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dimanche 3 janvier 2016

Mariages de saison de Jean-Philippe Blondel



Jean-Philippe Blondel, Mariages de saison, éd. Buchet-Chastel, 1er janvier 2016, 192 pages.

Corentin exerce la profession de « vidéaste de mariage ». Il officie avec son parrain Yvan. Les deux hommes filment le bonheur des autres durant l’été, haute saison de la nuptialité. Corentin a 27 ans, Yvan 50. Ils s’entendent bien, se répartissent les tâches lors des noces, le plus jeune en général filme les préparatifs de la mariée tandis que le plus mûr reste avec le promis, ensuite ils œuvrent ensemble, photo de famille, vin d’honneur, discours, piste de danse… Le DVD qu’ils remettront aux époux ne conservera qu’une vingtaine de minutes de la longue journée. Le montage occultera les moments de tension, les blagues grivoises, les dérapages verbaux. Yvan et Corentin créent, et vendent, aux mariés, la quintessence du plus beau jour de leur vie.

dimanche 12 juillet 2015

M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit de Robin Sloan



Robin Sloan, M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit, Mr. Penumbra 24-Hour Bookstore, traduit de l’anglais (USA) par Philippe Mothe, éd. Points, mars 2015.

Google et la vie éternelle

Profitons un peu des vacances et, avant le grand rush de la rentrée littéraire, suivons les amicaux conseils de lecture de Jean-Philippe Blondel. L’auteur d’Un hiver à Paris disait, il y a quelques jours, son enthousiasme à propos du roman de Robin Sloan, qui lui rappelait à la fois Harry Potter et Le Club des cinq. Difficile de résister à ce genre de références ! Harry Potter, je connais moins, mais Le Club des cinq partage, avec Fantômette, le délicieux mérite d’avoir fait de moi une lectrice versée dans la littérature d’aventures et de mystères. On reste, plus ou moins, l’enfant lecteur que l’on a été.

M. Pénombre libraire ouvert jour et nuit, donc. Le narrateur, Clay Jannon, se retrouve au chômage. Il était graphiste, dessinait des logos, gérait le site web et le compte Twitter de l’entreprise New Bagel « qui avait imaginé un logiciel pour façonner et cuire ce modeste petit pain ». Il marche dans San Francisco et voit sur la porte d’une librairie que l’on cherche un vendeur pour un travail de nuit. Il se présente, est embauché.

La librairie est ouverte 24 heures sur 24. Le patron est M. Pénombre, un noble vieil homme attachant, que la vente des livres intéresse peu. La librairie est une façade, la vraie raison d’être de l’établissement est le prêt, aux membres d’un cercle de lecture aux allures de secte, de bouquins indéchiffrables. S’ils sont indéchiffrables, c’est sans doute qu’ils sont codés… et qu’ils cachent la clé d’un mystère épais, vieux de cinq siècles. Aidé par son copain d’enfance devenu milliardaire, par son colocataire spécialiste des effets spéciaux pour le cinéma – des effets spéciaux à l’ancienne, ceux que l’on réalise avec de la colle, du carton et des bouts de ficelle –, et par une séduisante programmatrice travaillant chez Google et ne s’habillant que de tee-shirts rouges sur lesquels on peut lire un grand BANG !, Clay s’en va percer le mystère des livres codés.

La librairie mystérieuse, dans les romans, est un motif d’intrigue largement utilisé. L’exemple le plus pénible étant, sans doute, La Sombra del viento, de l’Espagnol Carlos Ruiz Zafón, car le roman se prend au sérieux et verse dans le mélodrame non pas flamboyant, mais larmoyant. Rien de tel dans le roman de Robin Sloan. La joyeuse petite bande part à l’assaut du mystère avec la fougue de la jeunesse et l’esprit californien. La jeune femme au tee-shirt Bang ! s’appelle Kat. Elle travaille chez Google, avec enthousiasme et foi. Son truc, son obsession, c’est la vie éternelle. La vie est bien courte, pense-t-elle. La vie est trop courte. D’ailleurs, chez Google, on s’emploie à remédier à cela. Google s’occupe aussi – surtout – d’immortalité. Ou d’éternité. On le sait : à Mountain View, siège de la société, les recherches sur le transhumanisme vont bon train. Kat est une disciple fidèle et convaincue, une « googleuse » pure et dure. Le mystère des livres codés qu’abrite la librairie de M. Pénombre est lui aussi lié à l’éternité, à l’immortalité. Elle se jette dans la quête, fascinée par ce « corpus en langage naturel » (c’est-à-dire : des livres…).

Tous les personnages du  récit sont très attachants, Clay Jannon en tête. Mais le personnage de Kat est remarquablement bâti, il incarne la fougue, la jeunesse sur-diplômée sûre de la route à suivre. Son cap, c’est la Singularité, « ce point hypothétique du futur où la courbe du progrès technique va se cabrer à la verticale et où, en quelque sorte, la civilisation va se réinitialiser ». Sans rien dévoiler ici de la résolution du mystère des livres codés, on peut tout de même indiquer qu’une certaine police de caractère – une fonte – dessinée aux tous débuts de l’apparition de l’imprimerie a toute son importance. Et plus que la fonte en elle-même, les poinçons originaux.

