mardi 30 mai 2023

Regards croisés (46) – Sur la dalle de Fred Vargas

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Fred Vargas, Sur la dalle, éd. Flammarion, mai 2023, 512 p.

Il y a, chez Fred Vargas, cette capacité à brouiller la temporalité. C’est le brouillard, comme dans la tête de son  commissaire Adamsberg. Nous revoilà en Bretagne – ce n’est pas la première fois que l’autrice de rom-pol nous y entraîne – dans une Bretagne quasi folklorique, intemporelle. Oh, bien sûr, on utilise des téléphones portables et on conduit des voitures, mais, à bien y regarder, ce sont, finalement, de petites concessions faites à la modernité, voire à la contemporanéité. Nous sommes en Bretagne, donc. Les personnages du coin se prénomment ou se nomment Maël, Annaëlle, Cleach, Le Guillou, Braz, et j’en passe. Il n’y a pas de Le Goff, il me semble, mais il est fait mention d’un forgeron dans le texte. Le monde que nous décrit Vargas, dans Sur la dalle, est un monde atemporel presque exclusivement masculin, un monde d’hommes entre eux. Un des rares personnages féminins est une vipère, et son patronyme renvoie aux serpents. Trois autres personnages féminins sont placés sous des références plus positives et traditionnellement féminines : on trouve une Estelle, une Rose, et une Violette, bien sûr – Violette Retancourt qui, elle, mais le lecteur le sait déjà, porte un nom oxymorique, elle est plus forte qu’un homme. Jamais comme dans ce roman cette notion de brume temporelle et de voile masculin cachant le reste du monde ne m’était apparue si évidente.

Nous sommes en Bretagne, donc. Au XXIe siècle, si l’on veut. Dans le village où l’équipe d’Adamsberg est occupée à traquer un serial killer, on croise le sosie de Chateaubriand. Ce personnage est un descendant de l’écrivain, et la ressemblance est si frappante qu’il est une sorte de gloire locale que les touristes viennent photographier. Le seul endroit où on le laisse tranquille, c’est dans l’auberge, auberge qui sert de quartier général à l’équipe d’Adamsberg, et où l’on sert, évidemment, du chouchen et du cidre. 

Nous sommes en Bretagne, donc. Au XXIe siècle, si l’on veut. Les habitants du village se déchirent sur des superstitions : les ombreux et les ombristes, par exemple, les uns croyant que marcher sur leur ombre porte malheur et les autres s’ingéniant à piétiner les ombres des premiers. On fait référence aussi à un Américain superstitieux qui ne voulait pas voyager un vendredi 13, ni rédiger son testament par peur de mourir d’avoir testé. Et puis il y a cette histoire de fantôme boiteux, celui du château de Combourg, Chateaubriand oblige. Et puis il y a un bossu. Et puis il y a des puces sur les cadavres des victimes. Voilà tout l’univers de Vargas ramassé dans une intrigue.

Pour une fois, Adamsberg a une méthode d’investigation. Sa hiérarchie lui donne tous les moyens qu’il veut, et dans le village breton c’est une bonne cinquantaine de policiers qui opèrent. Porte-à-porte, barrages sur les routes, surveillances de nuit, rien que du traditionnel sans âge. Seul le lieutenant Mercadet opère dans la sphère contemporaine, avec son ordinateur. De l’intrigue en elle-même, je ne dirai rien, elle va son petit bonhomme de chemin. Bien entendu, c’est grâce aux rêveries d’Adamsberg qu’elle sera vraiment résolue. 

Le titre est trompeur. « La dalle », de nos jours, renvoie plutôt aux banlieues et aux grands ensembles bétonnés. La dalle de Vargas, et d’Adamsberg, est la table d’un dolmen, dolmen sur lequel le commissaire va s’allonger afin de laisser son esprit divaguer. Un dolmen, bien entendu, puisque nous sommes en Bretagne.

Je m’interroge sur ma lecture. Je ne sais pas ce que j’attendais de ce nouveau roman de Fred Vargas. Disons que je ne suis pas déçue. Mais que je ne suis pas, non plus, « déçue en bien ». Aucune véritable surprise, à part peut-être une incursion dans le grand-banditisme, aucune fausse note, un ronronnement paisible, quoi. Mes deux Vargas préférés restent L’Homme aux cercles bleus, et Un peu plus loin sur la droite. Deux romans des débuts. Sans doute parce que depuis ces deux découvertes, je n’ai plus été surprise, ni secouée. 

Lire l’article de Virginie Neufville sur son blog Fragments de lecture


vendredi 19 mai 2023

Le Sacrifice du roi de Livie Hoemmel

Livie Hoemmel, Le Sacrifice du roi, éd. Plon, 4 mai 2023, 448 p.


