mercredi 13 septembre 2023

L’Archipel de l’écriture d’Emmanuel Ruben

Emmanuel Ruben, L’Archipel de l’écriture, éd. Le Robert, coll. Secrets d’écriture, 7 septembre 2023, 234 p.

 

Emmanuel Ruben est de ces écrivains géographes qui cartographient leur œuvre littéraire. La géographie, bien plus que l’Histoire, suscite l’imaginaire. Pour Ruben, la projection imaginaire apparaît dès l’enfance, avec la création de la Zyntarie, territoire inventé mais porté en soi comme une vérité d’évidence, territoire qui prend consistance véritablement lors des voyages, singulièrement en Europe. La Zyntarie, c’est l’Europe, il s’en rend compte. Un continent qu’il ne cartographie plus, mais qu’il parcourt et explore. Parce que la carte n’est pas le territoire, et que la carte ne dit rien des habitants et des rencontres possibles.

La collection des éditions Le Robert, nommée « Secrets d’écriture », permet à un écrivain de mettre a plat sa pratique, d’y réfléchir et de la partager. Emmanuel Ruben a le sens du partage. Il nous entraîne, au fil des chapitres, dans une promenade intime, semée de souvenirs d’enfance et de détails très matériels, comme le choix d’un tabouret pour écrire sans se casser le dos. L’ensemble est absolument savoureux. D’autant plus savoureux que l’auteur, essayiste de sa propre pratique, tutoie son lecteur, et l’apostrophe sans jamais prendre une position dominante. Ses réflexions sont à la hauteur empathique de ses romans : nulle pose dans ces pages, mais la posture parfaitement assumée, avec simplicité et modestie, d’un écrivain. 

Les références à Gracq sont nombreuses, souvent en clin d’œil, comme la partie intitulée « en pédalant, en écrivant » – Ruben est aussi cycliste, il partage sur les réseaux sociaux ses ascensions et parcours. La référence à Glissant, via l’archipel, permet de comprendre que le voyage ne se fait pas pour voyager et en rapporter des souvenirs que l’on va mettre en mots, mais bel et bien pour chercher la rencontre et les points de convergence entre sa propre histoire et celle d’un continent. Tout cela est écrit avec conviction, et sans donner de leçon, comme dans une conversation amicale dont le fond est d’importance. 

L’Archipel de l’écriture se lit avec un plaisir véritable. On trouve entre les pages des planches de bandes dessinées, des plans et des cartes surgies de l’enfance, comme si l’auteur ouvrait pour nous les tiroirs de sa chambre d’enfant, lieu où l’imaginaire a commencé de se déployer. Dans cet essai Emmanuel Ruben prend son lecteur par la main, lui explique les erreurs qu’il a commises et rectifiées, comme l’organisation des notes dans les carnets, insiste sur l’importance de laisser reposer le texte. Des questions apparemment anodines, ou incongrues, sont posées : faut-il prendre des notes en chemin ou simplement le soir lorsqu’on s’est posé ? Faut-il travailler en musique ? Faut-il se relire à haute voix ? Autant de petits secrets révélés qui n’expliquent en rien le talent, mais sont donnés avec confiance comme des cadeaux précieux.

L’œuvre littéraire d’Emmanuel Ruben est déjà forte de plus d’une dizaine de publications. Il est un écrivain encore jeune – il est né en 1980 – et reconnu. L’homme est sympathique : lors des rencontres avec les lecteurs, il est attentif aux questions qui lui sont posées, jamais poseur, jamais docte. Et, je le tiens d’une amie écrivaine, attentif aussi aux auteurs invités avec lui dans ces rencontres, ce qui n’est pas toujours la norme… Ce sont ces qualités, chaleureuses, que l’on retrouve dans cette autobiographie littéraire. Emmanuel Ruben y parle, certes, de lui, mais s’adresse avant tout à toi, lecteur.

Voilà une bien jolie manière de pénétrer dans la pratique d’un écrivain, de comprendre ce que c’est que d’écrire. En cette rentrée littéraire où l’accent est mis avant tout sur les romans, il est bon de lire cet ouvrage qui décortique la fabrique personnelle d’un romancier modeste et talentueux.

 


mardi 12 septembre 2023

La Terre plate de Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony

Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony, La Terre plate, Généalogie d’une idée fausse, première édition : Les Belles Lettres, 2021, éd. Folio Histoire, 7 septembre 2023, 320 p.

 

On a tous entendu au moins une fois cette légende : Christophe Colomb voulait prouver que la terre était ronde et arriver en orient en prenant la mer vers l’ouest. Et les marins embarqués avec lui étaient persuadés qu’à un moment donné les caravelles arriveraient au bout de l’océan, et tomberaient dans des abimes où les attendaient des monstres fabuleux. Colomb débarque sur un continent inconnu le 12 octobre 1492, date qui, par tradition et commodité, marque la fin du moyen-âge. Et, par translation, on en conclut qu’au moyen-âge tout le monde pensait que la Terre était plate. 

