vendredi 29 novembre 2013

La liseuse de Paul Fournel



Paul Fournel, La Liseuse, P.O.L. et Folio

La « liseuse », c’est tout autant la jolie jeune fille penchée sur un livre dans un tableau de Fragonard ou de Renoir, qu’une tablette électronique. Robert Dubois, le personnage central du roman de Paul Fournel, est éditeur. Autant dire « liseur ». Il lit, des manuscrits, qu’il annote au crayon. Lorsqu’une stagiaire lui met entre les mains une de ces machines permettant de stocker une bibliothèque entière sous forme numérique, sa vie bascule. Comment écrit-on dans les marges électroniques ? « Mon crayon inutile est resté sur mon oreille (je suis un lecteur boucher) et je me demande bien comment je vais organiser ma chasse aux coquilles. L’idée de faire apparaître un clavier, comme la stagiaire me l’a montré, et de me glisser dans le texte me rebute ». L’aventure commence ici, il s’agit de dompter la machine, de se l’approprier, et d’en tirer plus ou moins profit.

Mais l’appareil moderne n’est que la matérialisation – terme étrange dès lors qu’il s’agit, justement, de dématérialiser le livre – d’une mutation-évolution plus souterraine, et plus désespérante, du monde de l’édition. Paul Fournel n’est pas du genre à se désespérer lourdement. En homme bien éduqué il choisit l’humour, cette forme raffinée de politesse.

L’éditeur Robert Dubois, que l’on appelle parfois Gaston – suivez mon regard – est un honnête homme qui  croit encore en son métier, qui rêve encore de découvrir un chef-d’œuvre dans la pile de manuscrits qu’il emporte chaque vendredi pour un week-end de lecture, qui est bien conscient qu’il n’y dénichera, au mieux, qu’un « bon livre », et qui toujours se retrouve face à un texte qui raconte l’histoire « d’une fille qui rencontre un type, mais… ». Les pages sur le monde de l’édition sont les plus savoureuses. Tout, ou presque, y est férocement et tendrement évoqué, du comité de lecture aux réunions bisannuelles avec les représentants : « Au comité de lecture, les dés sont pipés. Depuis le jour où j’ai vu surgir dans le programme un titre dont la publication n’avait pas été décidée en comité, j’ai su que c’était fini » ; « J’aime les représentants, des gaillards qui chaque matin tournent la clef de leur Peugeot diesel pour aller vendre des livres alors qu’ils pourraient tout aussi bien aller vendre autre chose, vendre par exemple des choses dont tout le monde a besoin et sur lesquelles il n’y a rien à dire ».

Dans le monde de l’édition, on trouve aussi les auteurs, bien entendu. Le personnage de Geneviève est exemplaire : écrivain à succès, elle court les foires et les signatures en librairie, répond à chacun – à chacune, car les lecteurs sont des lectrices, on le sait bien – ce que chacun veut entendre, elle choisit un tailleur chic et une coiffure sage pour les séances de dédicace mais se change en tornade hirsute et bigarrée pour aller souper au restaurant avec son éditeur. Le portrait est cruel, mais il l’est bien moins pour l’écrivain que pour le lecteur. Ce lecteur, toujours en creux, jamais différencié, et qui pourtant fait tourner la boutique, n’est que le maillon ultime de la chaîne. Ce lecteur, que l’on va convertir – ou qui s’est déjà converti – à la production numérique, n’est qu’une entité que l’on aurait pu appeler « lectorat » mais qui n’apparaît jamais autrement que comme faisant partie du « marché ». L’édition est aussi une industrie. Cette industrie est soumise à mutation technique. Robert Dubois décide donc de constituer une équipe spécialisée dans le numérique. Et c’est là qu’entrent en scène les stagiaires. L’édition est une industrie qui repose sur le travail non rémunéré d’une armée d’étudiants corvéables et reconnaissants. Les stagiaires, jeunes, mangeurs de hamburgers et de frites au ketchup, versés en informatique, inventent pour les iPhones et iPads de tous poils de nouvelles manières de vendre non plus des livres mais des textes, sous forme de feuilletons auxquels on s’abonne, de devinettes rédigées par Le Clézio et dont la solution n’est donnée que le jour suivant…

La Liseuse est un roman élégant. Écrit par un acteur du milieu – Paul Fournel a été éditeur chez Ramsay et Laffont, entre autres, et a dirigé Seghers à la meilleure époque. La Liseuse est le roman désabusé et réjouissant d’un écrivain qui s’amuse et se désole, qui éclaire plus qu’il ne dénonce la vie éditoriale. Et comme Paul Fournel est un oulipien bon-vivant, on trouve dans La Liseuse du brouilly, de la blanquette, et une contrainte en sextine subissant une attrition.

NB : à propos de la contrainte en sextine, voir la postface de Paul Fournel pour l'édition anglais de La Liseuse
   

Quelques jours au Brésil (journal de voyage) d'Adolfo Bioy Casarès



Adolfo Bioy Casarès, Quelques jours au Brésil (journal de voyage), édition, postface et traduction  de l'espagnol (Argentine) par Michel Lafon, Bourgois, avril 2012.

Du 23 au 30 juillet 1960, l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares se rend au Brésil pour participer au congrès du PEN Club. À ce moment-là, Bioy a quarante-six ans, est marié depuis vingt ans à Silvina Ocampo. Ce journal de voyage forme un tout au sein de l’immense journal que l’écrivain a tenu (vingt-mille pages de cahiers remplies entre 1947 et 1999). Durant une semaine, Bioy va visiter Brasilia en chantier, Saõ Paulo, et Rio. Durant une semaine, Bioy va rencontrer des écrivains, et non des moindres, Graham Greene, Alberto Moravia et Elsa Morante, entre autres. Ce journal de voyage est aussi un journal intime. On y découvre des paysages et des comportements locaux, mais on y trouve également, et surtout, des réactions de mauvaise humeur, des contrariétés, des irritations.

Elle s’appelait Ophelia. Une toute jeune Brésilienne rencontrée en 1951, qui s’évanouit à la vue de Bioy « par admiration ». Ils ont une aventure, à Paris. En 1957, l’écrivain reçoit une lettre très affectueuse de celle qu’il appelle Opheliña. Lorsque Antonio Aita, le président du PEN argentin, propose à Bioy de se rendre au Brésil pour le congrès, en 1960, le souvenir non effacé d’Opheliña est le motif sous-jacent de son départ. Le Brésil ? Oui, pourquoi pas ? Pour retrouver Ophelia, qui sait ? Voilà le joli fil rouge qui donne sa cohérence à une semaine assez décousue. Amitiés et inimitiés entre écrivains, hôtels et restaurants, maux de tête et insomnies… sans le fantôme d’Opheliña, le journal de voyage ne serait que la relation égocentrée d’une semaine assez vaine. Mettons à part les pages sur l’escapade à Brasilia – et les photos qui l’accompagnent. À Brasilia, dans un chantier gigantesque, Bioy pointe les incongruités et les aberrations de la nouvelle capitale : il faut faire soixante kilomètres aller-retour pour acheter une brosse à dents si l’on a oublié la sienne, par exemple. On est au milieu de nulle part, entre gigantisme pompeux et mégalo et Indiens aux « oreilles larges comme la main, percées, qui étaient il y a encore trois ans les seuls habitants de la zone ». Opheliña est invisible, et le restera. Bioy, lui, incorrigible séducteur, détaille et jauge toutes les femmes qui passent à sa portée durant le séjour brésilien.
  
La postface de Michel Lafon, en écho à Quelques jours au Brésil, s’intitule Quelques jours avec Bioy. Ces quelques pages – vingt au total – sont le récit d’une amitié dense et partagée. Michel Lafon dit ici son admiration pour l’écrivain, sa peur et sa joie de le rencontrer, son émerveillement de le côtoyer. Cette postface reprend subtilement la structure du journal de Bioy. Une scène « primitive » : la rencontre avec Ophelia en 1947 pour l’écrivain argentin ; le souvenir d’un après-midi d’été de 1972 pour Michel Lafon, lorsque son oncle demande au cours d’un jeu familial « si à cet instant vous pouviez convoquer d’un coup de baguette magique une personne vivante, qui choisiriez-vous ? » et que le neveu répond « Adolfo Bioy Casares ». Le neveu deviendra argentiniste, c’est-à-dire spécialiste de l’Argentine, de sa littérature. Et nouera une belle amitié avec celui qu’il voulait convoquer à la fin de l’adolescence.Quelques jours au Brésil et Quelques jours avec Bioy parlent d’Adolfo Bioy Casarès. À cette différence près – abyssale – que l’écrivain parle de lui-même, alors que Lafon parle de l’écrivain. En véritable écrivain, lui aussi. L’émotion est dans la postface : « J’essaie de me concentrer et de m’enthousiasmer, mais je ne peux éviter de me dire que je suis en train de dîner avec le personnage de “Tlön, Uqbar, Orbis Tertius”, avec l’amant de Faustine et de Paulina, avec l’explorateur des îles du Tigre et du Diable ».

NB : Cet article a été écrit en respectant une contrainte (ne jamais citer le nom de Borgès pour évoquer Bioy Casarès…)
  

Surprise 4 - Inferno de Dan Brown



Dan Brown, Inferno, traduit de l’anglais (USA) par Dominique Defert et Carole Delporte, Lattès, 23 mai 2013, 276 pages.

