jeudi 26 novembre 2015

Surprise 15 - Pavoiser


Dénicher, dans le garage, un drapeau français (il y a de tout, dans mon garage).
Le ficher dans le pied en fonte, sur la terrasse.
Pas un souffle de vent, le drapeau pendouille.
Il fait nuit noire (il n'est pas encore 18 h).
Il faut froid (5°).
Et songer qu'à quelques mois - semaines ? - de là, le pied en fonte servait à soutenir le parasol.
A nous préserver de la chaleur et de la lumière, donc.
Cette chaleur et ces Lumières qu'aujourd'hui nous convoquons. Ou invoquons.



(Photo trouvée sur le site du Huffington Post)





dimanche 22 novembre 2015

Hugo orateur


Hugo orateur, anthologie et dossier de Myriam Roman, lecture d’image de Valérie Lagier, Folioplus Classiques n°285, 224 pages, 5 novembre 2015.


Le père Hugo, l’écrivain monstre, l’écrivain national. Une stature de héros des Lettres, un exil, des colères et des engagements, des funérailles nationales. La collection parascolaire Folioplus Classiques a l’excellente idée de proposer en ce terrifiant mois de novembre 2015 un choix de discours de Victor Hugo traitant de questions sociales, politiques et juridiques du XIXe siècle. Du XIXe siècle ? Ces questions-là sont toujours d’actualité : la liberté d’expression, le sort des plus pauvres, l’éducation, la peine de mort, le positionnement de la Russie… Certaines des justes colères de Hugo, proclamées notamment dans l’hémicycle, ont eu des prolongements heureux, bien après sa prise de parole. Myriam Roman, dans son introduction, fait toutefois remarquer que la parole du Victor Hugo orateur est avant tout une parole ancrée dans son temps, et rendant compte de son temps.

On le sait, Victor Hugo prend le parti, toujours, des faibles. Les pauvres, les ouvriers, les femmes, les enfants. Son engagement politique tient du romantisme et de la sincérité. Romantisme social, peut-être. Il est un héritier de la Révolution, un héritier conscient des terreurs de la Terreur, un amoureux des hommes et de la liberté, un être pétri d’Histoire et de ferveur. On l’aime aussi pour ça, le père Hugo. Pour ne jamais baisser la garde. Mais il reste, tout de même, un homme de son temps. Les lecteurs scolaires doivent être guidés dans l’appréciation de ses discours.

Les prisons, la place des femmes, la peine de mort, l’encouragement aux lettres et aux arts, rien à redire. Nous avons fait du chemin, sous nos climats, depuis le XIXe siècle. Nous avons fait du chemin, avec et grâce à Victor Hugo. En ce qui concerne l’éducation gratuite et obligatoire, aussi, bien entendu, nous avons avancé. Hugo était en première ligne législative sur le front de la loi Falloux (discours du 15 janvier 1850) contre la mainmise des autorités ecclésiastiques sur l’enseignement primaire et secondaire. Mais l’idée de Dieu, d’un dieu puissant et souverain, auquel on fait appel pour l’idée de liberté, Hugo en use dans son discours sur les Etats-Unis d’Europe, le 21 août 1849 : « Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis  d’Amérique , les Etats-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus  les mers […], améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ». Oui, vraiment, il faut un accompagnement pédagogique pour lire et remettre dans leur contexte les discours du père Hugo.

Nos lectures, comme nos états d’âme – si tant est que l’on ait une âme –, ne peuvent faire l’impasse sur l’actualité, ce qui en découlera, et ce qui vient en amont. En temps normal – mais qu’est-ce que le temps normal ?, désormais ? – j’aurais lu les discours du père Hugo selon un angle strictement littéraire, ou rhétorique, ou tout ce que l’on voudra. Enfin, selon un angle vaguement détaché, louant la prose parfaite et l’ancrage dans la modernité. Victor Hugo précurseur, ou quelque chose comme ça. Myriam Roman, esprit avisé et éclairé, nous met en garde contre les anachronismes. Le dossier pédagogique qu’elle propose est un modèle de mise en perspective : de la rhétorique révolutionnaire au choix arrêté de l’émotion, elle met à plat l’art du discours de Victor Hugo, l’explique et le contextualise. Un vrai et beau travail de chercheur et de pédagogue, la mise en perspective étant la pierre de touche de tout esprit éclairé. L’ici et maintenant ne sont pas l’hic et nunc de naguère. La tâche du professeur consiste à mettre en relief cette différence. Myriam Roman ne se défile pas, ne cède pas à la facilité admirative. Elle aide les enseignants à considérer l’immense œuvre hugolienne d’hier avec l’œil d’aujourd’hui. C’est ainsi que l’on doit lire les classiques.

A part ça, mon Totor, je t’aime (mais tu le savais).

samedi 14 novembre 2015

La guerre, la paix, la terreur et tout ça...