La légende est belle, mais elle est fausse. Primo parce que trouver une nouvelle voie maritime vers l’orient était devenu nécessaire pour éviter de se confronter aux Ottomans. Secundo parce qu’au moyen-âge, tous les esprits éclairés savaient que la Terre était ronde, et ce depuis l’Antiquité.

Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony, dans un essai remarquablement accessible et pédagogique, remontent deux fils : celui de l’histoire scientifique qui, depuis la Grèce antique, et sans jamais faillir, affirme, preuves physiques et mathématiques à la clé, que la Terre est ronde ; et celui de la continuité dans l’histoire de la propagation de cette idée fausse que la Terre est plate, idée étrangement revenue sur le devant de la scène – sur le devant des réseaux sociaux – en ce XXIe siècle.

Je ne résiste pas au plaisir de citer le dernier paragraphe de l’essai avant sa conclusion, savoureux et révélateur de l’ignorance du plus grand nombre : « […] à ces constructions idéologiques autour des découvertes de Colomb et de la supposée résistance de l’Eglise, s’ajoute un mépris pour les études médiévistes, leur obscurité voire leur inutilité, dont nous pouvons attester au travers de notre expérience personnelle ». Et les autrices d’enchaîner avec un exemple tiré d’un film d’Alain Resnais, une scène entre Bacri et Jaoui, que je ne dévoile pas ici, mais qui est remarquable de répartie. 

Cet ouvrage nous permet, entre autres, de réviser ce que l’école nous a appris de la méthode d’Eratosthène, et de comprendre et interroger le mépris moderne envers le moyen-âge, considéré comme une période d’obscurantisme, ce qu’il n’était pas. Un essai passionnant, qui remet les idées en place et les pendules à l’heure. 


vendredi 8 septembre 2023

Eden de Audur Ava Olafsdottir

Audur Ava Olafsdottir, Eden, traduit de l’islandais par Eric Boury, éd. Zulma, 7 septembre 2023, 256 p. 

On n’est jamais meilleur romancier que lorsqu’on s’attaque avec légèreté à des thèmes essentiels. La légèreté n’est pas la facilité, être léger c’est savoir ce que pèse le poids. Le poids de nos actions, de nos réactions, de nos décisions. Audur Ava Olafsdottir est, dans le domaine de la légèreté pesant son poids de plume sur la réalité, une orfèvre. Elle nous en donne une nouvelle fois la preuve, ici, avec Eden, un roman magnifique, magnifiquement traduit par Eric Boury.

Car il faudrait commencer l’analyse par saluer la traduction, puisque l’un des thèmes du texte est la défense et l’illustration des langues minoritaires en passe de disparaître. Voilà la spécialité universitaire de la narratrice, Alba. Alba a une quarantaine d’années, est linguiste, et son mental jamais ne s’écarte de la linguistique, des déclinaisons, des rapprochements grammaticaux et lexicaux. Alba est une femme qui pense en structures linguistiques, et qui décrypte le monde, l’absurdité du monde, à l’aune de ces structures. 

Les langues, c’est le monde. On le sait depuis l’effondrement de la tour de Babel. Mais le monde, comment va-t-il ? Pas si bien que ça, on le sait aussi. Audur Ava Olafsdottir va marier, apparier, dans son roman, l’accueil des migrants et la lutte contre le réchauffement climatique. Et tout cela coule dans le texte avec une fluidité exemplaire, porté par une voix narrative des plus singulières et des plus impliquées.

Alba s’interroge sur son empreinte carbone. Elle court d’un point à l’autre de la planète pour défendre les langues minoritaires, pour expliquer l’intérêt de les préserver, mais les voyages en avion ne sont pas sans incidence. Dans une prise de conscience renforcée par la prochaine publication d’un recueil de poèmes rédigé par un ancien étudiant avec qui elle a eu une aventure, elle décide d’acquérir une petite maison délabrée entourée de terres, sur lesquelles elle va planter des arbres, comme pour se racheter, et de ne plus bouger.

Eden est un conte merveilleux, qui, comme dans un des précédents romans de l’autrice, tresse aussi – surtout ? – le motif de la maternité inattendue. Et la maternité a à voir, dans ce texte-là, avec la préservation de la terre-mère. Il s’agit de planter des arbres, pour compenser ses déplacements universitaires qui cherchent à sauver des langues en voie – voix – d’extinction. Il s’agit d’accueillir, chez soi, vraiment chez soi, un ado débrouillard, seul au monde ou presque, et de lui léguer un monde potable et habitable. Dans le village où s’installe Alba, tout un petit peuple est à l’œuvre, pour faire comme si l’on ne dansait pas sous un volcan – nous sommes en Islande, ne l’oublions pas. Un dépôt-vente géré par la Croix-Rouge locale propose dans ses cartons les livres de linguistique qu’Alba ne veut pas conserver. Mais dans les marges de ces ouvrages très pointus, des annotations qui ne sont pas de sa main parlent d’elle. Les habitants du village dévorent ces livres très spécialisés, pour tenter de comprendre la trajectoire d’Alba, cette femme seule échouée dans le village comme on échouerait sur une rive favorable. C’est l’étudiant-amant l’auteur des annotations, et ce qu’il dévoile dans les marges de livres de linguistique est plus parlant, plus intime, que ce qu’il a mis dans son recueil de poésie.