Malthus et Dante, dans un même mouvement, une même envolée. Il n’y a que Dan Brown pour oser ça. Déjà, dans Anges et démons, on était conviés à l’appariement de l’antimatière et du Bernin. Dans Inferno, la ville de Florence, puis celles de Venise et d’Istanbul, vont servir de décor à une course contre la montre. Il s’agit, une fois de plus, pour Robert Langdon, de sauver le monde. Les romans de Dan Brown sont efficaces comme les films où officie Bruce Willis. Rapides, et même lapidaires, sans psychologie encombrante. Les romans de Dan Brown sont… efficaces. Tenons-nous en là. On pourrait malignement les comparer à ceux de Musso ou de Levy, toutes proportions gardées (tirages impressionnants, mais pour Dan Brown, ils sont méga-impressionnants). Tout le monde lit Brown. Dans le métro, sur la plage, sur sa terrasse. Inferno ne fera pas exception à la règle. 

Florence, donc. Et l’Enfer de Dante. Il ne s’agit même pas d’une caution littéraire. L’Enfer sert d’appui à une énigme qui semble alambiquée : au moyen d’un projecteur high-tech dissimulé dans un tube destiné à transporter sans risque des virus et des bactéries mortelles, Langdon découvre la représentation dantesque de l’enfer illustrée par Botticelli. Un biologiste à l’idéologie discutable prévient de cette manière que la fin du monde est proche, et qu’il en est le truchement. Wow ! Efficace, à tout le moins. Le fond culturel européen et la recherche la plus pointue. Imparable. Dan Brown tient un sujet, un décor, une caution culturelle. Idée de base : appliquer à l’ère contemporaine les observations historiques sur la grande peste du Moyen-âge. La Renaissance est née de la grande peste, nous explique-t-on. Un tiers de la population de l’époque a été décimée, permettant aux deux tiers restants de se partager plus abondamment les récoltes, et trouvant dans le presque miracle de leur survie l’élan nécessaire à faire bouger l’Histoire. C’est ce qu’on nous explique dans le roman, et on veut bien le croire, même si l’explication semble un peu courte. Appliquée aux temps contemporains, l’équation de la grande peste fait frémir. Un diagramme force la terreur : l’explosion exponentielle de la population mondiale conduit au chaos. Bonjour Malthus. Pour que le monde avance, et connaisse une nouvelle Renaissance,  il faut supprimer un tiers des terriens. D’où l’idée du virus répandu, qui aiderait à l’hécatombe. Ce qui est dérangeant, pour le moins, dans le roman de Dan Brown, c’est que l’équation n’est même pas discutée. Elle est même entérinée, dans une conclusion qui gêne un peu aux entournures. Et quand je dis « un peu »…
  
Les personnages sont magnifiquement attendus. Ils obéissent aux canons de l’écriture de best-sellers, qui n’est pas à confondre avec la littérature dite populaire. Les personnages de best-sellers sont calqués sur une grille, et dans Inferno l’utilisation du canon est rigoureuse. Prenez une jeune femme, blonde, grande, intelligente (dans le roman, Sienna Brooks, l’héroïne, a une QI de 208), dotez-la d’une faille (incomprise parce que trop intelligente) et d’un don (Sienna Brooks en a deux : elle parle à peu près toutes les langues et est excellente comédienne). Prenez une autre femme, mûre, aux cheveux d’argent, donnez-lui un poste à décision (Elizabeth Sinskey, l’héroïne en second du roman, est directrice générale de l’OMS), et dotez-la d’une faille (elle n’a pas pu avoir d’enfants et en souffre. Notez au passage que cette faille est cohérente avec le problème de la surpopulation). Prenez un héros récurrent, Robert Langdon, qui a déjà fait ses preuves dans le Da Vinci code et dans Anges et démons, insistez sur sa faille (la claustrophobie) et sur sa résistance hors-normes (groggy sur son lit d’hôpital au début du roman, il fuit, échappe à de multiples poursuivants, réfléchit à tout berzingue), mettez-le en situation de faiblesse (il a perdu la mémoire). Prenez un décor universellement connu et couru (Florence). Ajoutez une pointe de théorie du complot (une organisation mystérieuse qui permet à ses riches clients de disparaître pour travailler en paix à des projets d’importance) et une bonne louche de littérature universelle (La Divine Comédie). Mélangez le tout. Enfermez les traducteurs dans un bunker pour que rien ne soit divulgué avant la diffusion du petit dernier. Et vous obtenez Inferno, promis au plus bel avenir.
   
J’ai déjà vécu ça. Aux temps du Da Vinci code, j’ai répondu à des rafales de questions, du genre « mais tu le savais, toi, que Jésus, il était marié ? Avec Marie-Madeleine ! » ; ou pire « Toi qui sais tout de Cocteau, soi-disant, tu peux m’expliquer cette histoire du Prieuré de Sion ? » Il se trouve que durant des années, j’ai passé mes vacances à Florence et à Ravenne (la ville de Dante, et la ville où il est enterré). Avec la publication d’Inferno, côté questions, je m’attends au pire. On peut passer des heures à réfuter ceci ou cela, à donner des indications bibliographiques, rien n’y fait. Il ne sert à rien de se battre sur ce terrain-là. On lance quelque objections, puis on saisit sa coupe de champagne ou son verre de rosé – ce genre de discussion, qualifiée de « littéraire », a toujours lieu à l’heure de l’apéro – et on passe à autre chose. Il y a, dans la figure de Langdon, quelque chose d’un Indiana Jones dénaturé, plus fadasse, moins érotisé, mais l’aventure c’est l’aventure. On ne se bat pas contre le héros des plages estivales.
   
Mais on lit, tout de même. On lit attentivement. On passe sur le fond dantesque, florentin, vénitien, stambouliote. Mais on râle. On a bien le droit de râler. On sait qu’Inferno, ce n’est pas de la  littérature, au sens où ça n’invente rien, ou ça ne réinvente rien. C’est un plat réussi par un bon cuisinier qui a suivi pas à pas une recette de grand-mère hollywoodienne. Ce n’est pas un plat de chef. Mais oui, on râle. Parce que la Florence décrite est un décor de carton-pâte. Parce qu’on aurait aimé, par exemple, que la traversée du corridor Vasari, sur le Ponte Vecchio, soit un morceau de bravoure, quand elle n’est qu’une description servie par une prose de guide touristique – et pas des meilleurs. Parce que Dante méritait mieux, et Liszt aussi, et Botticelli. Parce que tout ramener à l’aune étatsunienne finit par devenir lassant. Petit florilège (non exhaustif) : « Les barreaux de fer forgé étaient surmontés de pointes dorées. On eût dit la clôture d’une maison de banlieue américaine » (pour info, c’est là la description des grilles qui protègent les Portes du paradis devant le baptistère sur la place du Duomo à Florence) ; « Langdon avait toujours du mal à comprendre comment cette minuscule cité – à peine deux fois la superficie de Central Park à New-York – avait pu être un jour l’une des plus puissantes d’Occident » (pour info, la minuscule cité est Venise) ; « à perte de vue, la grotte déroulait le voile sombre et lisse de ses eaux, semblable à la surface noire d’un étang gelé de Nouvelle-Angleterre » (pour info, il s’agit des souterrains inondés sous Sainte-Sophie, à Istanbul) ; allez, une petite dernière citation : « à voir la foule de visiteurs qui entrait et sortait des arches, le marché aux épices semblait plus grand qu’un centre commercial américain » (pour info, il s’agit du marché aux épices de la même Istanbul).
   
Inferno n’est pas un livre érudit. Il n’est jamais fait appel à la culture du lecteur (que l’on suppose nulle, a priori). Les allusions littéraires, historiques, sont dévidées comme un catalogue encyclopédique, et les implications politiques et économiques ne sont jamais discutées ni mises en perspective, mais assénées comme des vérités premières. Le thème de la surpopulation et de ses implications aurait mérité – mériterait – un traitement humaniste. Mais pour l’Humanisme, on repassera. Pour un bouquin qui prône une nouvelle Renaissance, on est, avec Inferno, dans les bas-fonds de l’obscurantisme.



NB : ce livre aura au moins le mérite de renvoyer le lecteur curieux et conscient vers le texte de Dante, superbement édité par les éditions Diane de Selliers (illustrations de Botticelli, traduction Jacqueline Risset). Une application est disponible pour les smartphones, qui montre l' "entonnoir".
  

jeudi 28 novembre 2013

Salut Marie ! d'Antoine Sénanque



Antoine Sénanque, Salut Marie !, Grasset, mai 2012, 256 pages.

Sur la bande rouge de la couverture, on lit « La Vierge m’est apparue le 1er avril 2008. La date était mal choisie ». Le narrateur, Pierre Mourange, que dans son entourage certains s’ingénient à appeler Morange, va être par trois fois « victime » d’une apparition de Marie, comme une espèce de mauvaise blague. Une apparition tout à fait traditionnelle : « Une jolie femme, la trentaine, brune, en robe bleu pâle, nimbée d’azur, perchée sur un croissant de lune ». D’ailleurs, les autorités ecclésiastiques ne mettent pas en doute les paroles de Pierre. En revanche, son frère, sa belle-sœur, son ami Félix, croient plutôt à des hallucinations, à une fatigue dépressive, due à un deuil non résolu. En effet, Pierre Mourange a perdu son épouse dix ans auparavant, et depuis, il semble continuer à vivre sans vraiment être là, assez détaché, aux prises avec un chagrin qui ne s’exprime pas.