Il y a autour de cette publication un arsenal de storytelling. On ne sait rien de l’auteur, son nom est un pseudonyme que l’on qualifie de « sibyllin » (je n’ai pas résolu l’énigme, j’ai même demandé à Chat GPT, qui a calé…), Le Sacrifice du roi est un premier roman, et l’on nous dit que Livie Hoemmel est passionné par le monde des échecs. On veut bien croire tout cela, car cela n’engage à rien. Les ficelles éditoriales relèvent du marketing émotionnel. Si je me suis penchée sur ce roman, c’est parce que la figure centrale en est Bobby Fischer. On l’aura sans doute remarqué, je lis à peu près tout ce qui tourne autour des échecs, en évitant soigneusement tout ce qui concerne les parties en elles-mêmes. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’un écrivain fait du monde des échecs. Sans remonter jusqu’à Zweig ou Nabokov, je citerai parmi mes derniers éblouissements dans le domaine Antoine Choplin et Denis Grozdanovitch. Disons-le d’emblée, avec Le Sacrifice du roi, on est loin du chef d’œuvre. 

Cependant… Le Sacrifice du roi n’est pas sans mérite. Balayons d’emblée l’écriture en elle-même, qui s’appuie sur tout un catalogue de citations littéraires ou philosophiques expliquées, soulignées, et bénéficiant parfois de notes de bas de page. Un seul exemple, parmi bien d’autres : un paragraphe commence par la phrase « Ce fut comme une apparition », avec une note de bas de page indiquant qu’il s’agit d’un emprunt à Flaubert. Soit le lecteur reconnaît la citation et la note est inutile, soit le lecteur ne la reconnaît pas, et le renvoyer à L’Education sentimentale n’ajoute rien à l’intrigue. Intrigue qui d’ailleurs tourne plus autour des Liaisons dangereuses, cela est d’ailleurs largement souligné. Autre chose : ce roman aurait mérité une relecture plus soigneuse. Un seul exemple, là encore : l’un des personnages principaux, Olga, est une petite orpheline que l’on place dans un dans une institution. Sauvage, asociale, elle se réfugie dans la lecture. Page 111, on apprend que, fillette, quand elle lisait Dumas, elle devenait la « figure vengeresse d’Edmond Dantès », mais à la page 139, Olga a grandi et a été transférée dans un hôpital psychiatrique. Fidèle à elle-même, elle se rend à la bibliothèque et « s’arrêt[e] sur un ouvrage du XIXe siècle, Le Comte de Montecristo d’Alexandre Dumas, dont la quatrième de couverture « reti[e]nt son attention. » Voilà un personnage, Olga, dont la caractéristique première est une fabuleuse capacité de mémorisation, et qui oublie, en moins de trente pages, qu’elle a déjà lu le livre de Dumas… Ajoutons à cela que, singulièrement, cette petite fille russe ne s’intéresse pratiquement qu’à la littérature française, et que l’auteur cite lui aussi une majorité d’auteurs français. Comme il n’y a pas d’indication de traduction, on peut en déduire que l’auteur sous pseudo est français. Et que le lectorat visé est français lui aussi. Bref, l’emballage du roman est marketisé.

Mais, je le redis, Le Sacrifice du roi n’est pas sans mérite. Toutes les restrictions narratives que j’ai évoquées ne m’ont pas incitée à refermer le bouquin. C’est un signe – enfin, un signe pour moi. Que raconte le roman ? Eh bien, ce roman se donne pour mission d’expliquer l’énigme de la chute de Bobby Fischer. Bobby Fischer ? Oui, lui, le génie des échecs, le champion adulé qui a vaincu les Russes en pleine guerre froide. Le Bobby Fischer sur lequel s’ouvraient les bulletins d’information américains, avant que l’on traite du Vietnam ou du Watergate. Celui qui a mal tourné, mal fini, parano enfermé dans un délire antisémite, celui qui versait 20% de ses gains à une secte. La guerre froide, justement. La petite Olga qui lisait Le Comte de Montecristo a été missionnée par Brejnev pour anéantir le génie américain. Cette enfant géniale – géniale comme Bobby est génial – est mandatée pour redorer le blason soviétique échiquéen.