Eden est un roman, un conte,  basé sur la préoccupation de la préservation – de la planète, des langues en voix d’extinction – et de la permanence de liens infrangibles : les liens d’un père avec sa fille, les liens d’une amitié masculine dont Alba devient le centre et la dépositaire, les liens qui unissent tous les humains, autochtones comme migrants. Et c’est tout en légèreté, avec un talent immense de conteuse, d’observatrice et de fictionnaire, qu’Audur Ava Olafsdottir nous démontre, une fois encore, qu’un texte puisant au plus profond d’une réalité islandaise singulière acquiert une dimension universelle de réflexion, d’humanité et d’humanisme. 


mardi 5 septembre 2023

Perspective(s) de Laurent Binet

Laurent Binet, Perspective(s), 16 août 2023, éd. Grasset, 288 p.


La disposition adoptée par Laurent Binet est complexe. Perspective(s) est un roman épistolaire, doublé d’un roman politique, triplé d’un roman historique, quadruplé d’un roman policier. Quadruple tour de force, parfaitement mené à bien. 

Nous sommes à Florence en 1557. Catherine de Médicis est reine de France, son cousin Cosimo duc de Florence ; Michel-Ange, à Rome, peint la Sixtine tandis que Pontormo, son collègue maniériste, s’attèle aux fresques de l’abside de l’église florentine de San Lorenzo ; dans les couvents de futures saintes entretiennent le souvenir de Savonarole et déplorent la décadence artistique tandis que Bronzino défend le maniérisme. Lorsque Pontormo est retrouvé mort dans le chantier des fresques de San Lorenzo, Cosimo confie l’enquête au peintre et architecte (et accessoirement premier historien de l’art) Vasari, son ami et conseiller. C’est dans cette effervescence toscane de la haute Renaissance que nous emmène, nous entraîne, Laurent Binet. La correspondance éparse de vingt et un épistoliers, donnée dans l’ordre chronologique, dresse un tableau esthétique et politique d’une Florence au centre de tous les bouillonnements. 

Lire l'article sur La Règle du Jeu 


jeudi 24 août 2023

L’Echiquier de Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint, L’Echiquier, éd. de Minuit, septembre2023. 

Stefan Zweig, Echecs, traduction de Jean-Philippe Toussaint, éd. de Minuit, septembre 2023. 



Mars 2020, confinement. On s’en souvient. Les engagements pris par Jean-Philippe Toussaint – réunions littéraires, rencontres, salons – sont annulés, et l’auteur, qui n’avait pas de projet d’écriture en cours, décide de traduire Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig, traduction que les éditions de Minuit publient en cette rentrée littéraire, en parallèle de L’Echiquier. Quelque peu ébahi, comme nous tous, par cette période étrange qui nous assigne à résidence, Toussaint se fixe une routine : diviser ses journées en deux, une partie pour la traduction, une partie pour la rédaction d’un texte dont il ne sait pas où il va, ni ce qu’il raconte. Mais, peu à peu, l’auteur comprend ce que le texte dit. 

Lire l'article sur La Règle du Jeu

 


Journal d’un scénario de Fabrice Caro

Fabrice Caro, Journal d’un scénario, éd. Gallimard, coll. Sygne, août 2023 



Fabrice Caro a la vis comica. Le comique est une mécanique qui se doit d’être bien huilée, et Caro excelle dans cet art mécanique rigoureux et exigeant. Son narrateur, Boris, est scénariste. Il a écrit un scénario tout en tendresse et en retenue, sur une rupture. Les personnages se nomment Ariel et Marianne. Pour les interpréter, Boris ne voit que Louis Garel et Mélanie Thierry. Il a intitulé le scénario Les Servitudes silencieuses, et voudrait que Christophe Honoré réalise le film, en noir et blanc. Son journal commence le jour où Jean Chabloz l’informe qu’il a lu et aimé le scénario, et qu’il veut que le projet aboutisse. « Nous allons faire un beau film » répète-t-il.

Sur ce point de départ, assez mince, une tornade de péripéties se met en branle, dévorant tout sur son passage, et singulièrement la teneur-même du scénario. De renoncement en renoncement, poussé par les producteurs d’une chaîne TV, Boris modifie son scénario afin qu’il puisse intéresser le plus de spectateurs possibles – pas que les Parisiens mais aussi et surtout les provinciaux, pas que les intellectuels mais aussi et surtout un public populaire, etc. Louis Garel et Mélanie Thierry ne sont plus que des silhouettes qui s’éloignent à grande vitesse, le scénario devient farfelu, lorgnant plus du côté de La Soupe au chou que d’un Rohmer ou un Carax. 

