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jeudi 30 septembre 2021

L’Herbier des villes de Hervé Le Tellier

Hervé Le Tellier, L’Herbier des villes, éd. Textuel, 29 septembre 2021, 96 p.


Hervé Le Tellier est président de l’Oulipo depuis 2019. Le succès rencontré tant auprès des critiques que des lecteurs par son roman L’Anomalie a sans doute éclipsé son titre d’Oulipien en chef. Les éditions Textuel publient en cette fin septembre une mise à jour de son Herbier des villes, mise à jour incluant un détritus majeur de nos trottoirs pandémiques : un masque FFP2.
Qu’est-ce que L’Herbier des villes ? Une collection particulière d’objets ramassés sur les trottoirs parisiens du XVIIIe arrondissement, classés et nomenclaturés comme dans un véritable herbier, celui de Lamarck par exemple : pour chaque détritus, une étiquette érudite et fantaisiste à la fois, alliant le latin et le contemporain dans une confrontation stupéfiante. L’étiquette a son importance, mais aussi le texte qui accompagne la photographie de l’objet ramassé dans le caniveau. Il s’agit, chaque fois, d’un haïku, cette forme particulière de poésie japonaise. 

Que trouve-t-on, dans cet « urbier » ? Des morceaux de laine de tresses africaines, des jeux à gratter non gagnants, des emballages de barres chocolatées… tout un fond de poubelle représentatif de la vie urbaine. La cueillette est de hasard, mais l’étiquette d’érudition et le poème japonisant modifient le regard du spectateur sur le déchet ou l’objet perdu.



Cet exercice oulipien, auquel le lecteur est d’ailleurs incité en toute fin d’ouvrage, est, comme presque tous les oulipismes, déclinable et adaptable. Il se trouve que j’ai la charge des cours de Cultures de la Communication et d’infographie dans un cursus de BTS. Cet exercice de l’urbier, je l’ai proposé à mes étudiants, en décalant légèrement l’idée première : non pas ramasser au hasard un détritus ou un objet perdu, mais imaginer que l’on trouve à l’arrêt du tram un objet inattendu. La consigne était ensuite de traiter l’objet insolite selon le modèle des planches d’herbier de Le Tellier. Je publie ci-dessous deux travaux issus de ce TP ludique, poétique et culturel :






L’Oulipo, comme la première partie de l’acronyme l’indique, est un ouvroir, un endroit où l’on œuvre en souriant et en rêvant, comme rêvaient les brodeuses et les couturières, en « monjas gitanas ». La contrainte – ici la trouvaille sur le trottoir, l’étiquette érudite et le haïku – produit « quelque chose » d’inattendu et de merveilleux, tout en rendant compte d’une réalité. Le Tellier n’oublie pas de saluer Georges Perec dans son avant-propos , Perec qui avait lui aussi pensé à un herbier des villes, plus végétal : « l’axiome “Georges y avait pensé” se vérifiait une fois de plus. » 

L’Herbier des villes est un petit livre formidable, à découvrir ou à redécouvrir

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Merci à Chloé Canelas et Léa Fernandes pour m'avoir autorisée à publier leurs travaux. 

vendredi 30 octobre 2015

Histoires extraordinaires & Poèmes d’Edgar Poe, illustrés par David Plunkert



Edgar Poe, Histoires extraordinaires & Poèmes, illustrations de David Plunkert, Editions Textuel, septembre 2015, 208 pages.

On se souvient des magnifiques Contes choisis de Grimm illustrés par Yann Legendre que les éditions Textuel nous avaient proposés il y a deux ans. En cet automne, un choix d’Histoires extraordinaires et de poèmes d’Edgar Poe paraissent sous le même format, 20x23, relié, couverture rigide et vernis sélectif. Les illustrations sont de David Plunkert, qui a publié entre autres dans le New York Times et le New Yorker.

Les textes choisis permettent de se replonger dans l’atmosphère terrifiante du Cœur révélateur ou de Le Puits et le Pendule, par exemple. On connaît ces textes, et on les connaît dans ces traductions-là, celles de Baudelaire. Mais depuis combien de temps ne les avait-on pas relus ? Ils prennent, dans cette édition, une matérialité impeccable : deux colonnes sur papier épais, brun-grisé. Une manière de redécouverte. Les illustrations, très contemporaines, allient le dessin, le collage et le graphisme informatique. Ça « matche ». Le chat noir, p. 26, est un rectangle noir sur fond rouge, six traits blancs pour les moustaches, un seul œil visible, l’esquisse d’un nez, une bouche rouge très humaine : la peur sourd, immédiate. Le portrait de Bérénice, p. 38, est un collage terrifiant, qui n’a rien de « gore ». On est, là, vraiment, dans la création graphique. Notre lecture du texte de Poe n’en est pas changée. Mais les illustrations, et singulièrement celle-là, montrent à quel point l’univers de Poe s’adapte à la sensibilité contemporaine.

