mardi 26 mai 2015

Portable, de Georges-Olivier Châteaureynaud



Georges-Olivier Châteaureynaud, Portable, nouvelle, in La Règle du Jeu n°57, mai 2015.

Un homme égare son téléphone portable et envisage cette perte comme une chance de recouvrer sa liberté. Il décide de ne pas en acquérir un nouveau, se sépare de sa compagne, change de voiture, d’emploi, et déménage. Cet homme neuf, dans la nouvelle, n’est pas nommé. Le prénom René lui irait comme un gant.
  
Georges-Olivier Châteaureynaud, sur cette base de contemporanéité immédiate, bâtit un de ces récits dont il a le secret : l’objet courant devient truchement entre une réalité et une autre, le hasard et la coïncidence entrent en résonances harmoniques au cœur de la psyché, le présent et le passé se rejoignent.
 
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lundi 25 mai 2015

Les Nuits blanches du Chat botté de Jean-Christophe Duchon-Doris



Jean-Christophe Duchon-Doris, Les Nuits blanches du Chat botté, éd. Julliard (2000) et éd. 10/18, collection « grands détectives » (2004 et avril 2015).

La Haute Provence en 1700. Plus précisément la vallée de la Blanche, près de Seyne-les-Alpes. Des jeunes filles sont retrouvées mortes et à moitié dévorées, sans doute par un loup. Ces bêtes-là hantent les forêts et les esprits. Près des corps, une cape rouge, qui n’appartenait pas aux victimes. Le jeune procureur Guillaume de Lautaret s’intéresse à l’affaire, surtout après qu’on a découvert d’autres morts. Ce ne sont plus seulement des jeunes filles qui sont les victimes, mais un paysan et sa femme, dont les bouches sont remplies de petits cailloux. Puis un homme, que l’on a revêtu d’une peau d’âne.

Cape rouge, petits cailloux, peau d’âne… Un serial-killer s’amuserait-il à décliner en assassinats les Contes de ma mère l’Oye ?

Les Nuits blanches du Chat botté est un roman policier rudement bien construit, à l’intrigue solide et aux personnages bien campés. Le procureur est un jeune homme alerte, au sang chaud. Il fait la connaissance d’une demoiselle qui s’ennuie dans un château, entre une mère janséniste et une hôtesse qui ne cesse de ressasser la belle vie qu’elle avait à la cour. Cette Delphine d’Orbelet est elle aussi vive et alerte, curieuse de l’enquête, fine mouche et bonne lectrice. Bien entendu, un couple se forme…

L’enquête policière sur fond historique est un classique du genre. Ici, la documentation est on ne peut plus solide, les lieux et l’époque sont rendus avec soin. Sans que cela tourne au cours magistral, les conflits spirituels du temps sont expliqués et intégrés à l’énigme (doctrine de Port-Royal, protestants, catholiques…). Quelques scènes sensuelles, et même très « chaudes »,  donnent aux Nuits du Chat botté leur originalité. On sait depuis Bruno Buttelheim que les contes de fées sont aussi des histoires de psyché et de sexe. Les jeunes filles assassinées ont vu le loup, qu’il soit métaphorique ou bien réel. La jeune Delphine, toute bien élevée qu’elle soit, prodigue à l’homme qu’elle aime de jolies caresses avant le mariage. Le procureur, quant à lui, trousse à la hussarde une belle femme du peuple qui pourrait bien être sorcière… Un des chapitres les plus réussis est sans doute celui ayant pour toile de fond le retour de transhumance des troupeaux. Les bergers apparaissent comme des hommes de liberté, fascinants et dangereux.

A Paris, le procureur Guillaume va rendre visite à Charles Perrault. Le lecteur plonge alors au cœur d’une histoire familiale et d’une querelle littéraire (non encore résolue aujourd’hui) dans laquelle le père Charles aurait réécrit les contes que son fils Pierre avait collationnés, ou racontés à sa manière. C’est d’ailleurs sous le nom de Pierre Darmancour que les Contes de ma mère l’Oye ont paru la première fois.

On pourra regretter, peut-être, une écriture parfois ampoulée. Mais au fil de la lecture, la curiosité prend le pas sur l’agacement. Et la résolution de l’énigme est vraiment étonnante. Ce roman, qui débute par « il était une fois » et s’achève sur « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » n’est pas un conte de fée, mais une histoire bien ficelée, bien documentée, qui parvient à réconcilier le réalisme historique avec le merveilleux.

mardi 19 mai 2015

Regards croisés (16) – La Nouvelle Vie d’Arsène Lupin d’Adrien Goetz


Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration avec Virginie Neufville


Adrien Goetz, La Nouvelle Vie d’Arsène Lupin, éd. Grasset, avril 2015, 234 pages.