La bande rouge de la couverture donne le ton de ce roman : il s’agit d’une comédie. Une comédie parfaitement réussie, qui n’exclut ni la gravité ni la réflexion, qui les traitent au contraire de la seule manière acceptable. Sénanque choisit l’humour (le vrai, le triste), et le contre-pied. Son personnage, Pierre Mourange, ne se pose pas la question de la véracité des apparitions de la Vierge. Pour lui, c’est une vérité. Un fait. La seule question qu’il se pose est « mais pourquoi moi ? » Il ne demandait rien, il n’attendait rien. Son père, en vieillard lucide, retourne le problème dans le bon sens : « Le mystère, Pierre, ce n’est pas que la Vierge Marie t’apparaisse, c’est que les autres ne t’apparaissent pas. Les bien visibles, tes proches ». La vie de Pierre était centrée sur la « disparition » de son épouse et les « apparitions » vont le contraindre à s’ébrouer. Il devient l’ami d’un prêtre, il rencontre une Mariette qui concocte d’étranges médecines, il s’intéresse à une jeune anorexique, il regarde d’un autre œil son assistante… Et, bien entendu, il fait le pèlerinage à Lourdes.
    
On n’en dira pas plus sur le déroulé du roman, pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur. Car il y a un vrai plaisir à lire Salut Marie !. Qui tient à cet humour grave que nous avons souligné, et à cette humanité de presque chaque situation. Un exemple : Pierre Mourange est vétérinaire. Il s’est plus ou moins spécialisé dans les chiens, et délègue à un collègue le soin des autres animaux. Les chiens, dans le roman, tiennent une place prépondérante. Surtout le mercredi – car ce jour-là, c’est le jour des euthanasies. Le motif canin concentre, d’une certaine façon, toutes les angoisses à propos de l’amour, la mort, la fidélité, la vieillesse, la maladie, l’abandon. Autant de motifs qui vont être déclinés, plus ou moins, dans les personnages.
   
Le roman est écrit dans une belle langue. Le choix des prénoms – Pierre, Simon, Marthe… – ancre la narration dans un fonds religieux. Les variations autour du prénom de Marie – Mariette, Rose Marie – recentrent le propos sur l’amour lui-même. Cet « amour », on le trouve dans le patronyme Mourange, qui lorsqu’il est déformé en Morange fait pencher le personnage de Pierre vers son côté mortifère. La scène de Lourdes, comique et désespérée, sous-tend l’idée que les voies du Seigneur, et de la Vierge, sont impénétrables. Avec Salut Marie !, Antoine Sénanque offre un roman discrètement lié à une réalité culturelle, tout en l’élargissant à… on n’ose dire à l’« universel », car ce terme-là est connoté et renvoie au catholicisme… Disons simplement qu’Antoine Sénanque nous offre un roman délicieux, comique et mélancolique, profondément tendre. Ou tendrement grave. Qui parle à chacun.
   


Dans un autre temps de Philippe Caubet



Philippe Caubet, Dans un autre temps, éditions Pierre Guillaume de Roux, septembre 2011, 272 pages.

Un homme trouve un agenda sous la table d’une pâtisserie-salon de thé où « une serveuse aux paupières molles et au pas de phoque » lui sert de minuscules gâteaux aux noms surprenants : « consolation-d’hiver et « falbalas-délice ». Ces gâteaux, le narrateur les juge « vétustes », « de couleur morte ». Cet agenda, le narrateur va le conserver, décidant de se rendre aux rendez-vous qui y sont consignés. Dehors, il neige. Dans un autre temps, le roman de Philippe Caubet, nous entraîne dans un parcours lent, au long des rues désertes d’une ville qui a connu des jours meilleurs, où les jardins sont clos, les musées vides. Ce périple, commencé sous la neige de février, s’achève en mars, au printemps. La neige laisse place à la pluie, puis les branches des arbres se couvrent de fleurs.

La ville du roman n’a pas de nom, on y trouve une « gare des départs » et une « gare des arrivées », les journaux locaux sont Impressions du soir ou Nouvelles de ce matin, on peut y manger dans les restaurants « Morsures » ou « La Lune rouge », jouer aux cartes dans un cabaret à l’enseigne du « Gant de boxe ». Le narrateur, poussé vers la périphérie à cause des rendez-vous notés dans l’agenda, découvre des quartiers et des rues qu’il ne connaissait pas, le quartier des Infirmes ou celui des Oiseaux, l’allée des Ronces, le boulevard Occidental ou celui des Infantes.

On l’aura compris, ce roman n’a rien de réaliste, rien de quotidien. Il faut y entrer en acceptant d’emblée de visiter un territoire troublant, déstabilisant. Un univers sensible.

Le narrateur, dont on ignore le nom, s’insinue dans la vie du propriétaire de l’agenda, dont il pense qu’il peut s’agir d’un certain monsieur Chappelle. Ce narrateur est apparemment désœuvré, en ressortant de la pâtisserie il a le sentiment qu’un « petit carnet [lui] tenait compagnie ». Lui, qui aurait aimé avoir « un père mieux portant et une mère plus aimable », qui déplore qu’aucune photographie de ses parents n’ait été sauvée – elles sont toutes passées par les flammes, celles de sa mère brûlées par elle-même, celles de son père plus tard, dans un incendie – mène une vie désolée, dont il ne se plaint pas. Sa vie se résume à : « L’escalier jauni, les trois étages, la trace rouge sur le mur entre le deuxième et le troisième, la porte aux chats qui s’enfuient, la serrure qui résiste à la clef, le regard des livres empilés, l’odeur du couloir, le tapis qui s’effiloche, les fauteuils éclairés par le réverbère ». Chaque fois qu’il revient d’un rendez-vous noté sur l’agenda de ce monsieur Chappelle, la même description nous est donnée, exactement la même, à la virgule près. De l’enfance du narrateur, à part le désastre des photographies de ses parents, nous savons uniquement qu’il l’a passée dans « un hôtel particulier bleu ». L’escalier jauni, la trace rouge sur le mur, et l’hôtel particulier bleu évoquent les trois couleurs primaires, essentielles à la déclinaison chromatique. Dès lors, dès que ces trois couleurs ont été mises en place, on peut passer à l’orange d’une chevelure, au vert d’un costume, au marron d’un pardessus. Et surtout au noir, au blanc, au gris. On peut avoir une lecture picturale de ce roman. Cette ville fantomatique, ces gares désertes, vides, évoquent immédiatement une atmosphère à la Chirico.

L’écriture de Philippe Caubet, apparemment classique, est savoureuse. Les portraits sont brossés d’un trait, « des dames aux grosses jambes », « il était debout, très petit et fort large », « l’homme était petit, fardé, atteint d’un tic de la lèvre supérieure qui faisait apparaître des dents sur la défensive », les décors plantés sur le même mode détaillé et allusif à la fois, le tout faisant naître un monde – oui, un monde – étrangement décalé, entre fantaisie et tragédie.

Dans un autre temps est de ces textes mystérieux, qui racontent une histoire inattendue, mais dont on devine, à la lecture, une signification souterraine. Ils sont bien peu, ces textes-là, bien peu à être parfaitement réussis. On pense à Épépé, de Ferenc Karinthy, ou à Forêt-forteresse, de Michel Host. Dans le roman de Philippe Caubet, une des clés se trouve sans doute dans l’orthographe particulière de deux mots : le propriétaire de l’agenda est nommé Chappelle, avec deux P, et dans ce nom, plus que le bâtiment religieux, on subodore un « j’appelle » ; le narrateur s’obstine à écrire « tiroire » au lieu de « tiroir », et dans ce mot allongé, on devine « histoire » et « mémoire ».

Ne dévoilons rien d’autre. Laissons au lecteur la découverte plus complète de cette ville, de ses habitants, de ses cérémonies, de son administration… Concluons simplement en affirmant que Dans un autre temps est une magistrale figuration du deuil.
  

Le marchand de biens d'Alice Seelow



Alice Seelow, Le Marchand de biens, éd. Pascal Galodé, août 2011, 186 pages.

La fiction aime les vraies histoires. Le roman d’Alice Seelow s’inscrit pleinement dans le domaine fictionnel, et osons même le mot : néo-fictionnel… Voilà un roman réjouissant pour qui apprécie les atmosphères étranges et quotidiennes à la fois, les récits apparemment linéaires mais en réalité sinueux, les personnages improbables mais plausibles, les situations simples et tordues.

Max Donnadieu cherche un logement dans Paris. Il est marié à Laura, qui est enceinte, et le déménagement devient urgent. Max s’adresse à un marchand de biens, M. Delafosse, et ensemble ils vont visiter un appartement dans un pavillon, rue de la Clef. Max est conquis par cet appartement, mais la transaction est problématique car un autre client a déjà posé une option. Sur ce mince argument, Alice Seelow tisse un récit serré tout en subtilité. Les noms des personnages, Donnadieu, Delafosse, l’épouse Laura et la secrétaire Ariane, le client prioritaire Martineau – ce nom tellement français, tellement banal, emblématique d’un Michel Serrault dans Garde à vue, d’un Gérard Depardieu dans Dites-lui que je l’aime – et leurs caractérisations – le détachement, la claudication, la mastication de chewing-gums, l’amour du faux –, les noms des rues – la rue de la Clef, la rue des Cinq-Diamants –, tout concourt à créer un monde reconnaissable mais aussi allusif et symbolique.

