin,
la mère et l’épouse – pas la fiancée, mais une autre épousée – regardent
l’homme s’élever, et… s’en désintéressent. L’homme est seul, rien à faire.
Comme il l’est dans Face perdue aux
temps des Burschenschaften et des
duels au sabre. Pour l’amour de Rosetta, le personnage d’Aloïs renonce à la
défiguration et perd, littéralement, la face. Mais les jeunes filles du temps
aiment les balafrés… L’homme se retrouve seul lorsqu’il décide de refaire sa
vie avec une plus jeune que lui et que les objets de son passé le
rattrapent : il ne peut renoncer à les retenir. Dans La Foire à tout rue du Merlan, on retrouve le penchant – fort
penchant – de Châteaureynaud pour la brocante et sa magie immédiate, porteuse
d’un terrible espoir de retour sur ce qui n’est plus. L’homme est seul quand
son meilleur ami est « parti » : la mort est irrémédiable, et la
nouvelle Diorama est un des plus
beaux textes qui soient sur la célébration du deuil. Sur sa célébration, pas
son acceptation.
L’homme
est seul, et il est spectateur. Dans la saisissante nouvelle Jeune vieillard assis sur une pierre en bois,
qui donne son titre au recueil, le narrateur se réveille d’une anesthésie en
trouvant que le monde n’est « pas conforme ». « Je m’éveillai
guéri, mais plus faible qu’un nouveau né » nous dit-il au tout début de la
nouvelle. Un nouveau-né ? Et pourquoi pas ? Pourquoi pas une nouvelle
vie ? Et puis, au fond, pourquoi ? Parce que, sans doute, il reste
toujours l’once d’espoir de « refaire sa vie », même si on n’a pas
raté la première. Il reste toujours cette interrogation sans réponse :
pourquoi suis-je là ? qu’ai-je fait ? (pour mériter ça… ou… pour
avoir le droit de vivre encore…) L’homme est à ce point spectateur qu’il entre
dans le tableau, sujet dérisoire dans le quotidien, transformé – vampirisé –
par de plus vieux que lui qui lui volent une vie qu’il n’a pas sur vraiment
apprécier. La nouvelle Les Amants sous
verre, sous ses allures gothiques, place le personnage de Golo au cœur d’un
piège où la sensualité, la déveine et l’illumination se combinent.
La porte des lionnes - Mycènes |
Georges-Olivier
Châteaureynaud ne se cache pas vraiment derrière ses textes. Il y a quelque
chose du sourire farceur, complice, à nommer les personnages Gerö ou Golo (ce G
et cet O, qui sont l’abréviation de son prénom G.-O.). Et une véritable jubilation,
farceuse là encore, à jouer avec les titres, Les Intermittences d’Icare renvoyant, de plein fouet, aux « Intermittences
du cœur », le Jeune vieillard… à
une comptine qui soudain prend sens, Une
route poudreuse… à la Porte des Lionnes, Face perdue à l’expression « perdre la face ». Le tout élaboré à partir d’une documentation
des plus consciencieuses : la technique des pressés sous verre, les
confréries étudiantes allemandes… Il y a quelque chose de la nostalgie
poignante à invoquer la Bretagne de la fin des années 50 et le père qui a
abandonné le fils et la mère « sur le bord de la route » (Les Intermittences d’Icare) ou les
guitares partagées avec l’ami de toujours rebaptisé Cassagne et l’évocation du
Paris de la jeunesse (Diorama). Il y
a, dans Pie, escargot, furet, ce
rescapé des camps qui rappelle la figure paternelle revenue de Dachau. Et dans
la même nouvelle, le personnage de Gorbius, si présent dans l’œuvre complète,
père ici d’une mongolienne sensuelle et déroutante.
Oui, le
déroulé strictement temporel de la présentation chronologique des nouvelles
place le lecteur, de façon frappante, devant l’évolution de thèmes brodés à
petits points. Mis à part les personnages de Gorbius et de sa fille – évolutifs
– les nouvelles de Jeune vieillard assis
sur une pierre en bois marquent un tournant dans l’œuvre de Châteaureynaud.
L’âge y prend une place prépondérante, et la perception de l’âge une force
terriblement duelle : désespérante et décapante. Que l’on se reporte à la
dernière nouvelle du recueil, Une route
poudreuse mène d’Argos à Mycènes, dans laquelle, sur un fond culturel
mythologique, l’auteur parvient à réunir le renoncement et l’allant, l’échec et
la réussite, la banalité et la surprise. Du grand art.