Les livres imprimés et les programmes informatiques ne se font pas vraiment la guerre, dans le roman de Robin Sloan. Sous ses dehors d’aventure de Club des cinq, M.Pénombre… réconcilie la tradition et l’hyper-modernité. Les membres du cercle de lecture auquel appartient le vieux libraire ne sont pas tous rétifs à l’informatique. Et les scanners de Google œuvrent pour que l’intrigue avance. C’est cependant la main de l’homme, celle qui forge et fond, qui sortira vainqueur…

Il y a, dans ce livre, tout l’attirail attendu du roman d’aventures et de mystères : des réunions secrètes dans des caves voûtées de New-York, avec disciples en large robe noire ; des disparitions et des réapparitions ; des grands-méchants gourous et des fidèles apeurés, qui décident d’entrer en dissidence… M. Pénombre… est un délicieux petit roman, qui nous renvoie à nos lectures d’enfance tout en nous plongeant dans la contemporanéité la plus immédiate. C’est aussi, et surtout, un roman sur l’éternité de l’amitié.

mardi 20 janvier 2015

Un hiver à Paris de Jean-Philippe Blondel



Jean-Philippe Blondel, Un hiver à Paris, Buchet-Chastel, 2 janvier 2015, 272 pages.

Les années Khâgne

Le mot, à qui n’est pas du sérail, est incompréhensible. Cagneux, c’est pour les genoux. Un k, un h, un accent circonflexe, et puis quoi, encore ? Hypokhâgne, khâgne, khôlle… A-t-on idée ?... trop de k, trop de h, trop d’accents circonflexes. Le sensible aime la fluidité dans le phrasé, et fuit les heurts. Ces lettres et signes piquent, agressent. Le sérail, il est circonscrit à quelques quartiers bien délimités de Paris, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Lyon, Toulouse (pour faire court, et pour faire dans le prestige). Circonscrit, aussi, à quelques catégories socio-professionnelles parmi lesquelles émergent les enseignants. Les classes prépa, quoi.

Avec Un hiver à Paris, Jean-Philippe Blondel ravive avec justesse et sensibilité une ambiance, un milieu, une époque : le début des années 80. Et surtout, surtout – et avec quel talent ! –, il fouille les angoisses d’une jeunesse dorée – plus ou moins dorée, celle du narrateur étant légèrement décalée –, enserrée dans un carcan d’ambitions parentales, torturée par le sadisme de professeurs guindés, soumise aux diktats d’un élitisme qui n’ose même pas s’avouer républicain. Victor, le narrateur, petit provincial monté à Paris – au prestigieux lycée D., mais vivant à Nanterre dans une cité étudiante – est le « candide » narrateur de l’histoire. Histoire à la fois dramatique et initiatique : un de ses condisciples, ne supportant pas la note infâmante de 0,5 que le prof de Lettres lui a attribuée, sort de la salle de cours en hurlant « Salaud ! » et se jette par la fenêtre du couloir. Le sang de sa mort imprègne les semelles de Victor. Les études sont-elles à ce prix ? Les professeurs ont-ils ce pouvoir-là, celui de catapulter vers la mort des enfants d’à peine vingt ans ? Et Victor, connaissait-il vraiment ce Mathieu défenestré ? Est-ce connaître quelqu’un que de partager quelques cigarettes et de parler du divorce de ses parents ?

C’est une lettre, reçue par le narrateur alors qu’il est devenu prof, et écrivain, qui fait remonter à la surface de la mémoire l’ensemble de ces années de jeunesse. Une lettre du père de Mathieu, le condisciple défenestré. Il y a les Lettres, celles que l’on étudie en prépa littéraire, et puis il y a les lettres, celles que l’on reçoit. C’est une lettre, puis un coup de téléphone, qui replongent Victor au cœur des années khâgne. Un voyage dans le temps, et un trajet physique : Paris, Troyes, les Landes. Les lieux de Blondel.

Chez Jean-Philippe Blondel, par-delà la sensibilité du rendu d’une époque, il y a cette impression de somnambulisme – mais qu’est-ce que je fais là ? et qu’est-ce que c’est que ces rigoles de sang qui suintent de la tête éclatée de mon copain qui n’était pas vraiment mon copain ? – et ce recul face aux enjeux de la prépa. Ce pauvre Paul Rialto, le premier de la classe, qui de dédaigneux devient amical, est un des personnages les plus attachants d’Un hiver à Paris. Ajoutons-y Armelle, son serre-tête et sa lucidité. Les enfants, même grandis, ayant franchi le cap épineux et rigolo, quoi qu’on en dise, de l’adolescence, restent des enfants. Des « enfants sensibles », tels que Sophie Képès les a décrits, elle aussi au plus juste de l’époque et de l’intemporalité, dans son roman Des enfants sensibles (Seuil, 1980).