Le récit, presque intemporel, avec peu de références à la vie moderne, est scandé par les météores – les perturbations météorologiques – comme la neige et la pluie, et les saisons, l’automne tout légèrement évoqué dans les couleurs et les motifs d’un foulard, ou le printemps avec son « éclosion de pensées et [son] bourgeonnement de roses trémières ». L’obsession de Max pour l’appartement de la rue de la Clef, son envoûtement, donnent au roman un côté plus fantastique que psychologique. La vie banale de Max Donnadieu est pétrie de contradictions, il est époux mais non épris, futur père mais détaché, comme absent à sa vie, entièrement mobilisé par un bien inaccessible qui lui promet « la campagne à Paris », à l’ombre d’un « faux platane ». Ce sont là des motifs plus romanesques qu’humains, plus manifestement fictionnels que platement réalistes.

Le style devient progressivement métaphorique. La langue est précise, légère, la phrase bien balancée. L’étrangeté naît des situations décalées, des notations à double sens, comme dans la tirade de M. Delafosse » « Ah ! Quel bonheur de faire le bien ! Sans vouloir jouer trop facilement sur les mots, ni tourner les choses à mon avantage, tout marchand de biens est aussi marchand de bien, Madame, et se doit de posséder, outre la fibre commerciale, une âme de philanthrope ! ». La deuxième moitié du roman suit la pente amorcée tout en douceur dans les premiers chapitres : celle de la résolution inattendue mais inéluctable.

La fiction aime les vraies histoires. Pas les histoires vraies. Les histoires bien bâties, reposant sciemment sur des fondations de culture littéraire et s’en émancipant. Le roman d’Alice Seelow s’inscrit dans une veine méprisée de la littérature française, celle de l’imagination, de l’audace à contre-courants – le courant autofictionnel ou nombriliste, le courant historico-repentant ou revendicatif… Au-delà du mérite manifeste du roman, et du talent de son auteur, il convient de saluer une voix hélas marginale.
  

mercredi 27 novembre 2013

Le Pourceau, le Diable et la Putain de Marc Villemain



Marc Villemain, Le Pourceau, le Diable et la Putain, éd. Quidam, mai 2011, 100 p.

Alceste au mouroir


Léandre est un vieux monsieur cloué sur son lit d’hospice. Il va mourir. Une infirmière prend soin de lui. Un curé vient le visiter, avant qu’il soit trop tard. Le lecteur lit le monologue intérieur du narrateur, ce bon papy Léandre, qui nous conte ses vacances en Espagne avec ses parents, sa vie de professeur, ses relations avec les femmes et son fils… Une telle histoire pourrait aller son cours plan-plan, adopter un ton gnangnan… mais non. Vlan ! C’est Marc Villemain qui est à la plume (au clavier) et le livre est… dévastateur.  Le mot n’est pas trop fort, il s’agit bien de dévaster, de détruire – avec violence – l’attente du lecteur, qui s’en trouve tout secoué. Et, disons-le tout net, nous ne sommes pas déçus. Marc Villemain propose dans Le Pourceau, le Diable et la Putain un texte surprenant et dérangeant, dont le propos est à démêler.

Ce Léandre grabataire est un misanthrope déclaré, auteur d’un ouvrage intitulé Le Misanthropisme est un humanisme. Son récit est sculpté au scalpel, dans une langue où l’emploi de l’imparfait du subjonctif sonne comme une marque désuète et ironique. Car le récit, on s’en doute, n’est pas à prendre au premier degré, et il y a peu de risque que le lecteur se laisse glisser sur un déchiffrement de surface. Marc Villemain, dans ce livre, adresse un vrai clin d’œil au lecteur sachant lire. Marc Villemain, on le sait, pour peu qu’on ait lu ses précédents ouvrages et que l’on fréquente le blog L’Anagnoste qu’il partage avec Éric Bonnargent, est un humaniste. Un auteur qui, pour décortiquer et analyser les textes des autres, est conscient de la force de l’écrit. Alors, il ose.

Il ose poursuivre par le biais de l’antiphrase le travail et la réflexion de ses précédents ouvrages. On retrouve dans Le Pourceau, le Diable et la Putain une infirmière nommée Géraldine Bouvier, qui sous d’autres traits traversait déjà tous les textes ou presque de Et que morts s’ensuivent, le recueil de nouvelles publié en 2009. La mort, oui, qu’il convient d’accueillir avec un grand éclat de rire. Parce que, foutu pour foutu, il n’est guère besoin d’en rajouter dans le pathos, n’est-ce pas ? Marc Villemain est un humaniste désespéré qui n’utilise pas l’écriture pour étaler son désespoir, mais qui au contraire envisage la fiction sous l’angle du divertissement salubre. Il y a de la philosophie là-dessous, n’en doutons pas.

Revenons à Papy Léandre. Le lecteur n’éprouve aucune empathie envers ce râleur invétéré qui, cloué sur son lit de pré-mort, débite un discours abominable sur les femmes, les enfants, l’université. Géniteur de cinq rejetons, il n’en a reconnu qu’un seul – le pourceau du titre – contraint en cela par la mère de l’enfant. Les rapports père/fils sont placés sous le signe de la domination intellectuelle paternelle et de la soumission béate filiale. Cette relation père/fils est traitée à l’inverse dans les rapports entre Géraldine Bouvier et le grabataire. Le vieil homme est soumis, pour ses besoins naturels entre autres, aux soins constants de  l’infirmière, et sa hargne envers le genre humain, et singulièrement envers le genre féminin, en est décuplée. Car la misanthropie – le misanthropisme – est aussi et avant tout un sexisme. La putain du titre, c’est bien l’infirmière. Les « bonnes femmes » n’ont jamais trouvé grâce aux yeux de Léandre. Ce regard négatif et délétère que le personnage porte sur le genre humain et la société induit une distanciation et une adhésion. Adhésion à la crédibilité du personnage, et distanciation par rapport au propos. Il est question pour le lecteur d’être un lecteur intelligent – entendons par là qu’il ait développé un certain sens critique. On retrouve, parfois, des éclats à la Jourde, dans le roman : « C’est parce que je me souciais comme d’une guigne des pyrotechnies des sciences de l’éducation que mes étudiants apprirent à mon contact les plus hautes subtilités requises par l’apprentissage des disciplines littéraires ». Cet extrait n’est pas sans rappeler un des motifs principaux de Festins secrets, de Pierre Jourde. Donner la parole à un misanthrope décomplexé permet des piques réjouissantes sur la politique et la société. On ne résiste pas à citer également le passage « [mes étudiants] ne possédaient pour seule locution latine que le carpe diem dont ils avaient fait un code de reconnaissance après qu’un navet grand public eût vulgarisé le mot fameux d’Horace », qui fait référence au film Le Cercle des poètes disparus. Il est comme ça, Marc Villemain, il assène une critique d’évidence à un public qui, parfois, se rallie sans y penser à la bien-pensance. Le diable apparaît en fin d’ouvrage, sous les traits d’un curé pétomane, qui fait son boulot comme il peut.

Rien d’étonnant, dès lors, que le narrateur ait pour nom Léandre. La misanthropie, bien entendu, renvoie de plein fouet à Molière et à son Alceste. Le choix du nom de Léandre – qui apparaît, sous bénéfice d’inventaire, trois fois dans le théâtre de Molière, et jamais pour un personnage persifleur – est à comprendre à contre-pied d’Alceste. Dans Léandre, on entend « andros », étymologiquement « l’homme ». Léandre au mouroir se donne des airs d’Alceste, et le lecteur est invité à retourner le propos. L’antiphrase, oui, assurément. Le personnage du livre est un sale type, mais il n’est ni le pourceau, ni le diable, ni la putain. Et Marc Villemain, lui, est un type bien. Et un bon écrivain.

Et que morts s'ensuivent de Marc Villemain



 Marc Villemain, Et que morts s’ensuivent, Grand prix de la nouvelle SGDL, Seuil, 2009.

Délicieusement acides. Ou encore : effroyablement savoureuses. Les onze nouvelles qui composent ce recueil se goûtent, et l’oxymore est la seule figure, peut-être, qui puisse rendre compte de l’effet gustatif de cette lecture. Chacun des onze textes a pour titre le nom du personnage principal, et l’onomastique est déjà en elle-même particulière : Anémone Piétra-d’Eyssinet, Jérôme Allard-Ogrovski, Edmond de la Brise d’Aussac… autant de noms ampoulés contrebalancés par d’autres plus courants, Nicole Lambert, Pierre Trachard, Jean-Claude Le Guennec. Le nom donne consistance au personnage, dès le titre. Consistance et corps. Et dans ce recueil, il va être question très souvent du corps. Les morts se suivent et s’enchaînent, d’un texte l’autre, liées entre elles par une métamorphique Géraldine Bouvier, personnage omniprésent dans le recueil, simple utilité ou héroïne. Son rôle le plus étoffé est celui d’une diva militant pour le maintien du cannibalisme, dont elle est la victime consentante et extatique. Oui oui, le cannibalisme. Et là n’est pas la seule surprise du recueil. Une critique littéraire perd littéralement pied à cause d’un auteur éreinté. Un père incestueux est jugé, et condamné, par les petits camarades de sa fille. 

Les thèmes abordés sont étonnants, et la façon de les aborder l’est plus encore. Il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées pour faire de bons textes. Il faut un style, un regard, et l’envie – la nécessité ? – farouche de partager. Marc Villemain est partageur. Le plaisir pris à la lecture de ces onze nouvelles tient tout autant aux thèmes choisis qu’à la langue. Un français précis, maîtrisé et débridé. Il y a du Desproges dans ce style-là, dans ce regard-là : « C’est donc tard dans la nuit que l’auguste scoliaste adressa par courriel un long papier de quinze mille signes relatif à un ouvrage d’érudition kabbalistique tout juste paru. En dépit de son athéisme prosélyte et du grand désert spirituel constitutif de son corps de métier, Anémone Piétra-d’Eyssinet se piquait en effet de quelque science religieuse, et le grand public cultivé se passionnait toujours pour ses chroniques en forme de pied de nez mi-vachardes, mi-savantes, sur la perte du sens, le retour revanchard de Dieu, le tropisme sectaire des hétérodoxies, les similitudes formelles supposées entre fondamentalismes chrétiens et progressismes prométhéens, ou encore l’évolution du champ lexical religieux dans sa relation avec la déperdition des enseignements fondamentaux ». Desproges, inspirateur, à n’en pas douter (1).

