mardi 29 mars 2016

La Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan



Mariam Petrosyan, La Maison dans laquelle, traduit du russe par Raphaëlle Pache, éd. Monsieur Toussaint Louverture, mars 2016, 960 pages.

Mais comment font-ils, chez Monsieur Toussaint Louverture ? Comment font-ils pour n’éditer que du très bon, ou du pur chef d’œuvre ? Dénicher un roman tel que Karoo était déjà en soi un exploit. Rééditer l’exploit tient du prodige. Avec La Maison dans laquelle, cette excellente maison d’édition se surpasse à nouveau. Voilà ce qu’il est convenu d’appeler « un roman monstre », terme générique à la définition floue. En tout cas, c’est du lourd. Dans tous les sens du terme. 960 pages imprimées sur papier 60 grammes (main de 1,6), sous couverture en Brossulin 290 grammes. Ça pèse. C’est beau. La couverture est magnifique, « imprimée en offset avec toutes les couleurs possibles et imaginables (même si elles demeurent invisibles à l’œil nu), puis étoilée d’argent » nous apprend le colophon, parce qu’ils sont comme ça, chez Monsieur Toussaint Louverture, ils nous adressent des sourires, des clins d’œil. Ils sont, disons-le tout net, formidables.



mardi 22 mars 2016

Histoire du couple de Jean Claude Bologne



Jean Claude Bologne, Histoire du couple, éd. Perrin, 3 mars 2016, 320 pages.

Qu’est-ce qu’un « couple » ? Deux personnes qui vivent ensemble ? Peut-être. Pas sûr. Deux colocataires, vivant pourtant sous le même toit, sont-ils en couple ? En patinage artistique, deux sportifs concourant pour le titre de champion du monde en couple forment-ils un couple à la ville comme à la glace ? Au tennis, on dit « double mixte », et non pas « couple ». Et puis, un couple, ce n’est pas forcément hétérosexuel, non ? Considérait-on Jean Marais et Jean Cocteau comme un couple ? Mentalement, sans doute. Dans le vocabulaire, c’était une autre affaire. La récente loi Taubira, en autorisant le mariage entre personnes du même sexe, a forcé les lexicographes à revoir leurs définitions. Et qu’en est-il de ces unions pérennes entre deux personnes qui ne partagent pas le même appartement ? Et pourquoi dit-on « un couple de bœufs » et « une paire d’amis » ? Décliner les exemples et contre-exemples s’avère un exercice à la fois ludique et révélateur. Les mots nous trompent, et nous nous trompons en les employant.

vendredi 11 mars 2016

Le Génie des coïncidences de John Ironmonger



John Ironmonger, Le Génie des coïncidences (The coincidence authority), traduit de l’anglais par Christine Barbaste, éd. Stock, 2014 et éd. 10/18, février 2016.

De quelle manière bascule-t-on, dans la vie et dans le vocabulaire, du hasard à la coïncidence, et de la coïncidence au destin ? Un faisceau d’événements concordants, d’enchaînements impensables et de recoupements infrangibles peut-il laisser penser que tout est écrit ? Que quelqu’un, ou quelque chose, tire les ficelles de nos vies ? Thomas Post, pâle petit chercheur installé à Londres, consacre son temps à démontrer que les coïncidences n’existent pas. La loi des grands nombres liée à celle des statistiques, voilà son credo.

C’est compter sans Azalea. Cette jeune femme, dont la vie chaotique semble suivre une pente toute tracée, va faire vaciller les convictions de Thomas. Et si, au fond, il y avait quelque chose, une force, une volonté supérieure, qui décidait de tout ? La vie d’Azalea semble condenser les malheurs et les interrogations. Lorsqu’elle a 3 ans, sa mère l’abandonne dans une fête foraine. Mais en fait, la mère a été assassinée, et l’abandon n’était pas concerté. La fillette originaire de l’île de Man n’a pas de père, ou en a trop : trois hommes peuvent prétendre au titre. Elle est recueillie par la famille Folley et va passer son enfance en Afrique. Azalea est persuadée qu’elle mourra le jour du solstice d’été 2012, parce que cette date-là, le 21 juin, tous les dix ou vingt ans, signe la mort d’un de ses proches : mère, père putatif, mère adoptive… Elle voit là un déroulé implacable, auquel elle ne peut échapper.

Thomas et Azalea vivent une histoire d’amour, évidente mais empêchée par les convictions contraires de l’un et de l’autre. La rupture est inévitable. Jusqu’à ce que Thomas, poussé par son mentor à l’université, parte sur les traces d’Azalea revenue sur ses terres d’enfance.

Le Génie des coïncidences est un roman dont le motif avoué – l’idée du destin contre la rationalisation des faits – cache un sujet autre, aussi fort. L’enfance d’Azalea se déroule en Ouganda, dans une mission où enseignent ses parents adoptifs. Le lecteur est transporté dans l’univers terrible des enfants-soldats, et des exactions de la LRA (Armée de Résistance du Seigneur). Cette partie-là de l’histoire, très bien documentée et très bien rendue, parvient même à faire oublier le titre du roman. En Afrique, dans les années 1990, il ne s’agit pas de s’interroger sur les coïncidences. Le sort des enfants, la folie des illuminés, l’intervention des mercenaires, les trafics d’armes, et Azalea rencontrant – par hasard ? – l’un de ses pères potentiels… voilà sans doute la vraie trame du roman, la plus réussie.

On ne s’ennuie pas un instant dans Le Génie des coïncidences. On part sur une voie, on bifurque, on pense entrer dans une histoire d’amour assez convenue, une sorte de bluette joliment menée, mais John Ironmonger nous embarque sur d’autres chemins, inattendus. Et autrement captivants.