La littérature populaire a ses héros – elle repose sur eux. Son panthéon abrite nos meilleurs amis et nos pires ennemis : D’Artagnan, Maigret, le docteur Cornélius, Fleur-de-Marie, San-Antonio, Fantômas, Rouletabille… L’une de ses figures prépondérantes est sans doute Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur. Y sont attachés des lieux – Étretat avant tout –, des objets – monocle et huit reflets –, des attitudes – galanterie et élégance. Lupin appartient à l’inconscient collectif, né sous la plume de Maurice Leblanc, incarné sur les petits et grands écrans par Robert Lamoureux, Georges Descrières ou Roman Duris (entre autres), chanté par Jacques Dutronc.

Adrien Goetz ressuscite l’Arsène. Ressuscite ? Disons qu’il prolonge le personnage, qu’il l’envisage sous l’angle du XXIe siècle, ordinateurs et embryons congelés à la clé. Ce pourrait être retors et amusant – et ça l’est. Mais l’intérêt du roman de Goetz réside avant tout dans la fidélité au personnage princeps. Lupin est un mélancolique au grand cœur. Un voyou dandy. Un déclassé qui cherche sa revanche. Un dépressif qui ne trouve son salut que dans le panache et la possession de la beauté, femmes ou œuvres d’art. L’Arsène d’Adrien Goetz est conforme au modèle, revisité mais fidèle.

Tout commence, ici, à Strasbourg, sous la bâche publicitaire qui occulte les travaux de la façade de la cathédrale. Paul Beautrelet, descendant d’Isidore Beautrelet, le lycéen-détective personnage de L’Aiguille creuse, marche sur les pas de son aïeul : étudiant vainqueur du concours « ma thèse en trois minutes », il assiste en direct à la disparition des statues de la façade strasbourgeoise, et se retrouve aux côtés de Lupin, hésitant entre admiration et indignation. Joséphine Balsamo est aussi de l’aventure : beauté séculaire, séductrice dominante, elle est l’un des fils conducteurs de ces nouvelles aventures lupinesques, qui sont avant tout les nouvelles aventures de Paul-Isidore Beautrelet. Le jeune homme n’est pas le candide de l’histoire, il en est le lazarillo du lecteur contemporain. Paul-Isidore succombe aux charmes de la Cagliostro pour que l’histoire - les histoires - continuent de nous captiver.

Pour pister un cambrioleur, il faut un détective. Le Sholmès de Maurice Leblanc était ridiculisé, celui d’Adrien Goetz ne l’est pas moins, remis à la sauce du XXIe siècle. Le Sholmès de Goetz est celui de nos séries de télévision, celui qui vit avec un compagnon blogueur. L’axe du monde s’est désaxé, nous penchons vers l’extrême Orient. Un maître de mangas, et sa fille aux yeux verts, sont au centre d’une des aventures.

Car le « roman » que tisse Adrien Goetz est un collier (de la reine ?) de petites perles indépendantes, chaque chapitre étant une aventure en soi, maillon d’une chaîne plus ample, d’un sautoir. La plus belle eau de ces chapitres est sans doute dans le chapitre 6, intitulé « Le bouchon de cristal ». Lupin y apparaît défait, saturnien :

« Arsène Lupin se souvient d’avoir connu le spleen, la mélancolie des paquebots, la vague des passions, les dimanches d’août, la nausée des mauvais matins et la tristesse des fins d’amour, mais pas autant que ces derniers mois. Ils se sent seul ». (p. 166)

Lupin vit au sommet de la fondation Vuitton, son ami Franck Gehry lui a aménagé un appartement secret. On n’est jamais aussi seul qu’au sommet du luxe, peut-être. On s’ennuie. On regarde la télévision. On manigance pour gagner un vague concours, on manipule le scénario… Ce chapitre - cette aventure - nous place en pleine contemporanéité, sans dévier de la ligne tracée par Leblanc. Lupin et Beautrelet se défient, tous deux roués, tous deux fonceurs. La mort viendra, qui laissera l’un d’eux sur un carreau dérisoire – tombé sous les balles d’un fantoche de renom –, et l’autre inconsolable. Jusqu’au renversement final.

Dans « La lettre de l’auteur à Maurice Leblanc » en fin d’ouvrage, et les remerciements du Post-scriptum, Adrien Goetz éclaire le lecteur sur la composition de son ouvrage, et les détournements de quelques-uns des personnages. « Ces sept aventures sont une fantaisie contemporaine, écrites “pour le divertissement de l’auteur” », dit-il. Pas seulement pour celui de l’auteur. Le lecteur contemporain trouve ici un divertissement pétillant, intelligent, et élégant.
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Lire l’article de Virginie Neufville sur ce roman