Mais la virtuosité stylistique et un imaginaire fécond ne suffisent pas à faire un bon recueil. L’art du bref est exigeant. Pierre de touche de l’écrivain au travail, la nouvelle oblige à la réflexion sur la conduite du récit, sur le dosage action/description, sur la part personnelle à mettre en évidence, ou à occulter. Dans Et que morts s’ensuivent, le lecteur attentif aura noté que la troisième nouvelle s’intitule « Matthieu Vilmin », et qu’elle est dédiée « à ma mère ». Géraldine Bouvier y joue son premier grand rôle, celui d’une infirmière au contact d’un jeune malade. Matthieu Vilmin a dix-huit ans, est hospitalisé pour une grave affection pulmonaire. Cette longue nouvelle de vingt-quatre pages est la plus réaliste du recueil : on y détaille le déroulement d’un examen fibroscopique, les préparations nécessaires à l’anesthésie et à l’opération. Le récit minutieux, presque naturaliste, est sans cesse compensé par l’absurde, l’humour, et la sensualité. Matthieu Vilmin demande à ce que soient « tondues » les deux aisselles et non uniquement la droite, imaginant que l’infirmière utilise le même rasoir pour se raser les jambes ; le parfum de l’infirmière, sucré, qui tournoie « en une brume somptueuse et légère », évoque une meringue. Le tout jeune homme, persuadé qu’il va mourir et acceptant romantiquement ce destin, lit Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly, « dont il aimait la noirceur élégante et la joyeuse férocité ». Dans cette nouvelle dont on soupçonne la part autobiographique – prénom d’évangéliste conservé et patronyme à peine modifié – est affichée explicitement la tonalité du recueil.

Une affection pulmonaire contractée à dix-huit ans apparaît à nouveau dans la nouvelle « Jean-Charles Langlois ». Le psoriasis est mentionné également au moins deux fois, dans « Anémone Pétra-d’Eyssinet » et dans « M.D. », la nouvelle finale.  Le substrat autobiographique – réel ou fantasmé – ne serait que de peu d’intérêt pour le lecteur s’il n’était repris, de façon ferme, dans la partie « Exposition des corps » qui clôt le livre. Dans leur ordre d’apparition, les personnages sont « prolongés » sous forme d’une notice biographique récapitulative et prospective. Qui sont-ils, que sont-ils devenus ? Ainsi apprend-on que Matthieu Vilmin est né le 1er octobre 1968 à Meaux (comme l’auteur), qu’il est devenu un « écrivain assez confidentiel », et que M.D. est un « personnage [qui] n’a ni âge, ni territoire, ni origine, ni destination ». Jouant sur le genre masculin du mot « personnage », l’auteur peut écrire que « mort ou vivant, il sait que tout se destine toujours au vent ».

L’apparent détachement face à l’écrit, la distance affichée envers le travail d’écrivain, l’aveu que les personnages sont « si réels » et « si proches », et l’effarement qui en découle, donnent au recueil, une fois la lecture achevée, un ton différent. On a lu des histoires amusantes, teintées d’humour noir, d’absurdité et d’acidité. On a lu des textes tendres, aussi, où la vie est légère, où la mort peut l’être. Mais on comprend, après coup, qu’on a lu, également, et peut-être surtout – comme chez Desproges, décidément – un recueil drolatique et désenchanté. Dont la philosophie s’apparente à un « Vivons heureux en attendant la mort ».
   
*
  
(1) Voir la parodie parfaite de Marc Villemain de « La minute de monsieur Cyclopède » à l’occasion de la sortie de son roman suivant,  Le Pourceau, le diable et la putain, éditions Quidam.

Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard



Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses, Gallimard et Folio.

NB : cet article a été publié une première fois en novembre 2011, et renvoie à un article du Monde de la même époque.

Il y a des livres qu’on saisit avec précaution, et arrière-pensée. Avec préjugé, plutôt. Parce qu’on a lu une critique brillante, rédigée par un brillant écrivain, qui démolissait le roman. Alors, on retarde sa lecture, on se trouve tous les prétextes. Et puis, enfin, on ouvre Les Solidarités mystérieuses de Pascal Quignard. On se retrouve en Bretagne. « La lande était rose », « au bord de la falaise, près d’un bloc de granite gris clair, tout chaud, qui conservait dans le crépuscule la chaleur du jour, couvert de lichen blanc et jaune, il y avait un buisson jaune »… On fait la connaissance de Claire Methuen, quarante-sept ans, traductrice. Elle revient sur les terres de son enfance, s’installe chez la vieille dame qui lui a appris le piano, observe l’homme qu’elle a toujours aimé. La brillante critique du brillant écrivain, on ne s’en veut même plus de l’avoir lue. On l’a oubliée.

Pascal Quignard, c’est plus qu’une écriture, la musique d’une écriture, ce à quoi on veut parfois le réduire. On se souvient de l’éblouissement de Tous les matins du monde, de la précision du cycle Dernier Royaume. Mais on n’a pas oublié, non plus, l’Ann Hidden de Villa Amalia, l’héroïne de quarante-sept ans, elle aussi.

Claire ne s’appelle pas tout à fait Claire. Son frère Paul lui donne son « vrai » prénom, Marie-Claire, mais elle se fait aussi appeler Chara. Claire est maigre, « jambes de héron », a quitté très tôt son époux, lui abandonnant leurs deux filles. Elle a peu connu ses parents, a été recueillie à leur mort par son oncle Armel et sa tante Guite, puis a vécu chez les Quelen, tandis que son frère Paul était interne à Pontorson. Simon Quelen, pharmacien, maire de la ville, c’est l’homme qu’elle est venue retrouver en Bretagne. Il est marié, son fils est déficient mental. Il est « l’ami de son enfance » et non son ami d’enfance.

L’histoire a son importance, mais là n’est pas le véritable intérêt du texte. Et puis, quelle histoire, d’ailleurs ? Celle qui s’est tissée et continue de se tisser entre Claire et son frère Paul est tout aussi dense que l’évocation de la passion d’enfance, de même que la relation qui unit Claire à la vieille madame Landon. Sans parler de l’apparition de Juliette, l’une des filles que Claire a abandonnées. Et la mort des parents, qui refait surface. Et l’amour de Paul pour Jean.

Le titre, Les Solidarités mystérieuses, sert de fil rouge, d’un rouge translucide, presque transparent. Les liens de solidarité sont aussi bien fraternels que filiaux. Auprès de la vieille professeur de piano, Claire redevient fille, légalement fille, ce qui fait dire à Paul, le frère : « nous n’avions plus la même mère ». Les liens se retendent, différemment. Les solidarités, mystérieuses ou souterraines, bifurquent. Étonnent. Rassurent. Le lecteur n’oubliera pas la scène furtive du repas entre Paul, Jean, et l’évêque.

Le style de Pascal Quignard est un modèle d’économie de moyens. Apparemment sans effet, parfois proche d’une scansion à la Duras, il est reconnaissable autant par le rythme que par le vocabulaire courant. Il s’agit d’un vrai choix d’écriture, où le maniement des temps verbaux prend sens, où la longueur ou la brièveté de la phrase est adaptée au caractère du personnage, au lieu de l’action, au moment de la narration. Un vrai texte de vrai écrivain, pas du tout dans la répétition ou le plagiat de soi-même, comme on a pu le suggérer ici ou là dans la presse, mais bel et bien dans la pleine maîtrise de son souffle.

Le style de Quignard marque dans ce roman un maniement du temps exemplaire. Tout est daté, minutieusement, et cependant le temps évoqué, et ressenti, est moins un passage qu’une permanence. Le personnage de Claire appartient désormais au lieu. Ce coin de Bretagne, granitique, iodé, qu’elle parcourt sans relâche, est une appartenance tard trouvée plutôt que retrouvée. La folie de Claire est évoquée, mais si c’en est une, elle est douce, douloureuse puis légère. Ce n’est en aucun cas une aliénation. Pas même un repli sur soi. C’est, au contraire, une force mélancolique. « Je suis sûr que je me souviendrai d’elle », dit le père Calève, son voisin. « Mais pas d’elle comme une personne. Je veux dire que ce n’est pas elle qui me manque, ce n’est pas la personnalité de Madame Methuen, etc. C’est son  corps qui manque à nos heures. Son corps manque déjà au lieu, aux roches ».


mardi 26 novembre 2013

Rosemary's baby et Le fils de Rosemary de Ira Levin



Ira Levin, Le Fils de Rosemary (Son of Rosemary), traduit de l’anglais (USA) par Iawa Tate, Robert Laffont, coll. Pavillons Poche, mai 2011. Rosemary’s baby, traduit de l’anglais (USA) par Élisabeth Janvier, Robert Laffont, coll. Pavillons Poche, mai 2011.