Le roman est scindé par la typographie : la plus grande partie du texte est présentée en police sans sérif, il s’agit d’un manuscrit présenté comme rédigé par un ami d’enfance de Bobby. On y détaille, en trois parties distinctes, l’ascension d’Olga, l’ascension de Bobby, et la rencontre des deux personnages. Le narrateur est partie prenante de l’histoire, il est le fils d’un espion du KGB installé à New-York – on le croirait tout droit sorti de la série The Americans – et l’ami indéfectible de Bobby. On se souvient sans doute que la mère de Bobby, Regina, était une sympathisante communiste, qui avait fait ses études de médecine à Moscou. Tout cela s’imbrique parfaitement. Paradoxalement, je me suis moins intéressée à l’histoire d’Olga, fabriquée, qu’à l’histoire de Bobby, basée sur une biographie réelle. 

Quel est le plan des Soviétiques ? Redevenir les maîtres des échecs sur l’échiquier politique. Bobby les a malmenés – le fameux combat de 1972 – et cela leur est inacceptable. Le plan échafaudé par la géniale Olga est diaboliquement efficient. Sur le papier, et dans l’élaboration. Mais c’est faire abstraction du facteur humain. Et l’abstraction, quand on parle des échecs, c’est quand même primordial.

Si comme le disait Einstein « Dieu ne joue pas aux dés », il joue aux échecs. Dans le roman, littéralement, il joue. Bon, il y a un artifice, bien entendu. Mais il est bien amené, et plausible sur le plan architectural. La construction mentale imaginée par Olga, puis réalisée, est une merveille d’invention. Je n’en dirai pas plus, mais c’est bien ce suspens, enlevé, qui m’a emportée. Le joueur d’échecs jouant contre Dieu est un motif littéraire et véridique. Plusieurs grands maîtres ont affirmé avoir joué contre Lui, parfois en Lui donnant un pion supplémentaire, et être sortis vainqueurs de la partie. La paranoïa de Bobby Fischer s’inscrit dans cette lignée de grands maîtres. L’intérêt du Sacrifice du roi est de broder autour des fragilités psychiques de Bobby Fischer, de leur donner un cadre romanesque. 

Le roi, ici, c’est Bobby. L’idée de sacrifice est à la base de quasiment toutes les fictions bâties sur les échecs. Que l’on se souvienne, a minima, de la série Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit), qui a fasciné des millions de spectateurs. Les échecs sont le jeu roi par excellence, un duel d’abstraction. Le Sacrifice du roi joue sur cette veine, mêlant lutte entre soi et Dieu, et guerre froide. Les dernières pages sont bâties sur une série de rebondissements ou twists narratifs et mentaux qui évoquent les diverses possibilités de résolution de l’énigme de base – qui a rédigé le manuscrit ? Tous les coups sont envisagés, comme sur une fin de partie d’échecs. Cette construction de fin de partie est virevoltante, et épuisante. Sans compter qu’on y croise Poutine et Nalvany.

Mais ne serait-ce que pour découvrir par quel stratagème Olga va concevoir la partie entre Bobby Fischer et Dieu, le roman mérite le détour.

 


mardi 16 mai 2023

Regards Croisés (45) – Conte de fées de Stephen King

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Stephen King, Conte de Fées (Fairy Tale), traduit de l’anglais (USA) par Jean Esch, illustrations de Gabriel Rodriguez et Nicolas Delort, éd. Albin Michel, avril 2023, 736 p.


Conte de Fées est un roman réaliste. Contradiction ? Pas vraiment. Conte de Fées est un roman réaliste jusqu’à la page 273, même si le basculement a eu lieu légèrement avant, mais pas tant que ça. Charlie a 17 ans, est orphelin de mère, vit avec son père alcoolique sobre de fraîche date. Nous sommes dans l’Illinois, dans une petite ville comme aime les évoquer Stephen King, les gamins s’y déplacent à vélo, les voisines épient derrière les rideaux, les infrastructures laissent à désirer. Le pont, par exemple. Les piétons l’empruntent sans être à l’abri du passage des véhicules, et la mère de Charlie a été littéralement coupée en deux par un camion, alors qu’elle allait chercher du poulet frit pour le dîner, vêtue d’un imper rouge parce qu’il pleuvait. Elle est sortie habillée comme le Petit Chaperon Rouge, et c’est la première mention d’un conte de fées que nous rencontrons, dans la première partie très réaliste de ce roman. Le premier souci de Charlie est de ne pas perdre son père, qui noie son chagrin dans l’alcool. Il passe un marché avec Dieu, Lui promettant que s’Il fait quelque chose pour lui concernant l’alcoolisme de son père, il se conduira de façon exemplaire face à son prochain. Les Alcooliques Anonymes sont en train de sortir le père de Charlie du pétrin, alors le garçon cherche à tenir sa promesse. L’occasion se présente lorsque, passant près d’une maison de style victorien qui ressemble au manoir Bates dans Psychose, il entend un chien aboyer et un vieillard gémir. Le vieux monsieur est tombé d’une échelle, il n’arrive pas à se relever. Charlie va se charger d’appeler les secours, et de prendre soin de la chienne durant le séjour de son maître à l’hôpital. Puis de prendre soin du vieux monsieur lorsqu’il rentre chez lui. Charlie, à 17 ans, c’est un brave garçon, vraiment. Il s’est pris d’affection pour un vieux ronchon, et il a une promesse à tenir. Et puis, surtout, il est comme qui dirait tombé en amour pour la vieille chienne.