Pour Jean-Baptiste

J’ai commencé à rédiger un texte, et puis j’ai renoncé. Le titre était d'évidence "La guerre, la paix, la terreur, et tout ça..." La lectrice reste lectrice, incapable de passer le gué de la littérature, le père Tolstoï et le père Hugo, les vieux de la vieille, veillent, vaillants. Et le texte, on s’en fout. Je suis une foutue lectrice, lyonnaise et donc rompue à l'allumage des lumignons, et je n'ai pas réussi à trouver dans mes placards le moindre rogaton de bougie à déposer sur ma fenêtre (sur la fenêtre de la voisine d'en face, petite bonne femme énergique de 75 ans, une flamme tremblote). Voilà, on en est là. A fluctuer et à tenter de ne pas mergiturer. Je ne sais rien, dans ma chair, des heures sombres. Elles m’arrivent pas truchements : chaînes info, twitter, PdP (photos de profil) FB (Facebook) bleu-blanc-rougelisées – rituel auquel je me plie. J’ai vu du sang et entendu un pianiste jouer Imagine devant le Bataclan, j’ai entendu un juge antiterroriste et des journalistes à peu près ignares annoncer à nouveau l’apocalypse – mais je reste lectrice, et linguiste, l’apocalypse c’est autre chose, révisez votre grec. J’ai passé la nuit devant la tv, et la journée. J’ai pleuré en recevant « je vais bien » en réponse au texto que j’avais envoyé au seul Parisien qui m’importe vraiment, puis pleuré enfin sur les victimes, moi qui étais tranquillisée. Je suis allée promener mon vieux chien dans ma campagne de banlieue où rien, mais rien de rien, ne transpirait de l’actualité ambiante – il faisait encore jour, la voisine énergique n’avait pas encore sorti son lumignon du placard. Je suis là, devant mon écran – mes écrans, l’ordi, la tv, l’iPad qui bipe toutes les trois secondes ses notifications, et l’iPhone qui bipe les siennes, Europe1, France Culture, France TV info, l’Obs, le diable et son train – il est 20h09, le juge antiterroriste est sur France 2 et déclare que l’ennemi est surpuissant.
 
Je sais que je respire, que je soupire de rassurance à l’idée que le Musée d’Art Contemporain de la capitale des Gaules sera fermé mardi pour cause de deuil national. Je devais y emmener mes étudiants, pour la biennale d’art contemporain. Et l’art contemporain, soudain, ça sonne creux. Je ne sais pas encore ce que donnera la discussion – inévitable – avec mes étudiants lors de mon cours de mardi matin. Je sais que Manale – je la nomme, c’est mon étudiante voilée, il y a en une par promo dans mes promos – aura délié et dévoilé ses beaux et longs cheveux pour franchir les portes du lycée. J’espère – oh oui, j’espère ! – que le sang des rues parisiennes ne réactivera pas le clivage de Charlie.


Je tremble. On est samedi soir, samedi 14 novembre 2015, le pire est passé, je refuse de penser que le pire est devant nous. Le juge antiterroriste faisait allusion, il y a peu, dans les colonnes de Paris-Match, à un « Goncourt de la terreur » (= les attentats du World Trade Center). La lectrice, ce soir, ne confond pas la mort, et la vie, avec l’attribution des prix littéraires.

Paris 13 novembre 2015


samedi 7 novembre 2015

La Logique de l’amanite de Catherine Dousteyssier-Khoze



Catherine Dousteyssier-Khoze, La Logique de l’amanite, Grasset, août 2015, 224 pages.

De la mycologie considérée comme un des beaux arts

Nikonor Pierre de la Charlanne a cent ans, il vit seul dans son château limousin. Il attend qu’on vienne l’assassiner. Que sa sœur jumelle, Anastasie, à laquelle il voue une haine exemplaire depuis toujours, envoie quelqu’un pour le tuer. De mort et d’assassinat, il est beaucoup question dans ce roman étrangement suranné, qui ne s’inscrit dans aucune des lignes du temps littéraire contemporain. Les mémoires que le vieil hobereau de province rédige sur un cahier à couverture rose relatent, sur le mode de l’implicite, sa vie de serial killer.

Nikonor a passé, avec sa sœur, une enfance solitaire et retirée. Le château de la Charlanne est sis au fin fond de la Corrèze, isolé de tout et de tous. La mère était une Anglaise quelque peu évaporée et le père passionné par l’étude des champignons : « Des années de recherche l’avaient convaincu que la région produisait au moins trois espèces de champignons non répertoriées par la mycologie. » Des précepteurs viennent instruire les deux enfants, et parfois disparaissent. Nikonor suit les traces de son père de façon quelque peu détournée. Il s’intéresse lui aussi aux champignons, mais de manière presque exclusive aux cèpes et aux amanites. Aux cèpes pour leur beauté formelle, aux amanites pour d’autres raisons qu’esthétiques… Il avoue : « J’ai, pour ma part, toujours abordé la mycologie dans une perspective résolument pluridisciplinaire. » Son monde idéal est sylvestre, son paradis est un sous-bois : « Sans donner dans un panthéisme cosmique grandiloquent, disons simplement que j’ai toujours préféré la compagnie des forêts et des champignons à celle de mes semblables. » D’ailleurs, les champignons, il ne les consomme pas, il leur est pour ainsi dire très attaché. En revanche, lorsqu’il s’agit des hommes et des femmes…

Nikonor est un homme imbu de sa personne, qui avance dans le siècle en s’émerveillant des avancées technologiques, mais qui reste un indécrottable misanthrope. Il s’exprime avec hauteur, dans une langue travaillée ponctuée d’expressions anglaises. Il répond avec morgue au questionnaire de Proust, indiquant dans une de ses réponses que son auteur contemporain préféré est Michel Houellebecq. La Logique de l’amanite est un roman à l’humour très anglais, moins noir que lie-de-vin, comme les chapeaux des plus beaux bolets. La contribution de Nikonor à la mycologie appliquée est peut-être le symptôme d’une vie de province étriquée. Mais l’explication sociologique ou psychologique est à mille lieues de cette confession déroutante, toute en ellipse.

Un premier roman bien intrigant.

Bonus
Brève de comptoir (Jean-Marie Gourio) : « Le Français est capable de donner des Juifs pendant la guerre, mais dire un coin à champignons, ça, jamais ! » A la fin du roman, Nikonor brûle les cartes Michelin sur lesquelles il avait répertorié minutieusement les coins à cèpes de Corrèze…