Entre les publications de Rosemary’s baby (1967) et de Son of Rosemary (1997), trente ans se sont écoulés. Dans le temps des romans, trente-trois : le bébé naît en juin 1966 – 6/66, évidemment ! – et on le retrouve en 1999, à l’aube du nouveau millénaire. Il a l’âge du Christ. Le fils de Rosemary, on le sait, est le fils de Satan. Le premier volet de cette histoire appartient à notre mythologie contemporaine : on n’a peut-être pas lu le roman, mais on a certainement vu l’adaptation cinématographique de Polanski, et l’on n’a pas oublié cette Mia Farrow enceinte, fragile, abandonnée de tous au cœur de New-York. Un ange blond aux cheveux courts et au ventre rond. En 1999, Rosemary a cinquante-huit ans. Elle sort d’un long coma – vingt-sept ans hors du monde – et se retrouve à nouveau au beau milieu du combat entre le Bien et le Mal.
  
Souvenons-nous : Guy et Rosemary Woodhouse emménagent dans un immeuble à l’allure gothique et à la réputation sulfureuse. Dans le film, il s’agit du Dakota, l’immeuble devant lequel John Lennon a été assassiné. Guy est acteur, et peine un peu à trouver des engagements. Rosemary s’occupe de l’appartement, toute joyeuse. Le couple se lie d’amitié avec les Castevet, des voisins vieillissants, envahissants. Guy Woodhouse semble fasciné par Roman Castevet. Rosemary est bientôt enceinte, et Minnie Castevet est aux petits soins pour elle. Ce roman pourrait être qualifié de « gynécologique » : on y suit la grossesse difficile d’une jeune femme à la fois seule et trop entourée. Les hommes restent au second plan – Guy a décroché un rôle important – tandis que les voisines, Minnie et Laura-Louise, deviennent de plus en plus présentes. L’adaptation cinématographique, plus que le livre, met en évidence une progression paranoïaque : plus son ventre s’arrondit, plus Rosemary se sent en danger, cernée par les forces du Mal. Le Pape vient en visite aux États-Unis ; la couverture d’une revue, dans la salle d’attente du médecin, proclame en Une la mort de Dieu. Rosemary, la douce et innocente Rosemary, porte l’enfant du Diable.

Le deuxième volume, Le Fils de Rosemary, prend à nouveau le parti de la mère. On y apprend qu’elle a élevé son fils Andy jusqu’à l’âge de six ans, puis qu’elle est tombée dans le coma. Andy a été élevé par les Castevet et leur secte ; il a à présent trente-trois ans, est unanimement adulé par une population qui voit en lui un sage, un nouveau messie – dont il a l’apparence sulpicienne et kitch : fine barbe, cheveux longs, regard clair. Les badges proclamant « I love Andy » décorent toutes les poitrines, absolument toutes. Ce deuxième volet se déroule à la fin de l’année 1999, du 9 novembre au 31 décembre, ce qui permet de mettre en scène trois temps forts de la vie américaine : Thanksgiving, Noël, le réveillon du nouvel an. Le troisième millénaire doit débuter par une Illumination : Andy a convaincu la terre entière d’allumer une bougie à minuit GMT. Ces bougies, dont la fabrication a débuté depuis des mois, ont été livrées sur tous les continents. L’intrigue repose donc sur ce suspens : les bougies seront-elles allumées ? Sont-elles inoffensives ?

Le suspens eschatologique – car il s’agit bien d’un ressort narratif ayant la fin des temps et du monde pour base – n’est pas l’aspect le plus intéressant du Fils de Rosemary. À bien y regarder, à bien « y lire », ce roman poursuit l’analyse d’un personnage féminin qui n’est jamais envisagé sous un autre angle que celui de la mère. Enceinte dans le premier volet, Rosemary se réveille au terme d’un coma qui l’a empêchée de voir grandir son fils. Et qui a empêché Andy de partager son temps d’éducation avec sa mère. Ces deux-là ont donc fait l’économie de l’enfance partagée. Rosemary, elle, n’a pas eu de vie de femme : réveillée miraculeusement comme une Belle au Bois Dormant, elle est passée à côté de toute sexualité. La relation trouble qui s’installe entre la mère et le fils est à mettre en parallèle avec la fascination qu’exerce Andy sur le genre humain : trop beau pour être honnête, trop messianique pour être pur. Seuls quelques rares rebelles émettent des doutes sur sa bonté. Le fils et sa mère retrouvée forment aux yeux du monde le couple idéal, Rosemary est traitée en icône modernisée, elle a droit elle aussi à la dévotion des foules subjuguées, les tee-shirts et les badges se déclinent à part égale entre « I love Andy » et « I love Andy’s Mom ». Ils sont exceptionnels. Fusionnels. Le tabou de l’inceste n’est que légèrement transgressé – un baiser – mais le motif court sur toutes les pages. Rosemary est envisagée comme femme parce qu’elle est mère. Andy voit en elle la seule femme qui soit à sa hauteur. Le secret monstrueux qu’ils partagent les condamne au repli : ils sont à part, fils du Diable, mère du fils du Diable, personne ne leur ressemble, personne n’est comme eux.

L’imagerie diabolique, en littérature comme au cinéma, est essentiellement sexualisée : les sabbats, l’inceste frère/sœur – comme dans le film L’Associé du Diable de Taylor Hackford, en 1998 – et ici l’inceste mère/fils. Les exemples sont nombreux. À l’inverse du fils de Dieu, dont la mère est vierge, le fils du diable est le fruit de l’accouplement avec la Bête. Rosemary, « revirginisée » par ses années de coma, incarne les deux faces de la mère exceptionnelle : souillée et lavée, violée et purifiée, perdue et sauvée.

Le roman se conclut sur deux pirouettes. La première permet la réapparition du père diabolique. La seconde, plus artificielle, renoue maladroitement, semble-t-il, avec le gentil couple Woodhouse de 1965-1966. Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher la lecture.

Ira Levin n’oublie rien des codes folkloriques. Si le chiffre du Diable est 666 – chiffre qu’Ira Levin signale, bien entendu, dans le jour de naissance d’Andy (25/6/66), et suggère dans la fin du monde devant survenir en 1999 (999 = 666 à l’envers) – les lettres du même Diable ne sont pas oubliées. On se souvient que dans Rosemary’s baby, c’est à l’aide des pièces d’un jeu de Scrabble que la jeune femme résolvait l’anagramme Roman Castevet = Steven Marcato (fils d’un sorcier ayant réussi à convoquer le Diable). Dans Le Fils de Rosemary, l’anagramme est à nouveau utilisée comme ressort narratif du suspens : quel sens caché peut bien recéler l’énigmatique expression « Roast Mules » ? Le nom du Diable est aussi à déchiffrer. La cachette du Diable est l’immeuble, antre modernisé. Le nom de Woodhouse suggère la demeure en bois ; la conception a lieu dans un immeuble en pierres ; Andy vit au sommet d’une tour de verre. On accède à son appartement du cinquante-et-unième étage par un ascenseur hyper rapide, et de là-haut on domine la ville et le monde.

Rosemary’s baby, et sa suite Le Fils de Rosemary, font partie de notre culture populaire, et l’on relit ces deux romans avec plaisir (surtout le premier, soyons francs). Et l’on ira relire aussi, du même auteur, Stepford wives (Les Femmes de Stepford). Si Rosemary est l’incarnation de la mère (génitrice puis objet de désir), les femmes de Stepford sont, elles, des épouses bien singulières…


L'Indésirable de Sarah Waters



Sarah Waters, L'Indésirable (the Little Stranger), traduit de l’anglais par Alain Defossé, Denoël, 2010, et 10/18.

Qu’est-ce qu’un bon roman ? À cette question, autant de bonnes réponses que de lecteurs, sans doute. Disons ici, pour faire court, et peut-être simple, qu’un bon roman est celui que l’on ne veut pas lâcher : une histoire, des personnages, une situation ; un style ; une atmosphère ; un fond de référence discret à l’histoire littéraire ; un constat de la période ambiante. Voilà tout ce que l’on trouve dans L’Indésirable de Sarah Waters. Voilà un roman qui procure un plaisir incontestable, car tout y est dosé avec art, maîtrise, et subtilité. L’Indésirable met en scène les derniers représentants d’une vieille famille anglaise, les Ayres – la mère, le fils, la fille – qui vivent chichement dans une demeure qui fut splendide et prospère, mais qui, dans le temps du roman, tombe en ruines. Ruine tangible de la maison qui va de pair avec la ruine financière. Les pièces sont condamnées les unes après les autres car on ne peut plus les chauffer, ni même les éclairer ; les terres environnantes sont vendues, mais l’argent manque, irrévocablement. L’univers se resserre. Le fils perd l’esprit à s’escrimer au redressement des finances, ou à leur simple maintien. La mère revient sans cesse sur un passé plus glorieux, classe de vieilles lettres, de vieilles photographies, songe à sa première fille, morte à six ans de diphtérie, dans la nursery du deuxième étage. 

La fille, Caroline, plus très jeune, pas très belle, mal fagotée, aux manières rudes, semble l’élément le plus solide de ce monde qui se délite, de cette famille qui appartient à une société anglaise qui n’est plus de mise, celle de l’entre-deux-guerres, celle où les enfants étaient élevés par des nannies, où l’on donnait bals et réceptions, où l’on récompensait d’une médaille dérisoire les rejetons des employés de maison. Le narrateur – le docteur Farraday – était de ceux-là. Le roman s’ouvre sur un souvenir d’enfance : « J’avais dix ans quand je vis Hundreds Hall pour la première fois. C’était l’été qui suivit la guerre, les Ayres possédaient encore presque tout leur argent et demeuraient des gens importants dans la région. Nous fêtions l’Empire Day : je me tenais aligné avec d’autres enfants du village, figé dans le salut du boy-scout, tandis que Mrs Ayres et le colonel passaient devant nous, distribuant à chacun une médaille commémorative ». La mère du narrateur était bonne d’enfant au Hall. Lorsque Farraday revient dans la demeure, en tant que médecin, une autre guerre a fait rage, et les temps ont changé.