Voilà pour la réalité. Parallèlement se met en place toute une série de quiproquos, parce que Boris n’a pas le courage de dire à la femme qu’il vient de rencontrer, et dont il est amoureux, que le scénario évolue sous la pression des producteurs ; parce que Boris n’a pas la force de parler de ses états d’âme à son meilleur copain qui est en plein divorce… Le scénario de la vie de Boris relève du comique de situation, dans le registre de la tendresse. Le scénario massacré par les producteurs relève, lui, du comique franchouillard en limite de scatologie. La confrontation de ces deux formes de comique est irrésistible.

Le roman de Caro est truffé de références cinématographiques et musicales délicieuses. Les inserts du texte du scénario qui nous sont donnés sont savoureux, on y voit Boris se battre bec et ongles pour conserver un peu de poésie et de hauteur dans une histoire qui tourne au grand guignol. 

Voilà un roman à lire d’une traite. On y rit à gorge déployée, souvent, et l’on a tout aussi souvent la gorge serrée. Caro construit une histoire de désastre et de renoncements sur le seul mode qui soit approprié au malheur de l’homme contemporain : le comique. Le talent de Fabrice Caro repose, entre autres, sur la maîtrise parfaite des mécanismes comiques et sur une empathie formidable envers les petits perdants quotidiens.

Une réussite indéniable, que ce Journal d’un scénario. A lire, et à offrir autour de soi. 


mardi 22 août 2023

Plexiglas d’Antoine Philias

Antoine Philias, Plexiglas, éd. Asphalte, 22 août 2023, 240 p.

Cholet, Maine-et-Loire, 55 000 âmes, ou à peu près. Une de ces villes moyennes comme il en existe tant en France : boutiques fermées en centre-ville, déploiement de ZAC, ces zones commerciales qui s’articulent autour d’un hypermarché entouré d’enseignes de bricolage et autres, toujours les mêmes, du nord au sud et de l’est à l’ouest du territoire national. Cholet, 31 décembre 2019 : c’est là qu’Elliot arrive, ou plutôt revient. Il est d’ici, sa sœur jumelle y vit, son grand-père y est en EHPAD et sa maison est disponible. Elliot s’y installe, dans sa chambre d’enfant – les parents ont déserté durant l’enfance des jumeaux. Elliot et ses 30 ans, son désoeuvrement, ses désillusions, sa jambe plâtrée. Elliot et sa vie qui boite. 

Antoine Philias bâtit un roman qui pourrait faire penser à la fois à Nicolas Mathieu et à Fabrice Caro. Un roman d’un réalisme sociologique abouti, et d’une ironie tendre tout aussi aboutie, pleine d’empathie pour les personnages. Et des personnages, il y en a, qui sonnent tous plus vrai les uns que les autres. Lulu, tout d’abord, la caissière de Carrefour, au seuil de la retraite, qui décide de s’intéresser à son propre sort et à celui des autres employés, se documente sur les revendications sociales, occupe les ronds-points. Ces deux-là, Elliot et Lulu, vont former le duo de base de toute une petite foule romanesque, une petite foule de petites gens – la sœur coiffeuse à domicile, le beau-frère employé chez Leroy-Merlin, le vigile payé-debout… pour ne citer que les personnages principaux.

Le roman s’articule sur une année entière, selon les fêtes et les saisons, transpercé par l’épisode du COVID et du confinement. Ces travailleurs de deuxième ligne ne sont pas confinés, ils officient tout d’abord sans masque, sans gel, puis, enfin, derrière des plaques de plexiglas. Ils sont ceux que l’on n’applaudit pas à 20:00, et qui ont marné toute la journée pour des salaires plus que modiques. Si la sœur et le beau-frère d’Elliot ont pu profiter du confinement pour cuisiner et prendre quelques kilos, Lulu est restée rivée à sa caisse, inquiète pour son fils enfermé dans un studio à Paris, et le vigile du Carrefour a peaufiné ses remarques envers la clientèle sur le port maladroit du masque et le passage obligé par la borne de gel hydro alcoolique. C’est à ses côtés qu’Elliot, en fin de RSA, dégote un emploi.

Plexiglas est un roman politique qui met les obscurs dans la lumière. Ils le méritent. Ceux que parfois l’on appelle « les vraies gens de la vraie vie », expression idiote, tous les gens sont vrais, et toutes les vies. Mais ces trajectoires-là, qui s’effectuent loin de Paris ou des grands centres régionaux, sont, finalement, majoritaires. Cholet, ville moyenne dirigée par un édile maintes fois condamné, devient l’exemple-même de la ville de province non pas abandonnée, mais oubliée. Pourtant, on y vit, on y aime, on s’y débat, on y rit, on y forge de belles amitiés. 