Bérénice, illustration de David Plunkert
  
Parmi les poèmes, Le Corbeau nous arrête, comme toujours. Traduction de Baudelaire, à nouveau. Illustration dans laquelle l’œil du poète est celui de l’oiseau dont le bec, tourné vers la droite, vers un avenir inaccessible, semble murmurer son « nevermore » au creux de l’oreille.

Un ouvrage magnifique, qui ravira les amateurs de Poe, et les amateurs d’illustration.


samedi 4 octobre 2014

Grimm, Contes choisis, illustrés par Yann Legendre



Grimm, Contes choisis, illustrés par Yann Legendre, éditions Textuel, 1er octobre 2014, 212 pages.

Parmi les vingt contes des frères Grimm que Yann Legendre a choisis et illustrés, certains sont des classiques : Cendrillon, Le Vaillant Petit Tailleur, Blanche-neige, Le Petit Chaperon rouge… et d’autres sont beaucoup moins connus, et sont de belles découvertes. Par exemple : La Lune. Très court texte, où l’on voyage en trois pages d’un pays où la nuit est obscure pour se retrouver au royaume des morts : « Mais quand les quatre morceaux de la lune se retrouvèrent réunis dans le monde souterrain, voilà que là-bas, où avait toujours régné l’obscurité, les morts se mirent à s’agiter et se réveillèrent de leur sommeil ». Le monde du conte est celui du merveilleux, bien entendu. Chez les frères Grimm, inlassables collecteurs de légendes et d’histoires, le merveilleux est un voyage dans le temps et l’espace – temps et espace qui se rejoignent, justement, dans le conte La Lune.

Quelques « Il était une fois ». Mais aussi des ouvertures directes (« Un jour, le chat rencontra Monsieur Renard », ou « La femme d’un homme riche tomba malade », ou encore « Par un matin d’été, un petit tailleur était assis sur sa table ») qui nous plongent in media res ou à peu près dans un monde tangible et réaliste, pour ensuite dévier, surprendre et émerveiller. Quelques « Il était une fois », ici. Mais aussi d’autres ouvertures, merveilleusement floues (« Il y a bien longtemps », « Il y a quelques centaines d’années », « Dans des temps anciens », « Un jour »). La traductrice, Natacha Rimasson-Fertin, fait, elle aussi, des merveilles.

Yann Legendre, célèbre illustrateur, s’attèle donc aux contes des frères Grimm. Avec tout le talent qu’on lui connaît. Les sœurs de Cendrillon, aiguës, rouges et noires, sont terrifiantes. Une Blanche-neige toute de bleu vêtue gît sur un trognon de pomme qui semble flotter sur les eaux du rêve – à quoi rêva-t-elle, au fait, la belle endormie, pendant son sommeil ? Une rave en forme de montgolfière étend ses fanes sur la grand-place. Une petite souris, alanguie sur un abat-jour, semble prendre le soleil alors qu’elle est à l’intérieur de la maison : sur son museau, des lunettes à montures rouges, et des verres fumés sur lesquels se dessinent des cœurs (on pense à Lolita…). Yann Legendre manie les couleurs franches, et leurs déclinaisons éclatantes – le roux d’une chevelure, le violet des nuages – pour redessiner les contours du conte. Les textes acquièrent une noirceur, et parfois une sauvagerie, qui bousculent le lecteur. Le loup derrière le petit chaperon est à l’affût, caché mais envahissant tout l’espace. Quelques illustrations en noir et blanc, très graphiques, renforcent le sentiment d’inconfort. Et le lecteur est comblé. Car le merveilleux sans la peur est de peu d’intérêt. Ces contes – surtout ceux que l’on croit bien connaître – sont revus ici, graphiquement, sous un angle pop aux lignes nettes et franches.

Soulevez la couverture gris métal, gaufrée, aux illustrations rehaussées d’un vernis sélectif, et découvrez les contes de Grimm comme vous ne les avez jamais vus. Une publication magnifique.

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Yann Legendre est né en 1972. Illustrateur et directeur artistique, il est membre de la Society of Illustrators de New-York. Ses travaux font partie des collections permanentes de la Bibliothèque nationale de France et du Museum of Modern Art de New-York. (Visiter son site)