samedi 31 octobre 2015

Surprise 12 – Millénium 4



David Lagercrantz, Ce qui ne me tue pas (Millénium 4), traduit du suédois par Hege Roel-Rousson, éd. Actes Sud, septembre 2015.

J’ai lu Millénium 4. De la série devenue « marque », je n’avais lu que le tome 1, avec difficulté, sans doute à cause de la traduction. Les tomes 2 et 3, je ne les connais que par la série télévisée suédoise, celle dans laquelle Lisbeth Salander a les traits de Noomi Rapace et Mikael Blomkvist ceux de Michael Nyqvist.

J’ai donc lu Millénium 4. Il y est question de hackers, de la NSA et de méchants russes. Un enfant autiste doublement savant – il est un génie en mathématique ET en dessin – est plus ou moins au centre de l’intrigue, intrigue à la fois politique et criminelle, si j’ai bien tout suivi. Lisbeth est plus que jamais super-Lisbeth, super-hackeuse et super-boxeuse, debout et déterminée même lorsqu’elle est blessée gravement, blouson noir et piercings, grand appartement vide et bagnole de luxe. Lisbeth, quoi. On l’aime. On ne lit Millénium, peut-être, que pour elle. Elle est une force en marche, indestructible. Dans Ce qui ne me tue pas, face au petit autiste, elle semble enfin trouver un interlocuteur à sa mesure. Blomkvist fait son Blomkvist, sauve une fois de plus la revue de la faillite. Sa fille et sa sœur ne sont qu’évoquées, Erika Berger passe en presque figurante. On est heureux de retrouver Holger Palgrem, le premier tuteur de Lisbeth, qui n’a ni bon pied ni bon œil, mais qui, dans ses discussions avec Blomkvist, montre qu’il a encore des révélations à faire sur le passé et la parentèle de la jeune femme.

J’ai lu Millénium 4, donc, et j’ai passé un bon moment.

vendredi 30 octobre 2015

L’Inconnue de la Seine de Didier Blonde



Didier Blonde, L’Inconnue de la Seine, roman, Gallimard, mai 2012, (première publication sous le titre Le Nom de l’inconnue, éditions Régine Deforges, 1988), 128 p.
  
Elle est morte noyée, en 1901, sur les bords de l’Ourcq. Le moulage de son visage va hanter des générations d’écrivains et d’étudiants aux Beaux-Arts. Elle est morte, et elle sourit. On ne sait rien d’elle. C’est la Joconde de la Seine. Une énigme. Ce moulage, on l’a tous aperçu, au moins une fois, ne serait-ce que furtivement, dans une scène de La Mariée était en noir, de François Truffaut – c’est l’inconnue de la scène. Ce moulage, on l’a lu, sous la plume d’Aragon, dans Aurélien – Bérénice offrira, comme en pied-de-nez, un moulage de son propre visage –, et sous celle de Jules Supervielle –  qui lui offrira un voyage de rédemption jusqu’à l’océan. Ce moulage, il fait partie de notre inconscient collectif. De l’histoire de la vraie jeune fille qui est vraiment morte noyée, on ne sait rien. Simon, le narrateur du roman de Didier Blonde, achète un moulage de l’Inconnue, et décide de résoudre l’énigme. Qui est-elle ? Pourquoi s’est-elle noyée ?

Simon est libraire. Libraire d’ancien. Il fréquente les salles des ventes, et déambule dans Paris lorsqu’il n’est pas dans sa boutique. Il connaît la ville sur le bout de ses semelles (1). La ville, Simon l’arpente (2) pour partir en quête de la résolution d’une énigme vieille de plus d’un siècle. C’est qu’il a de bonnes raisons de chercher à percer le mystère. Lui, il est hanté, hanté par la disparition de sa compagne Marie, dont on devine la mort voulue, et provoquée, par la fin d’une histoire d’amour.
  
De Marie, Simon n’a aucun portrait, aucune image. Les seules photographies de l’époque où il vivait avec elle le représentent, lui. C’était elle qui prenait les clichés. Et Simon regrette de ne pas déceler sur sa propre expression figée la présence de Marie. Ou de ne pouvoir déceler, ne serait-ce que dans les verres de ses propres lunettes, le reflet de la jeune femme derrière l’appareil photographique. L’Inconnue de la Seine a un visage à jamais figé, à jamais figé dans le sourire de la mort, et c’est comme une énigme qui vient se superposer à l’énigme de la disparition de Marie. De Marie vivante, il n’a aucune image. De l’Inconnue de la Seine, il n’a qu’une image, celle de la mort(e) : « La véritable existence est posthume. C’est une thanatographie qu’il faut reconstruire ».