Pour illustrer ces changements de la société anglaise, Sarah Waters choisit l’angle horrifique et fantastique. L’angle gothique, en faisant de Hundreds Hall, la maison, un personnage à part entière de l’intrigue, et en y faisant évoluer – peut-être – un fantôme. L’angle fantastique en ne tranchant jamais sur la réalité fantomatique, en évitant l’évidence, en suggérant au moins deux types d’explications : la rationnelle et la paranormale. Mais, et c’est là une des grandes forces du roman, ce doute fantastique se double d’un doute narratif : le lecteur lit le récit du docteur Farraday, et ce récit est biaisé. Là aussi, le doute est permis : le docteur est-il réellement amoureux de Caroline, ou envisage-t-il l’union avec l’héritière Ayres comme le moyen de sortir de sa classe ? Son désir tend-il vers la jeune femme ou vers la maison elle-même, cette maison dans laquelle sa mère était domestique, et dont il pourrait devenir le « maître » ? La scène violente qui l’oppose à sa fiancée dévoile une rage suspecte qui va bien au-delà de la frustration amoureuse. Le parcours du narrateur suit une courbe ascendante, des expériences faites sur le fils de la famille, dont il tire un article scientifique qui le fait remarquer de ses pairs, à la proposition de travailler au sein d’un hôpital. Et lorsque tous les drames sont consommés, il tire bénéfice d’une situation dont il sort apparemment brisé car les rumeurs sur le « mystère » de Hundreds Hall lui valent une clientèle accrue, alors qu’il s’inquiétait de la mise en place du système de l’Assurance maladie.

Ce roman se lit avec délice. On songe aux sœurs Brontë, à Edgar Poe, à Henry James. On se prend parfois à oublier l’époque réelle de la narration, tant les codes sociaux, le personnage de la petite bonne Betty, les atermoiements amoureux, semblent parler d’un temps qui n’est plus. Mais la petite bonne Betty, par sa métamorphose finale – elle a troqué son tablier et son bonnet amidonné pour une robe légère, travaille dans une usine de bicyclettes, et, fardée, rit aux éclats dans les bras d’un jeune homme, à l’arrêt de bus du lotissement HLM construit sur l’ancien parc de Hundreds Hall – permet au lecteur de replacer le roman dans une de ses perspectives les plus importantes : le monde s’est transformé, la société anglaise s’est modifiée. Le docteur Farraday, témoin et acteur de l’intrigue, reste coincé entre deux mondes, effaré mais établi, victime et vainqueur.

Le titre français « L’Indésirable », comme le titre anglais « The Little Stranger », ne tranche pas entre le masculin et le féminin, laissant le lecteur libre de choisir à qui ou à quoi il s’applique : à Caroline Ayres, au supposé et évoqué fantôme, à la petite bonne Betty, au narrateur lui-même. Étranger ou indésirable à l’amour, au monde des vivants, au monde des grandes familles. Là encore, fantastiquement, le lecteur doute.
  

Somme toute de René Belletto



René Belletto, Somme toute, cent quarante-quatre sixains, éd. P.O.L., avril 2011, 96 pages.

De René Belletto, on connaît les romans. Dans quelques-uns des premiers titres – Le Revenant, Sur la terre comme au ciel, L’Enfer – on perçoit immédiatement les thèmes qui seront traités, non de façon explicite, mais souterraine : le Bien et le Mal, le Haut et le Bas… L’Ici et l’Au-delà, peut-être, déjà. Les personnages sont au centre d’une machination implacable, qui n’a parfois qu’une explication de façade. L’essentiel est ailleurs. Dans les romans suivants – laissons de côté La Machine, machine romanesque un peu trop mécanisée – la peur prend le pas sur le mal. Et puis, dans un glissement impeccable, les derniers romans nous emmènent radicalement ailleurs, dans des soucoupes extra-terrestres, puis nous ramènent sur terre, où rien n’a changé, mais où tout semble différent. Chez Belletto, l’aventure est au coin de la page, aventure romanesque, linéaire et spiralée, toujours surprenante, jamais convenue. Envisager l’œuvre narrative publiée à ce jour oblige à des croisements et des retours en arrière, car la trame est globale, d’un livre à l’autre, d’un personnage récurrent à un coin de rue, rue de Lyon ou de Paris. L’œuvre de Belletto trame un maillage exemplaire.

De Belletto, on connaît sans doute moins les poèmes. En 1986 paraît le mince recueil Loin de Lyon, sous-titré « XLVII sonnets ». En avril 2011, les éditons P.O.L. publient un nouveau recueil, Somme toute, sous-titré « (cent quarante-quatre sizains) ». Sonnets, sizains, la forme fixe est à l’honneur. La forme fixe. La contrainte. Mais un romancier qui dans ses romans a tordu à ce point les codes et les évidences ne peut pas se laisser contraindre. Dans les sizains de Somme toute, Belletto reprend la manière inaugurée dans les sonnets de Loin de Lyon : se soumettre le moins possible à la loi implacable de la césure alexandrine et défier la rime, accepter la règle et la détourner tout à la fois. Jouer, sans doute, avec la rigueur. Mais aussi – surtout – violenter la tradition pour mieux la célébrer. Nous ne nous arrêterons pas sur le fond des poèmes, qui mériterait une autre étude. Nous resterons sur la forme. Regardons le sonnet II de Loin de Lyon :

Voici ce qui arriva le jour où je vou
Lus parler : j’eus un frisson mortel par le corps
Sous l’effet d’un fort souffle interne auquel mes or
Ganes de la phonation ne surent que sous

La forme d’un renvoi donner issue, un sou 
Pir dégueulasse, gris, chaotique, sonore
Au possible, qui se fraya passage hors
De la profondeur de l’être et les lèvres sou

Leva par saccades frénétiques donnant 
L’illusion d’un langage au débit si pressant
Qu’il sembla que je réclamasse la vie sau

Ve en me justifiant sans rien oublier ni cach 
Er d’une faute infiniment complexe alo
Rs que le bourreau déjà avait levé sa hâche !

Le propos est, « somme toute », explicite, mais ce qui frappe à la lecture, en même temps que le rythme imposé – Belletto est musicien, ne l’oublions pas – c’est l’aspect graphique du poème. Mais pas graphique dans le sens du calligramme. Il ne s’agit pas de dessiner. Il s’agit, plutôt, de peindre. Les mots ne tracent pas le trait. C’est la chair tout entière du mot, sa matière, qui est utilisée. Et le sonnet surgit, canonique. Il en va de même pour les sizains de Somme toute. Le sizain est un poème de six vers, qui peut être isométrique ou hétérométrique. Belletto choisit l’alexandrin et s’y tient. Il coule les mots dans la forme définie, mais pour les y couler, il les distord et parfois les invente, les désorganise, les pétrit. Il ne peint plus, il sculpte. Tout y est, dans l’ordre. Mais tout est chamboulé :

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Langes nocifs. Silence et noir sous le couvercle
De la housse. Normalement j’aurais en écl
Ats dû voler sous l’effet des mouvements fré
Nétiqu’ inspirés par la peur (plus cri d’orfraie,
Mais éteints dans l’œuf), or l’excès de frénésie s’
Traduisit (traduction libre digne d’Isis […]
   
Tout est à l’avenant. Les cent quarante-quatre sizains racontent une histoire, mais c’est bien à la forme que l’on s’arrête. C’est bien à la forme que l’on peut buter. Peut-être Belletto cherche-t-il cela, d’ailleurs. Peut-être souhaite-t-il masquer sous l’agilité formelle la vraie teneur du propos. Peu importe. Les sizains de Somme toute, nous les lisons, bien sûr. Mais nous les lisons avant tout en spectateur. Nous regardons un travail qui tient de la recherche et qui s’inscrit dans une tradition, nous les déchiffrons comme on déchiffre – toute proportion gardée – la tête de  taureau dans l’assemblage d’une selle et d’un guidon de vélo, ou Les Ménines de Vélasquez chez Picasso. Nous sommes face à une évidence renversante. Nous identifions et ne reconnaissons pas. Les poèmes de Belletto sont des tentatives. Comment oser le sonnet après Nerval ? Pourquoi choisir le sizain après Musset ? Parce qu’un écrivain ne renonce pas. Parce que dans la forme traditionnelle il ose planter son fer. Jusqu’à inclure les notes de bas de page dans le corps même du poème :
   
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[…] Ien ô dieux souterrains j’abhorrais ce noceur
Ce trou du c… sans fesses qui prêchait le chœur 
(Voir le sizain suivant, note 1, sur les formules
Du présent avec ses expressions qui modulent)
Mais les mots succombaient passant entre ses dents
Bl bl bl analphabète (du Gévaudan !)
  
