mardi 23 février 2021

L’Inconnu de la poste de Florence Aubenas

Florence Aubenas, L’Inconnu de la poste, éd. de l’Olivier, 5 février 2021, 240 p.

Montréal-la-Cluse est une toute petite ville d’environ 3000 âmes, située dans l’Ain, sur le territoire du Haut-Bugey, à quelques kilomètres d’Oyonnax. Nous sommes dans la Plastics Vallée, dénomination qui laisse flotter l’idée de développement industriel et de modernité. Mais nous sommes aussi sur des terres anciennes, où l’on conserve le souvenir des travaux des champs et du petit élevage, où la vieille ville ressemble à un village de carte postale avec sa fontaine, ses maisons typiques et son petit bureau de poste. Le 19 décembre 2008, Catherine Burgod, en charge du bureau de poste annexe de la vieille ville, est retrouvée assassinée, on l’a tuée de vingt-huit coups de couteau et l’argent du coffre a disparu. Les enquêteurs ne retrouvent aucune preuve matérielle, il n’y a pas d’empreinte, et les traces ADN ne renvoient à aucun suspect potentiel. C’est à ce fait divers que Florence Aubenas consacre son dernier livre.

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mercredi 17 février 2021

L’Ami impossible de Bruno de Stabenrath

Bruno de Stabenrath, L’Ami impossible, éd. Gallimard, octobre 2020, 528 p.

Tuer les siens, c’est le geste tragique par excellence. Être tué par son père ou son époux, la plus épouvantable des morts. On peut – on devrait – penser : l’assassin, on s’en fout. C’est un monstre, voilà. Surtout s’il a prémédité son acte, agi froidement, en pleine conscience. Notre compassion n’est due qu’aux victimes. Tuer les siens, c’est aussi interroger l’idée même d’humanité. Polti, dans son catalogue des 36 situations dramatiques, inclut à l’entrée 23 : « Devoir sacrifier les siens ». Devoir ? On imagine là un impératif inévitable, pour un idéal que l’on ne maîtrise pas.  Les mythes antiques traitant du thème – Cronos, Médée, par exemple, assassins, ou Iphigénie, victime – disent quelque chose de nous, caché, quelque chose qui tient de la marche de la cité et des sentiments exacerbés. Les faits divers contemporains nous frappent, paradoxalement, plus intensément. Sans doute parce que les motivations sont triviales. On se souvient de l’affaire Romand : un homme tue son épouse, ses enfants, ses parents, après avoir menti pendant des années sur sa situation professionnelle et financière. Emmanuel Carrère en a fait un livre, Nicole Garcia et Laurent Cantet deux films.

L’affaire Xavier Dupont de Ligonnès nous frappe d’autant plus que l’assassin, contrairement à Romand, n’a pas été arrêté. C’est l’assassin envolé, l’homme le plus recherché de France. Bruno de Stabenrath connaît Xavier de Ligonnès. Ou plutôt, il l’a connu...

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lundi 1 février 2021

Deux jeunesses françaises de Hervé Algalarrondo

Hervé Algalarrondo, Deux jeunesses françaises, éd. Grasset, 20 janvier 2021, 224 pages.

Emmanuel Macron et Edouard Louis n’appartiennent pas à la même génération, ne sont pas issus du même milieu social. Ils ont cependant des points communs que le journaliste Hervé Algalarrondo met en avant, sans jamais forcer les parallèles. Manu est né en 1977 et Eddy en 1992. Ils sont picards. Les rapports qu’ils entretiennent avec leur famille ne sont pas apaisés, et c’est un euphémisme. Celui qui s’appelle encore Eddy Bellegueule souffre d’évoluer dans un milieu prolétaire et inculte, où la masculinité ne se discute pas alors qu’il se sait attiré par les garçons. Il est en bien meilleur terme avec sa tante qu’avec son père et sa mère. Emmanuel a choisi sa grand-mère Manette autant qu’il a été élu par elle : ces deux-là passent des heures ensemble, après l’école, à travailler la littérature. Les parents Macron évoluent dans la médecine et sont bien occupés. Manu et Manette commencent à tisser ensemble un destin prestigieux, ils ne savent pas encore lequel.

Ce qui réunit ces deux jeunesses, en décalé, c’est l’amour du théâtre. On le sait, c’est en classe de Première qu’Emmanuel fait la connaissance de Brigitte, son professeur au lycée privé d’Amiens. Eddy, lui, fréquente le lycée public, qui accorde également une place prépondérante aux études et aux pratiques théâtrales dans sa pédagogie. Les deux garçons, chacun à son époque, font merveille sur les planches. Ils sont doués, et plus que cela. Etrangement, aucun des deux n’envisage de devenir comédien, malgré leur talent. Et, paradoxalement, ils vont échanger, à des années de distance, l’avenir qu’ils avaient plus ou moins envisagé, ou que l’on avait envisagé pour eux. Emmanuel sera écrivain, pensait-on et disait-on. Il a une plume. Les deux femmes de sa vie, sa grand-mère et celle qui va devenir son épouse, en sont persuadées. Il faut dire que toutes deux sont des littéraires. Eddy fera de la politique, prophétise-t-on. D’ailleurs, dès les années collège, il sait rassembler autour de ses idées, est élu délégué de classe, prend parti pour la régularisation d’une élève en situation irrégulière. Ensuite, il adhère au parti de Besancenot. Là encore, on le sait, Emmanuel deviendra Président de la République, et Eddy Bellegueule devenu Edouard Louis l’un des écrivains français contemporains les plus reconnus, et les plus traduits dans le monde. 

Hervé Algalarrondo mène l’enquête sur les terres picardes, qui sont en partie les siennes, et ce n’est pas simple. Si l’on peut comprendre que les proches d’Emmanuel Macron hésitent à communiquer sur la jeunesse du Président en place – communication bridée – on s’étonne que les amis d’Edouard Louis soient si peu diserts sur la jeunesse d’Eddy Bellegueule. Il faut dire que dans son premier livre Pour en finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis a dressé le portrait d’une terre terrifiante et hostile, et on ne le lui pardonne pas. 

L’intérêt majeur de ce livre repose sur l’analyse de terrain. Le terrain, c’est la Picardie. Un territoire aux contours francs, doté d’une identité forte, fortement ressentie. Emmanuel et Eddy sont « montés » à Paris pour accomplir leur destin, et ne reviennent qu’épisodiquement et comme contraint pour le premier, et jamais pour le second, sur leur terre d’enfance et de jeunesse. Eddy Bellegueule a changé son nom pour celui d’Edouard Louis, a changé sa façon de s’habiller, s’est choisi une cellule amicalo-familiale dans le triangle qu’il forme avec Didier Eribon et Geoffroy de Lagasnerie, et hante Saint-Germain des Prés. Emmanuel Macron vit au palais de l’Elysée, a officiellement translaté son ancrage au Touquet et dans les Pyrénées. Il dit se sentir de ces terres-là, pas d’Amiens où il est né et a grandi. La Picardie ne leur pardonne pas cet éloignement, physique et mental. Dans un sondage publié dans Le Courrier Picard, les personnalités du terroir plébiscitées par les sondés sont Jules Verne – qui n’est pas né en Picardie –, Jean-Pierre Pernaut et Elodie Gossuin. Le divorce est donc largement consenti, de part et d’autre.