L’enquête de Simon est méthodique, des archives photographiques Roger-Viollet aux bâtiments de l’institut médico-légal, des bords de l’Ourcq à la Bibliothèque Richelieu. Ce parcours bien réel, selon un plan citadin, se double d’un – se dédouble en un – parcours littéraire, qui converge vers l’imaginaire allemand (Rilke, Brecht, Horváth…) Cette inconnue de la Seine prend des allures de Loreleï. Prend des allures aussi de Béatrice – un des habitués de la librairie de Simon se nomme Dante. Au climax de sa quête, le narrateur bute sur une universitaire mettant la dernière main à sa thèse dont le sujet est, précisément, l’histoire de l’Inconnue. Si la renaissance sexuelle de Simon est au rendez-vous, la désillusion va de pair avec le réveil des sens. L’Université, en tâchant d’éclairer et de démonter, fait table rase de l’imaginaire.

Ce court texte est une petite merveille. Une manière de miniature littérairement allusive d’une construction magistrale. Quant au style, qu’on en juge sur pièce : « Il est près de deux heures du matin. Il faut que je sorte. Je m’habille. Dehors, je retrouve mon calme. Il a plu, l’air est chargé d’humidité. Je remonte mon col. Sous la lumière des réverbères, les trottoirs luisent comme un ongle de femme. La nuit a libéré la ville. Seuls quelques clochards tassés contre les grilles du métro parlent en dormant. La rue Notre-Dame-de-Lorette s’ouvre comme une conscience ».

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Notes
1 – « Je me suis remis à mon Répertoire des domiciles parisiens des héros de romans, d’Albertine (Simonet) à Zazie (en visite) » (p.17). Signalons que Didier Blonde a publié aux éditions La Pionnière Répertoire des domiciles parisiens de quelques personnages fictifs de la littérature. Signalons également, sans verser dans le dévoilement autobiographique, que Didier Blonde a également publié un essai intitulé Les Voleurs de visages, sur quelques cas troublants de changements d’identité : Rocambole, Arsène Lupin, Fantômas et Cie, auquel il est fait allusion dans L’Inconnue de la Seine : « Même si de temps en temps je me dis que c’est un peu triste, à trente ans, d’avoir pour seuls amis Arsène Lupin, Nadja, Adèle Blanc-Sec, la Sibylle ou Mirabelle » (p.18)
2 – La librairie de Simon a pour enseigne « Le Piéton de Paris ».

Histoires extraordinaires & Poèmes d’Edgar Poe, illustrés par David Plunkert



Edgar Poe, Histoires extraordinaires & Poèmes, illustrations de David Plunkert, Editions Textuel, septembre 2015, 208 pages.

On se souvient des magnifiques Contes choisis de Grimm illustrés par Yann Legendre que les éditions Textuel nous avaient proposés il y a deux ans. En cet automne, un choix d’Histoires extraordinaires et de poèmes d’Edgar Poe paraissent sous le même format, 20x23, relié, couverture rigide et vernis sélectif. Les illustrations sont de David Plunkert, qui a publié entre autres dans le New York Times et le New Yorker.

Les textes choisis permettent de se replonger dans l’atmosphère terrifiante du Cœur révélateur ou de Le Puits et le Pendule, par exemple. On connaît ces textes, et on les connaît dans ces traductions-là, celles de Baudelaire. Mais depuis combien de temps ne les avait-on pas relus ? Ils prennent, dans cette édition, une matérialité impeccable : deux colonnes sur papier épais, brun-grisé. Une manière de redécouverte. Les illustrations, très contemporaines, allient le dessin, le collage et le graphisme informatique. Ça « matche ». Le chat noir, p. 26, est un rectangle noir sur fond rouge, six traits blancs pour les moustaches, un seul œil visible, l’esquisse d’un nez, une bouche rouge très humaine : la peur sourd, immédiate. Le portrait de Bérénice, p. 38, est un collage terrifiant, qui n’a rien de « gore ». On est, là, vraiment, dans la création graphique. Notre lecture du texte de Poe n’en est pas changée. Mais les illustrations, et singulièrement celle-là, montrent à quel point l’univers de Poe s’adapte à la sensibilité contemporaine.

Bérénice, illustration de David Plunkert
  
Parmi les poèmes, Le Corbeau nous arrête, comme toujours. Traduction de Baudelaire, à nouveau. Illustration dans laquelle l’œil du poète est celui de l’oiseau dont le bec, tourné vers la droite, vers un avenir inaccessible, semble murmurer son « nevermore » au creux de l’oreille.

Un ouvrage magnifique, qui ravira les amateurs de Poe, et les amateurs d’illustration.