Voilà, Conte de Fées est un roman réaliste, ou à peu près. Jusqu’à ce que dans le cabanon de la maison victorienne apparaisse un cafard gros comme un lièvre, jusqu’à ce que le vieillard dise au garçon que pour payer les frais d’hospitalisation, il n’y a pas de problème, puisque dans le coffre fort, à l’étage, il y a un seau rempli de petites billes d’or, jusqu’à ce que la chienne vieillissante ne puisse plus marcher, jusqu’à ce que Charlie apprenne qu’il y a, dans la cabanon, un passage conduisant vers un monde souterrain terrifiant où s’affrontent le Bien et le Mal, monde dans lequel on trouve un dispositif en forme de cadran qui permet de rajeunir. Que veut Charlie ? Que la chienne ne meure pas, ne souffre pas. Que fait Charlie ? Eh bien… il emmène la chienne dans l’autre monde pour qu’elle rajeunisse. Et l’aventure commence.

On peut dire qu’il y a deux niveaux d’aventure dans Conte de Fées. L’aventure fantasy, magique, qui occupe les trois quarts du roman, et l’aventure personnelle de Charlie, qui embrasse les deux niveaux, féérique et réaliste. Comment devient-on un adulte ? Comment dépasse-t-on ses peurs et ses angoisses ? Par quelles épreuves faut-il passer ? C’est là un des thèmes récurrents dans l’œuvre de King – La Petite Fille qui aimait Tom Gordon, la nouvelle The Body, pour ne citer que deux titres – et l’un des thèmes les plus prégnants de la littérature mondiale. Si King se projette entièrement dans ses livres, il nous y projette aussi, fille ou garçon, femme ou homme. Dans ce monde-ci, comme dans l’autre monde qu’il va explorer et éprouver, Charlie fait ses preuves. Avec vaillance, avec courage, avec espoir. 

C’est dans le deuxième versant du roman – à partir de la découverte de l’autre monde – que le titre prend réellement tout son sens. Autre monde que je ne décrirai pas ici, on s’en doute. Dans cette partie-là du roman, l’intertextualité est à l’œuvre :  le conte La Gardeuse d’oies des frères Grimm – la référence la plus évidente, avec le cheval qui parle –, La Foire des ténèbres de Bradbury – référence explicitement citée dans le texte, intrigue se situant dans l’Illinois –, Lovecraft, Le Magicien d’Oz, Gog et Magog, et même Murakami – l’allusion à deux lunes, par exemple, ou le passage vers l’autre monde évoquant Le Meurtre du Commandeur. Ou bien encore… bien des références encore… La partie fantasy de Conte de Fées est à la fois un festival d’intertextualité et une aventure menée lentement, avec des étirements, des amplifications, un récit qui évite soigneusement l’ellipse, à dessein. Stephen King ne tire pas à la ligne, ne prend pas son temps – il n’aurait aucun intérêt à cela. Stephen King conduit son lecteur par la main dans une balade terrifiante, non pas symbolique mais, tout bien pesé, psychologique et sociale. Dans ce monde de fantasy balisé de références, des questions essentielles sont posées : peut-on renoncer à être/devenir prince ? Peut-on aimer un frère devenu l’instrument d’une force diabolique ? Pourquoi laisser faire les choses quand on pourrait intervenir ? A ce titre-là, les dernières heures de Charlie dans l’autre monde offrent une scène terrible, une conversation percutante entre le jeune garçon et deux des protagonistes importants de la lutte entre le Bien et le Mal. 

Je dois dire ici que j’ai eu du mal, parfois, à m’intéresser aux aventures de Charlie dans l’autre monde. Des lenteurs, des longueurs, m’a-t-il semblé. Et puis, une fois la dernière page tournée, cette impression a disparu. Je tiens Stephen King comme l’un des plus grands conteurs contemporains. Si lenteur il y a, c’est qu’elle est nécessaire au récit. Au conte. Au roman. Charlie a sauvé le vieil homme tombé du toit, sauvé son père de l’alcoolisme, sauvé un autre monde soumis à des ténèbres terrifiantes. Un personnage ne voit plus, un autre n’entend plus, un autre encore ne parle plus – le triptyque des trois singes… On assiste à des jeux de cirque dignes de Quo Vadis ou de Squid Game, on se bat contre des géantes, et  j’en passe… Mais Charlie n’est au fond qu’un jeune garçon qui pédale dans les rues d’une bourgade de l’Illinois, qui aime sa chienne d’un amour déchirant, et son père d’un amour fondamental.  

