samedi 4 novembre 2017

Frappe-toi le cœur d’Amélie Nothomb

Amélie Nothomb, Frappe-toi le cœur, éd. Albin Michel, 23 août 2017, 172 pages.

Parfois, être la fille de sa mère s’avère douloureux. Voilà le point de départ du dernier roman d’Amélie Nothomb. Devenir mère n’est sans doute pas simple, surtout lorsque, comme Marie, on le devient à 20 ans avec l’impression de n’avoir pas pleinement vécu la liberté de la jeunesse. Marie accouche de Diane, et elle n’a pas un regard pour le petit tas de chair qu’on lui pose sur le ventre. Le père et les grands-parents s’extasient, cette enfant est exquise, plus belle encore que sa mère si c’est possible, et la mère tord la bouche. La fillette grandit, analyse l’attitude de sa mère envers elle, puis envers son petit frère et la dernière née. Elle, elle est inexistante ; Nicolas est élevé de façon normale, si tant est que ce terme ait un sens en éducation ; la petite Célia est littéralement couvée. Diane décide de quitter ses parents à 15 ans pour aller vivre chez ses grands-parents maternels. Son départ ne dérange en rien l’ordre du foyer.

Amélie Nothomb déroule la vie de Diane jusqu’à l’âge adulte, tout le texte passe par ses yeux et sa réflexion. Elle comprend l’attitude de sa mère, et l’absout. Elle est admirable de compréhension. Ce qui n’empêche pas la douleur, douleur qu’elle exprime de façon intellectualisée. Dès ses toutes premières années, Diane est capable de réagir avec mesure. Et rien, jamais, dans son développement, ne transparaît de sa blessure : son corps ne se révolte pas, elle n’est ni anorexique, ni kleptomane, ni sujette à des crises de colère, elle est très bonne élève, un peu réservée avec ses camarades, mais on n’y voit qu’un trait de caractère. Il faudra attendre les années de lycée, et l’amitié fidèle d’une camarade de classe chez qui elle ira vivre, pour qu’enfin elle parle de son « secret ». Secret inavouable : sa mère ne l’a jamais aimée.

Sous les apparences du conte, comme souvent, Nothomb développe ici un texte d’une cruauté infrangible, dont l’héroïne est la princesse malheureuse et obstinée. Le cœur y est le motif essentiel, bien entendu, annoncé dans le titre – une citation de Musset – mais aussi dans tout le deuxième versant du livre, qui se déroule dans le milieu des études de cardiologie. Aucun terme technique médical n’est employé, la cardiologie est symbolique des sentiments : on a du cœur, ou l’on n’en a pas. Diane se lie d’amitié avec une de ses professeurs qui a l’âge de sa mère, une complicité sans faille et sans ambigüité qui l’occupera de longues années. Mais les mères, décidément…

S’il faut tuer le père, selon les dires de tonton Sigmund, il est parfois salutaire de songer à tuer la mère. Et de passer à l’acte. Amélie Nothomb organise tout un jeu de miroirs, de reflets, pour tresser les relations mère/fille : l’amie professeur s’appelle Olivia, prénom auquel Marie avait pensé pour sa fille Diane ; la fille de l’amie professeur se prénomme Mariel ; les deux mères – Marie et Olivia – n’autorisent à leur fille qu’un seul morceau de chocolat. Il serait réducteur de ne se référer qu’à la psychologie ou à la psychanalyse pour décortiquer l’attitude des personnages de Nothomb. Parfois, les mères n’aiment pas leur fille. Ou les aiment trop, ce qui revient au même. C’est ainsi. Et les pères, dans tout ça ? Dans Frappe-toi le cœur, ils sont dans un déni qui confine à l’autisme. Les grands-parents maternels de Diane, en revanche, sont plus clairvoyants. Ils sont mes héros de cœur de cette histoire terrible.


Un roman qui n’a rien de glaçant, qui tout au contraire brûle d’un feu violent qui couve sous les braises du non-dit et de l’acceptation. Un des meilleurs textes de Nothomb, sans aucun doute.