Singulièrement, la couverture de Plexiglas, avec son Caddie esseulé sur un parking de supermarché, évoque celle des Disparus de Mapleton de Tom Perrota – roman qui a servi de base à la série The Leftovers. Dans le roman de Perota, une partie de l’humanité disparaît, laissant le monde dans la sidération. Dans le roman d’Antoine Philias, une partie du territoire national – les petites villes, la diagonale du vide – et de la population – les travailleurs de deuxième ligne – indispensables et invisibilisés, sont mis sur le devant de la scène. Ces héros du quotidien, attachants, sympathiques jusque dans leurs contradictions, forment un chœur harmonieux. 


mardi 30 mai 2023

Regards croisés (46) – Sur la dalle de Fred Vargas

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Fred Vargas, Sur la dalle, éd. Flammarion, mai 2023, 512 p.

Il y a, chez Fred Vargas, cette capacité à brouiller la temporalité. C’est le brouillard, comme dans la tête de son  commissaire Adamsberg. Nous revoilà en Bretagne – ce n’est pas la première fois que l’autrice de rom-pol nous y entraîne – dans une Bretagne quasi folklorique, intemporelle. Oh, bien sûr, on utilise des téléphones portables et on conduit des voitures, mais, à bien y regarder, ce sont, finalement, de petites concessions faites à la modernité, voire à la contemporanéité. Nous sommes en Bretagne, donc. Les personnages du coin se prénomment ou se nomment Maël, Annaëlle, Cleach, Le Guillou, Braz, et j’en passe. Il n’y a pas de Le Goff, il me semble, mais il est fait mention d’un forgeron dans le texte. Le monde que nous décrit Vargas, dans Sur la dalle, est un monde atemporel presque exclusivement masculin, un monde d’hommes entre eux. Un des rares personnages féminins est une vipère, et son patronyme renvoie aux serpents. Trois autres personnages féminins sont placés sous des références plus positives et traditionnellement féminines : on trouve une Estelle, une Rose, et une Violette, bien sûr – Violette Retancourt qui, elle, mais le lecteur le sait déjà, porte un nom oxymorique, elle est plus forte qu’un homme. Jamais comme dans ce roman cette notion de brume temporelle et de voile masculin cachant le reste du monde ne m’était apparue si évidente.

Nous sommes en Bretagne, donc. Au XXIe siècle, si l’on veut. Dans le village où l’équipe d’Adamsberg est occupée à traquer un serial killer, on croise le sosie de Chateaubriand. Ce personnage est un descendant de l’écrivain, et la ressemblance est si frappante qu’il est une sorte de gloire locale que les touristes viennent photographier. Le seul endroit où on le laisse tranquille, c’est dans l’auberge, auberge qui sert de quartier général à l’équipe d’Adamsberg, et où l’on sert, évidemment, du chouchen et du cidre. 

Nous sommes en Bretagne, donc. Au XXIe siècle, si l’on veut. Les habitants du village se déchirent sur des superstitions : les ombreux et les ombristes, par exemple, les uns croyant que marcher sur leur ombre porte malheur et les autres s’ingéniant à piétiner les ombres des premiers. On fait référence aussi à un Américain superstitieux qui ne voulait pas voyager un vendredi 13, ni rédiger son testament par peur de mourir d’avoir testé. Et puis il y a cette histoire de fantôme boiteux, celui du château de Combourg, Chateaubriand oblige. Et puis il y a un bossu. Et puis il y a des puces sur les cadavres des victimes. Voilà tout l’univers de Vargas ramassé dans une intrigue.

Pour une fois, Adamsberg a une méthode d’investigation. Sa hiérarchie lui donne tous les moyens qu’il veut, et dans le village breton c’est une bonne cinquantaine de policiers qui opèrent. Porte-à-porte, barrages sur les routes, surveillances de nuit, rien que du traditionnel sans âge. Seul le lieutenant Mercadet opère dans la sphère contemporaine, avec son ordinateur. De l’intrigue en elle-même, je ne dirai rien, elle va son petit bonhomme de chemin. Bien entendu, c’est grâce aux rêveries d’Adamsberg qu’elle sera vraiment résolue. 

Le titre est trompeur. « La dalle », de nos jours, renvoie plutôt aux banlieues et aux grands ensembles bétonnés. La dalle de Vargas, et d’Adamsberg, est la table d’un dolmen, dolmen sur lequel le commissaire va s’allonger afin de laisser son esprit divaguer. Un dolmen, bien entendu, puisque nous sommes en Bretagne.

Je m’interroge sur ma lecture. Je ne sais pas ce que j’attendais de ce nouveau roman de Fred Vargas. Disons que je ne suis pas déçue. Mais que je ne suis pas, non plus, « déçue en bien ». Aucune véritable surprise, à part peut-être une incursion dans le grand-banditisme, aucune fausse note, un ronronnement paisible, quoi. Mes deux Vargas préférés restent L’Homme aux cercles bleus, et Un peu plus loin sur la droite. Deux romans des débuts. Sans doute parce que depuis ces deux découvertes, je n’ai plus été surprise, ni secouée. 