Conte de Fées est un roman qui s’appuie sur une littérature de genre pour explorer la condition contemporaine et intemporelle des adolescents et des adultes. C’est le domaine d’excellence de maître King. 

Lire l’article de Virginie Neufville 



dimanche 14 mai 2023

Le Pendule de Foucault de Umberto Eco (relecture de mai 2023)

Umberto Eco, Le Pendule de Foucault (Il pendolo di Foucault, 1988), traduit de l’italien par Jean-Noël Schifano, éd. Grasset, 1990.

S’il te prend, ami lecteur, l’idée d’aller fouiller dans mon blog, tu verras que ce n’est pas la première fois que je parle du Pendule… Ce roman qui disparaît mystérieusement de ma bibliothèque, et que je rachète à chaque fois. Aujourd’hui – enfin, avant-hier, quand l’idée m’a pris de re-re-re…lire Le Pendule…, je n’ai pas retrouvé le dernier exemplaire acquis, celui du Livre de Poche dans une traduction revue par l’auteur et le traducteur. Mais je suis tombée sur la première édition Grasset, en grand format, et je sais pertinemment que ce n’est pas le livre que j’ai acheté à sa sortie, mais sans doute un achat de vide-grenier. Bref, je relis Le Pendule… dans sa première traduction et sa première édition française.

Je ne reviens pas sur ce que je disais dans mes articles de mai et juin 2019, mais je constate qu’aujourd’hui encore, je me suis lancée dans cette re-re-re…lecture au moment où s’amorcent les grandes heures de surveillance. Mercredi qui vient (le 17 mai 2023, donc) je surveille la grande épreuve de BTS MV (Maintenance des Véhicules) : de 12:30 à 18:30. Mais… et là est l’angoisse, je ne suis pas certaine de ne pas avoir fini ma lecture avant cette date-là, tant je suis plongée dans ce texte merveilleux. J’avance à trop grands pas, il ne me restera rien à me mettre sous la dent dans trois jours, qui sait…

A chaque re-re-re…lecture, je m’émerveille de ne pas avoir tressailli sur tel ou tel passage. Ou de l’avoir oublié. Le plus étonnant, cette fois-ci, c’est que j’ai hésité entre relire Guerre et Paix et Le Pendule… pour la grande surveillance. J’ai opté pour Eco, mais, malignement, Eco me fait un clin d’œil :

« Si tu écris tout un roman sur un héros sudiste qui s’appelle Rhett Butler et une jeune fille capricieuse qui s’appelle Scarlett, et puis que tu changes d’avis, tu n’as qu’à donner un ordre et Abou [= Aboulafia, l’ordinateur de Belbo] change tous les Rhett Butler en prince Andrei et les Scarlett en Natacha, Atlanta en Moscou, et tu as écrit Guerre et Paix. »

Ce qui renvoie au carré, au moins, la base romanesque de La Bicyclette bleue de Régine Desforges, soit dit en passant.

Un lecteur est fait de ses lectures, mais plus encore, je crois, de ses relectures. Je relis souvent, et beaucoup. De même que je revoie – que je revisionne – beaucoup de films ou de séries. On s’en étonne. Alors que personne ne s’étonne que l’on écoute plusieurs fois un morceau de musique. Je suis faite de mes relectures, et de mes émerveillements de relecture. Revenons au Pendule

« “O basta là”, dit Belbo. Seul un Piémontais peut comprendre l’esprit avec lequel on prononce cette expression de stupéfaction polie. Aucun de ses équivalents en d’autres langues ou dialectes (non mi dica, dis donc, are you kidding ?) ne peut rendre le souverain sentiment de désintérêt, le fatalisme avec lequel elle reconfirme l’indéfectible persuasion que les autres sont, et irrémédiablement, les enfants d’une divinité maladroite. »

Les enfants d’une divinité maladroite… mais quelle expression ! Quel bonheur d’expression ! Quelle malice dans ce sourire d’écrivain, de sémiologue, d’érudit ! Cette expression fera mon dimanche.

Je vais tenter de ralentir ma lecture pour que mercredi il me reste de quoi tenir six heures, en surveillance. C’est pas gagné… Sinon, pas grave, j’emporterai Guerre et Paix.