Amélie Nothomb, Frappe-toi le cœur,
éd. Albin Michel, 23 août 2017, 172 pages.
Parfois, être la
fille de sa mère s’avère douloureux. Voilà le point de départ du dernier roman
d’Amélie Nothomb. Devenir mère n’est sans doute pas simple, surtout lorsque,
comme Marie, on le devient à 20 ans avec l’impression de n’avoir pas pleinement
vécu la liberté de la jeunesse. Marie accouche de Diane, et elle n’a pas un regard
pour le petit tas de chair qu’on lui pose sur le ventre. Le père et les
grands-parents s’extasient, cette enfant est exquise, plus belle encore que sa
mère si c’est possible, et la mère tord la bouche. La fillette grandit, analyse
l’attitude de sa mère envers elle, puis envers son petit frère et la dernière
née. Elle, elle est inexistante ; Nicolas est élevé de façon normale, si
tant est que ce terme ait un sens en éducation ; la petite Célia est littéralement
couvée. Diane décide de quitter ses parents à 15 ans pour aller vivre chez ses
grands-parents maternels. Son départ ne dérange en rien l’ordre du foyer.
Amélie Nothomb
déroule la vie de Diane jusqu’à l’âge adulte, tout le texte passe par ses yeux
et sa réflexion. Elle comprend l’attitude de sa mère, et l’absout. Elle est
admirable de compréhension. Ce qui n’empêche pas la douleur, douleur qu’elle
exprime de façon intellectualisée. Dès ses toutes premières années, Diane est
capable de réagir avec mesure. Et rien, jamais, dans son développement, ne
transparaît de sa blessure : son corps ne se révolte pas, elle n’est ni
anorexique, ni kleptomane, ni sujette à des crises de colère, elle est très
bonne élève, un peu réservée avec ses camarades, mais on n’y voit qu’un trait
de caractère. Il faudra attendre les années de lycée, et l’amitié fidèle d’une
camarade de classe chez qui elle ira vivre, pour qu’enfin elle parle de son « secret ».
Secret inavouable : sa mère ne l’a jamais aimée.
Sous les apparences
du conte, comme souvent, Nothomb développe ici un texte d’une cruauté
infrangible, dont l’héroïne est la princesse malheureuse et obstinée. Le cœur y
est le motif essentiel, bien entendu, annoncé dans le titre – une citation de
Musset – mais aussi dans tout le deuxième versant du livre, qui se déroule dans
le milieu des études de cardiologie. Aucun terme technique médical n’est
employé, la cardiologie est symbolique des sentiments : on a du cœur, ou
l’on n’en a pas. Diane se lie d’amitié avec une de ses professeurs qui a l’âge
de sa mère, une complicité sans faille et sans ambigüité qui l’occupera de
longues années. Mais les mères, décidément…
S’il faut tuer le
père, selon les dires de tonton Sigmund, il est parfois salutaire de songer à
tuer la mère. Et de passer à l’acte. Amélie Nothomb organise tout un jeu de
miroirs, de reflets, pour tresser les relations mère/fille : l’amie
professeur s’appelle Olivia, prénom auquel Marie avait pensé pour sa fille
Diane ; la fille de l’amie professeur se prénomme Mariel ; les deux
mères – Marie et Olivia – n’autorisent à leur fille qu’un seul morceau de
chocolat. Il serait réducteur de ne se référer qu’à la psychologie ou à la
psychanalyse pour décortiquer l’attitude des personnages de Nothomb. Parfois,
les mères n’aiment pas leur fille. Ou les aiment trop, ce qui revient au même. C’est
ainsi. Et les pères, dans tout ça ? Dans Frappe-toi le cœur, ils sont dans un déni qui confine à l’autisme. Les
grands-parents maternels de Diane, en revanche, sont plus clairvoyants. Ils sont
mes héros de cœur de cette histoire terrible.
Un roman qui n’a
rien de glaçant, qui tout au contraire brûle d’un feu violent qui couve sous
les braises du non-dit et de l’acceptation. Un des meilleurs textes de Nothomb,
sans aucun doute.