Lire l’article de Virginie Neufville sur son blog Fragments de lecture


vendredi 19 mai 2023

Le Sacrifice du roi de Livie Hoemmel

Livie Hoemmel, Le Sacrifice du roi, éd. Plon, 4 mai 2023, 448 p.


Il y a autour de cette publication un arsenal de storytelling. On ne sait rien de l’auteur, son nom est un pseudonyme que l’on qualifie de « sibyllin » (je n’ai pas résolu l’énigme, j’ai même demandé à Chat GPT, qui a calé…), Le Sacrifice du roi est un premier roman, et l’on nous dit que Livie Hoemmel est passionné par le monde des échecs. On veut bien croire tout cela, car cela n’engage à rien. Les ficelles éditoriales relèvent du marketing émotionnel. Si je me suis penchée sur ce roman, c’est parce que la figure centrale en est Bobby Fischer. On l’aura sans doute remarqué, je lis à peu près tout ce qui tourne autour des échecs, en évitant soigneusement tout ce qui concerne les parties en elles-mêmes. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’un écrivain fait du monde des échecs. Sans remonter jusqu’à Zweig ou Nabokov, je citerai parmi mes derniers éblouissements dans le domaine Antoine Choplin et Denis Grozdanovitch. Disons-le d’emblée, avec Le Sacrifice du roi, on est loin du chef d’œuvre. 

Cependant… Le Sacrifice du roi n’est pas sans mérite. Balayons d’emblée l’écriture en elle-même, qui s’appuie sur tout un catalogue de citations littéraires ou philosophiques expliquées, soulignées, et bénéficiant parfois de notes de bas de page. Un seul exemple, parmi bien d’autres : un paragraphe commence par la phrase « Ce fut comme une apparition », avec une note de bas de page indiquant qu’il s’agit d’un emprunt à Flaubert. Soit le lecteur reconnaît la citation et la note est inutile, soit le lecteur ne la reconnaît pas, et le renvoyer à L’Education sentimentale n’ajoute rien à l’intrigue. Intrigue qui d’ailleurs tourne plus autour des Liaisons dangereuses, cela est d’ailleurs largement souligné. Autre chose : ce roman aurait mérité une relecture plus soigneuse. Un seul exemple, là encore : l’un des personnages principaux, Olga, est une petite orpheline que l’on place dans un dans une institution. Sauvage, asociale, elle se réfugie dans la lecture. Page 111, on apprend que, fillette, quand elle lisait Dumas, elle devenait la « figure vengeresse d’Edmond Dantès », mais à la page 139, Olga a grandi et a été transférée dans un hôpital psychiatrique. Fidèle à elle-même, elle se rend à la bibliothèque et « s’arrêt[e] sur un ouvrage du XIXe siècle, Le Comte de Montecristo d’Alexandre Dumas, dont la quatrième de couverture « reti[e]nt son attention. » Voilà un personnage, Olga, dont la caractéristique première est une fabuleuse capacité de mémorisation, et qui oublie, en moins de trente pages, qu’elle a déjà lu le livre de Dumas… Ajoutons à cela que, singulièrement, cette petite fille russe ne s’intéresse pratiquement qu’à la littérature française, et que l’auteur cite lui aussi une majorité d’auteurs français. Comme il n’y a pas d’indication de traduction, on peut en déduire que l’auteur sous pseudo est français. Et que le lectorat visé est français lui aussi. Bref, l’emballage du roman est marketisé.

Mais, je le redis, Le Sacrifice du roi n’est pas sans mérite. Toutes les restrictions narratives que j’ai évoquées ne m’ont pas incitée à refermer le bouquin. C’est un signe – enfin, un signe pour moi. Que raconte le roman ? Eh bien, ce roman se donne pour mission d’expliquer l’énigme de la chute de Bobby Fischer. Bobby Fischer ? Oui, lui, le génie des échecs, le champion adulé qui a vaincu les Russes en pleine guerre froide. Le Bobby Fischer sur lequel s’ouvraient les bulletins d’information américains, avant que l’on traite du Vietnam ou du Watergate. Celui qui a mal tourné, mal fini, parano enfermé dans un délire antisémite, celui qui versait 20% de ses gains à une secte. La guerre froide, justement. La petite Olga qui lisait Le Comte de Montecristo a été missionnée par Brejnev pour anéantir le génie américain. Cette enfant géniale – géniale comme Bobby est génial – est mandatée pour redorer le blason soviétique échiquéen.