35 
(1) Eh bien c’est v’nu tout seul, ce qui n’empêche p
As d’implorer indulgence de vous, de vous, hep […]
  
Le lecteur est décontenancé. Déstabilisé. On le serait à moins, à la lecture des exemples proposés ici. Mais le lecteur est, aussi, fasciné et amusé par l’audace formelle, par l’objet poétique lui-même, reconnaissable et distordu. Mais jamais bancal. C’est qu’il est question, avant tout, dans la forme acceptée, de rigueur mathématique. Les 12 pieds de l’alexandrin. Les 144 sizains découpés en 6 parties égales de 24 poèmes. Les sonnets de Loin de Lyon étaient au nombre de 47, autant dire 24 + 23. Où est passé le sonnet perdu ? Le sonnet tu, non publié ? Donnait-il une autre clé de déchiffrement ?
   

lundi 25 novembre 2013

06H41 de Jean-Philippe Blondel



Jean-Philippe Blondel, 06H41, éd. Buchet Chastel, 3 janvier 2013, 240 pages.

L’art du titre, chez Jean-Philippe Blondel : Accès direct à la plage, G229… Ici, le roman s’intitule 06H41. L’horaire d’un train, celui qui relie Troyes à Paris. Cécile Duffaut s’installe contre la vitre. À côté d’elle s’assoit Philippe Leduc. Cécile et Philippe ont eu une aventure, à vingt-sept ans de là, qui s’est mal terminée. Ils ne se sont jamais revus. Le train doit arriver Gare de l’est à 08h15. Que vont-ils faire, Cécile et Philippe, pendant le temps du trajet ? Se parler ? S’ignorer ? Se lancer des reproches ? Se réconcilier? Les chapitres alternent les monologues intérieurs, on lit les réflexions de Cécile, puis celles de Philippe. Chacun revient sur son parcours, son évolution sociale, professionnelle. Les points de vue ne sont pas vraiment divergents lorsqu’il s’agit d’évoquer, pour soi, rien que pour soi, le désastre de la rupture, à Londres, vingt-sept ans auparavant. Le titre indique un horaire, le trajet permet d’envisager son propre parcours : dans ce train, il est question du temps. Philippe et Cécile ont vieilli loin l’un de l’autre, la vie est passée, mariage, divorce, réussite professionnelle ou stagnation, envie d’aller de l’avant ou de se recroqueviller. Les quelques mois partagés lorsque Cécile et Philippe avaient vingt ans ont pesé lourd, et c’est à l’occasion de ce trajet en train qu’ils en prennent conscience.
   
L’exercice était périlleux : un chapitre-elle, un chapitre-lui… Mais nulle lassitude à la lecture, car les motifs se répondent et s’entrecroisent et les visions ne sont pas univoques. La figure de Mathieu, l’ami que Philippe vient voir à Paris, élargit le propos, et la mort rôde. Cécile, Philippe, et Mathieu ne correspondent pas à leur jeunesse, ils ont bifurqué, le bellâtre s’est empâté, le timide est devenu présentateur de télévision, la jeune fille quelconque est une femme d’affaires. Les rôles sont inversés, on pourrait songer à prendre sa revanche, mais… Allez lire ce qu’il se passe, ou ne se passe pas, durant ce trajet Troyes/Paris, entre 06h41 et 08h15. L’épisode de Londres, motif de la rupture, est amené avec suspens dans le récit, et la silhouette de l’ami Mathieu projette peu à peu son ombre sur les vies de Cécile et Philippe, qui ne sont pas des vies ratées, mais qui ne sont pas des vies vraiment réussies, qui sont des vies banales, presque normalisées, couci-couça. Jean-Philippe Blondel fait d’un quotidien, d’un voyage, un roman doux-amer, dans lequel la complaisance n’est pas de mise. La force des personnages tient au recul qu’ils s’efforcent de prendre. Pas de concession, pas d’attendrissement sur soi-même. Mais au contraire une distance bienvenue qui évite le piège de la mièvrerie, de la rebattue  histoire de couple qui ne s’est pas réalisée.
  
Le parcours – le trajet du train, et la trajectoire des personnages, le cheminement de leurs monologues intérieurs – est sensible également dans l’écriture : peu à peu, et surtout lorsque le train entre en gare, l’écriture acquiert plus d’ampleur, on voit apparaître les métaphores, l’universel. 06h41 pourrait être une simple histoire, elle se lit aussi comme le reflet de notre condition contemporaine : « Tout le monde a le droit de bien continuer – des activités, des engagements quotidiens, des micro-drames, des mini-joies, le monde est une foule de Playmobil qui bougent les bras de façon saccadée, pérorent dans leurs bouches effacées, entendent sans oreilles, toujours impeccablement coiffés, et ils vaquent aux occupations assignées, tous, sans cesse, continuent, c’est bien, ils continuent, c’est bien ». 
   

G229 de Jean-Philippe Blondel



 Jean-Philippe Blondel, G229, Buchet-Chastel et Pocket.

G229, c’est la salle. Une salle de cours, dans un lycée de province – enfin, disons « en région », puisque c’est ainsi qu’il faut dire. Jean-Philippe Blondel enseigne l’anglais en salle G229 depuis… depuis longtemps. Dans ce livre, qui n’est ni un récit ni un roman, ni un constat ni un plaidoyer, ou un réquisitoire, il n’est pas question de l’Enseignement. Il est question du métier d’enseigner. Et il est question de la vie, de celle du type derrière le bureau, et de celle des élèves à leurs tables, disposées en U.

Il y a sans doute mille et une façons de raconter son métier. Les profs sont râleurs, on le sait. Fonctionnaires jamais contents. Vaguement aigris, peu considérés, corporatistes – MAIF, CAMIF et Cie –, grévistes, ad libitum. Le Proviseur de mon établissement soulignait lors d’un discours de rentrée, que nous étions – nous, les profs – les agents de l’État les plus savants, les plus titrés, les plus diplômés. Mes collègues ajoutaient, en soupirant, que l’on était également les moins considérés et les moins payés. Dans G229, il n’est pas question de la condition du prof. On trouve, au détour des pages, parfois, quelques piques contre les différentes réformes, les changements de méthodes d’enseignement, les stages de formation, mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel du livre repose sur le sentiment du métier.

Et le métier de prof c’est de l’humain, de l’humain, et encore de l’humain. Le regard que porte Blondel sur ses collègues et ses élèves est tout en bienveillance et empathie. La salle de cours, la salle des profs, le coin fumeur près de la grille, la petite salle près de la loge de la concierge, où l’on reçoit les parents, où l’on subit le débriefing d’une inspection… voilà un monde en soi, à la topographie stricte et parfaitement uniforme, dans tous les lycées de France et de Navarre. Dans G229, on lit l’histoire personnelle d’un prof d’anglais nommé Blondel, et l’histoire collective de tous les profs. Ou tout au moins de ceux qui ne vont pas au lycée comme ils iraient à la mine ou à l’abattoir.

L’émotion, par exemple. Très souvent, Blondel a les larmes aux yeux, pendant son cours. C’est que les élèves, en cours, donnent, offrent. Les cours de langues sont des cours d’expression, on y chante, on y discute, on y joue de la guitare, on y raconte les films que l’on a aimés. Pour parler une langue étrangère, pour apprendre à la maîtriser, il n’y a pas de secret, ou plutôt, il n’y a en a qu’un : il faut avoir quelque chose à dire. On ne doute pas un instant que dans les cours d’anglais de Jean-Philippe Blondel, les élèves sont assez à l’aise pour dire. Et lorsqu’ils disent, le prof est bouleversé. « Les yeux me piquent. […] C’est pour cela que je fais ce métier. C’est pour cela que nous le faisons tous. Parce qu’ils sont là. Parce qu’ils vivent – et que nous vivons avec eux ».
  
Enseigner depuis si longtemps dans un même lycée conduit à des scènes presque imposées : retrouver dans sa classe les enfants d’anciens élèves, ou d’anciennes petites amies. La vie passe et le prof reste, dans sa salle. Les élèves grandissent, certains se sont installés en Angleterre et remercient l’enseignant pour un voyage scolaire, d’autres sont restés dans la même ville ou y sont revenus, on les retrouve au restaurant, on se tutoie, soudain à égalité. On reçoit des messages, des « coucous », par le biais des réseaux sociaux. On confond parfois les époques et les prénoms, on dit « Élise » pour « Marion » parce qu’à des lustres de là, à la même table de la même salle, une fille ressemblait étrangement à la fille de cette année. La collègue qui a accueilli Jean-Philippe Blondel lorsqu’il a été nommé au lycée est à présent à la retraite, et fait office de baby-sitter les soirs de conseils de classe. « Tous ces gens que j’ai croisés quotidiennement pendant des années et qui se retirent sur la pointe des pieds. Je voudrais écrire leur histoire. La croiser à la mienne. Notre vieillissement. Et surtout, notre vie. Parce qu’avant tout, dans un lycée, on vit ».
  
Il paraît que les flics ne regardent pas les films policiers, parce que ça leur rappelle le boulot. J’imagine que la majorité de mes collègues ne lisent pas les livres qui racontent l’école, le collège ou le lycée, pour la même raison – en tout cas, c’est mon cas. Exception faite pour G229 de Blondel, lu un peu par hasard, pour compléter ma documentation sur l’auteur, parce que c’est le seul bouquin de lui que j’ai trouvé en librairie hier. Bonne pioche. Tous les Meirieu du monde peuvent ravaler leurs discours, et tous les scientologues des Sciences de l’Educ’ se rhabiller : la vérité du métier n’est pas dans l’étalage des abracadabra de la pédagogie, elle est, tout simplement, dans l’humaine humilité dont ce petit livre est pétri.

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Complément : on peut lire dans la livraison 45 de la revue Décapage, un très joli texte qui revient sur la promotion de ce livre. Jean-Philippe Blondel et ses élèves, en classe, regardant un reportage sur G229, en salle G229.