Le roman est scindé par la typographie : la plus grande partie du texte est présentée en police sans sérif, il s’agit d’un manuscrit présenté comme rédigé par un ami d’enfance de Bobby. On y détaille, en trois parties distinctes, l’ascension d’Olga, l’ascension de Bobby, et la rencontre des deux personnages. Le narrateur est partie prenante de l’histoire, il est le fils d’un espion du KGB installé à New-York – on le croirait tout droit sorti de la série The Americans – et l’ami indéfectible de Bobby. On se souvient sans doute que la mère de Bobby, Regina, était une sympathisante communiste, qui avait fait ses études de médecine à Moscou. Tout cela s’imbrique parfaitement. Paradoxalement, je me suis moins intéressée à l’histoire d’Olga, fabriquée, qu’à l’histoire de Bobby, basée sur une biographie réelle. 

Quel est le plan des Soviétiques ? Redevenir les maîtres des échecs sur l’échiquier politique. Bobby les a malmenés – le fameux combat de 1972 – et cela leur est inacceptable. Le plan échafaudé par la géniale Olga est diaboliquement efficient. Sur le papier, et dans l’élaboration. Mais c’est faire abstraction du facteur humain. Et l’abstraction, quand on parle des échecs, c’est quand même primordial.

Si comme le disait Einstein « Dieu ne joue pas aux dés », il joue aux échecs. Dans le roman, littéralement, il joue. Bon, il y a un artifice, bien entendu. Mais il est bien amené, et plausible sur le plan architectural. La construction mentale imaginée par Olga, puis réalisée, est une merveille d’invention. Je n’en dirai pas plus, mais c’est bien ce suspens, enlevé, qui m’a emportée. Le joueur d’échecs jouant contre Dieu est un motif littéraire et véridique. Plusieurs grands maîtres ont affirmé avoir joué contre Lui, parfois en Lui donnant un pion supplémentaire, et être sortis vainqueurs de la partie. La paranoïa de Bobby Fischer s’inscrit dans cette lignée de grands maîtres. L’intérêt du Sacrifice du roi est de broder autour des fragilités psychiques de Bobby Fischer, de leur donner un cadre romanesque. 

Le roi, ici, c’est Bobby. L’idée de sacrifice est à la base de quasiment toutes les fictions bâties sur les échecs. Que l’on se souvienne, a minima, de la série Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit), qui a fasciné des millions de spectateurs. Les échecs sont le jeu roi par excellence, un duel d’abstraction. Le Sacrifice du roi joue sur cette veine, mêlant lutte entre soi et Dieu, et guerre froide. Les dernières pages sont bâties sur une série de rebondissements ou twists narratifs et mentaux qui évoquent les diverses possibilités de résolution de l’énigme de base – qui a rédigé le manuscrit ? Tous les coups sont envisagés, comme sur une fin de partie d’échecs. Cette construction de fin de partie est virevoltante, et épuisante. Sans compter qu’on y croise Poutine et Nalvany.

Mais ne serait-ce que pour découvrir par quel stratagème Olga va concevoir la partie entre Bobby Fischer et Dieu, le roman mérite le détour.

 


mardi 16 mai 2023

Regards Croisés (45) – Conte de fées de Stephen King

Regards croisés

Un livre, deux lectures – avec Virginie Neufville

Stephen King, Conte de Fées (Fairy Tale), traduit de l’anglais (USA) par Jean Esch, illustrations de Gabriel Rodriguez et Nicolas Delort, éd. Albin Michel, avril 2023, 736 p.


Conte de Fées est un roman réaliste. Contradiction ? Pas vraiment. Conte de Fées est un roman réaliste jusqu’à la page 273, même si le basculement a eu lieu légèrement avant, mais pas tant que ça. Charlie a 17 ans, est orphelin de mère, vit avec son père alcoolique sobre de fraîche date. Nous sommes dans l’Illinois, dans une petite ville comme aime les évoquer Stephen King, les gamins s’y déplacent à vélo, les voisines épient derrière les rideaux, les infrastructures laissent à désirer. Le pont, par exemple. Les piétons l’empruntent sans être à l’abri du passage des véhicules, et la mère de Charlie a été littéralement coupée en deux par un camion, alors qu’elle allait chercher du poulet frit pour le dîner, vêtue d’un imper rouge parce qu’il pleuvait. Elle est sortie habillée comme le Petit Chaperon Rouge, et c’est la première mention d’un conte de fées que nous rencontrons, dans la première partie très réaliste de ce roman. Le premier souci de Charlie est de ne pas perdre son père, qui noie son chagrin dans l’alcool. Il passe un marché avec Dieu, Lui promettant que s’Il fait quelque chose pour lui concernant l’alcoolisme de son père, il se conduira de façon exemplaire face à son prochain. Les Alcooliques Anonymes sont en train de sortir le père de Charlie du pétrin, alors le garçon cherche à tenir sa promesse. L’occasion se présente lorsque, passant près d’une maison de style victorien qui ressemble au manoir Bates dans Psychose, il entend un chien aboyer et un vieillard gémir. Le vieux monsieur est tombé d’une échelle, il n’arrive pas à se relever. Charlie va se charger d’appeler les secours, et de prendre soin de la chienne durant le séjour de son maître à l’hôpital. Puis de prendre soin du vieux monsieur lorsqu’il rentre chez lui. Charlie, à 17 ans, c’est un brave garçon, vraiment. Il s’est pris d’affection pour un vieux ronchon, et il a une promesse à tenir. Et puis, surtout, il est comme qui dirait tombé en amour pour la vieille chienne.

Voilà, Conte de Fées est un roman réaliste, ou à peu près. Jusqu’à ce que dans le cabanon de la maison victorienne apparaisse un cafard gros comme un lièvre, jusqu’à ce que le vieillard dise au garçon que pour payer les frais d’hospitalisation, il n’y a pas de problème, puisque dans le coffre fort, à l’étage, il y a un seau rempli de petites billes d’or, jusqu’à ce que la chienne vieillissante ne puisse plus marcher, jusqu’à ce que Charlie apprenne qu’il y a, dans la cabanon, un passage conduisant vers un monde souterrain terrifiant où s’affrontent le Bien et le Mal, monde dans lequel on trouve un dispositif en forme de cadran qui permet de rajeunir. Que veut Charlie ? Que la chienne ne meure pas, ne souffre pas. Que fait Charlie ? Eh bien… il emmène la chienne dans l’autre monde pour qu’elle rajeunisse. Et l’aventure commence.

On peut dire qu’il y a deux niveaux d’aventure dans Conte de Fées. L’aventure fantasy, magique, qui occupe les trois quarts du roman, et l’aventure personnelle de Charlie, qui embrasse les deux niveaux, féérique et réaliste. Comment devient-on un adulte ? Comment dépasse-t-on ses peurs et ses angoisses ? Par quelles épreuves faut-il passer ? C’est là un des thèmes récurrents dans l’œuvre de King – La Petite Fille qui aimait Tom Gordon, la nouvelle The Body, pour ne citer que deux titres – et l’un des thèmes les plus prégnants de la littérature mondiale. Si King se projette entièrement dans ses livres, il nous y projette aussi, fille ou garçon, femme ou homme. Dans ce monde-ci, comme dans l’autre monde qu’il va explorer et éprouver, Charlie fait ses preuves. Avec vaillance, avec courage, avec espoir. 

C’est dans le deuxième versant du roman – à partir de la découverte de l’autre monde – que le titre prend réellement tout son sens. Autre monde que je ne décrirai pas ici, on s’en doute. Dans cette partie-là du roman, l’intertextualité est à l’œuvre :  le conte La Gardeuse d’oies des frères Grimm – la référence la plus évidente, avec le cheval qui parle –, La Foire des ténèbres de Bradbury – référence explicitement citée dans le texte, intrigue se situant dans l’Illinois –, Lovecraft, Le Magicien d’Oz, Gog et Magog, et même Murakami – l’allusion à deux lunes, par exemple, ou le passage vers l’autre monde évoquant Le Meurtre du Commandeur. Ou bien encore… bien des références encore… La partie fantasy de Conte de Fées est à la fois un festival d’intertextualité et une aventure menée lentement, avec des étirements, des amplifications, un récit qui évite soigneusement l’ellipse, à dessein. Stephen King ne tire pas à la ligne, ne prend pas son temps – il n’aurait aucun intérêt à cela. Stephen King conduit son lecteur par la main dans une balade terrifiante, non pas symbolique mais, tout bien pesé, psychologique et sociale. Dans ce monde de fantasy balisé de références, des questions essentielles sont posées : peut-on renoncer à être/devenir prince ? Peut-on aimer un frère devenu l’instrument d’une force diabolique ? Pourquoi laisser faire les choses quand on pourrait intervenir ? A ce titre-là, les dernières heures de Charlie dans l’autre monde offrent une scène terrible, une conversation percutante entre le jeune garçon et deux des protagonistes importants de la lutte entre le Bien et le Mal. 

Je dois dire ici que j’ai eu du mal, parfois, à m’intéresser aux aventures de Charlie dans l’autre monde. Des lenteurs, des longueurs, m’a-t-il semblé. Et puis, une fois la dernière page tournée, cette impression a disparu. Je tiens Stephen King comme l’un des plus grands conteurs contemporains. Si lenteur il y a, c’est qu’elle est nécessaire au récit. Au conte. Au roman. Charlie a sauvé le vieil homme tombé du toit, sauvé son père de l’alcoolisme, sauvé un autre monde soumis à des ténèbres terrifiantes. Un personnage ne voit plus, un autre n’entend plus, un autre encore ne parle plus – le triptyque des trois singes… On assiste à des jeux de cirque dignes de Quo Vadis ou de Squid Game, on se bat contre des géantes, et  j’en passe… Mais Charlie n’est au fond qu’un jeune garçon qui pédale dans les rues d’une bourgade de l’Illinois, qui aime sa chienne d’un amour déchirant, et son père d’un amour fondamental.  

Conte de Fées est un roman qui s’appuie sur une littérature de genre pour explorer la condition contemporaine et intemporelle des adolescents et des adultes. C’est le domaine d’excellence de maître King. 

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