jeudi 20 septembre 2018

Il nous faudrait des mots nouveaux de Laurent Nunez


Laurent Nunez, Il nous faudrait des mots nouveaux, éd. du Cerf, août 2018, 192 pages.
  
Laurent Nunez nous propose treize mots pour élargir notre vision du monde. Il va les
dénicher dans des langues accessibles parce qu’enseignées largement dans les collèges et les lycées – l’allemand, l’anglais, l’espagnol – ou peu maîtrisées par le commun des Français – le japonais, l’inuktitut, le tchèque, par exemple. Et tout à coup, l’humain se dévoile sous d’autres faces, la communauté universelle donne à voir et à entendre des sentiments unanimement partagés. Si la langue est l’âme d’un peuple – on n’entrera pas ici dans le débat peuple, nation, etc. – la somme des langues, aux intersections impossibles, met à jour une dimension autre de nos sentiments, quelles que soient les conditions de température et de pression.



Lire l'article sur La Règle du Jeu 

jeudi 13 septembre 2018

Une vie en l’air de Philippe Vasset


Philippe Vasset, Une vie en l’air, éd. Fayard, août 2018, 190 pages.

Les lieux que l’on hante durant l’enfance et l’adolescence sont tout aussi cruciaux que les premières découvertes de lecture. Souvent, d’ailleurs, les rêveries suscitées par les textes sont imprégnées des paysages premiers. A moins que ce ne soit l’inverse… Toujours est-il que le décor réel est indissociable de l’imaginaire que l’on se forge, que l’on est en train de se forger. Philippe Vasset a passé les vingt premières années de sa vie, ou à peu près, « en l’air », comme le dit le titre de son très beau récit que publient en cette rentrée les éditions Fayard. Une vie perchée à sept mètres de hauteur, sur un rail de dix-huit kilomètres de longueur. Un rail, oui. Celui de l’aérotrain de l’ingénieur Bertin, projet qui n’a jamais vu le jour – on lui a préféré le TGV – mais dont subsiste un vestige vertigineux, au plein cœur de la Beauce. Là où Philippe Vasset a passé son enfance et son adolescence.


lundi 10 septembre 2018

La Vraie Vie d'Adeline Dieudonné


Adeline Dieudonné, La Vraie Vie, éd. L’iconoclaste, août 2018.

La petite fille qui aimait Tom Gordon au pays

des hommes qui n’aimaient pas les femmes




La Vraie Vie est un premier roman dont tout le monde parle en cette rentrée littéraire 2018, et qui figure sur les premières sélections du Renaudot et du Goncourt. La presse est unanime, la blogosphère aussi. Allons voir de plus près.

Une fillette et son petit frère vivent entre une mère terrifiée et un père violent. Le pavillon qu’ils habitent est le repaire de l’ogre et du chasseur à la fois. Le pavillon se situe dans un lotissement nommé Le Démo, mot dans lequel on entend « démon » et l’on suppose « démonstration ». La mère est régulièrement battue par son époux, elle ne retrouve un  sourire que  lorsqu’elle s’occupe de ses chèvres auxquelles elle a donné des noms d’épices, Muscade, Cumin… Le père ne s’intéresse qu’à la chasse, et plus encore, aux trophées. Une pièce de la maison leur est consacrée, sorte de musée macabre où le petit frère, bientôt, aime à se retrouver. Parce que le petit frère, tout mignon et tout rieur, subit un traumatisme terrible devant le camion du marchand de glace. Sa sœur aussi, qui est à ses côtés au moment du drame, et qui pense qu’elle est responsable de ce drame. On laisse au lecteur le soin de lire ce qu’il se passe devant le glacier, mais on signale en passant que dans le roman Helena de Jérémy Fel, dont on parle beaucoup aussi en cette rentrée, quelque chose se passe, également, devant le camion d’un marchand de glace. Comme si nous tenions là le symbole de l’enfance à qui il va arriver malheur. C’est un ressort que Stephen King sait exploiter avec génie : l’inversion des symboles, le marchand de glace qui devient traumatique, le clown tueur d’enfants, etc. La fillette d’Adeline Dieudonné, persuadée de sa culpabilité, veut tout faire pour que rien ne soit arrivé.

Il y a, dans les débuts de ce roman, une trouvaille formidable : la petite fille veut fabriquer une machine à remonter le temps pour que rien ne se soit passé devant le camion du glacier. A partir de sa connaissance absolue du film Retour vers le futur, elle bricole une voiture et un four à micro-ondes, demande à une voisine excentrique, qu’elle prend pour une sorcière, de faire venir l’orage et la foudre… Lorsqu’elle comprend que voyager dans le temps est un peu plus compliqué que cela – compliqué, mais pas impossible – elle se jette à corps perdu dans les études, brille en physique, reçoit les cours d’une sommité en la matière, et…

Et rien, au fond. L’histoire bifurque. Le petit frère suit une pente inquiétante de psychopathe, la mère continue de se faire tabasser, la fillette devient la proie d’un jeu qui ressemble à The Most Dangerous Game (Les Chasses du comte Zaroff). On a tous en tête des petites filles à la volonté farouche qui, par entêtement et traumatisme d’enfance, font tout pour que les choses rentrent dans un ordre plus harmonieux et moins douloureux. Pour ne citer qu’un seul exemple : la petite Murphy, dans Interstellar, qui partage avec la fillette de La Vraie Vie le goût de la physique quantique et l’enseignement d’un « maître ». Mais chez Adeline Dieudonné, la quête n’aboutit pas. C’est, peut-être, que le propos est ailleurs, plus réaliste malgré la tonalité de conte du roman. Dans La Vraie Vie, les femmes sont les victimes annoncées de mâles abrutis, en limite de caricature.
  
Adeline Dieudonné a un ton, c’est indéniable. La narration est empreinte d’humour et de sensibilité, les premiers tourments sensuels de la fillette grandie sont rendus avec une douceur et une intensité assez rares. Le roman se lit d’une traite, le lecteur est happé par la personnalité d’une petite héroïne qui jamais ne baisse les bras, tremble de peur mais avance, obstinée. C’est La petite fille qui aimait Tom Gordon au pays des hommes qui n’aimaient pas les femmes. La référence à Stephen King, encore lui, est immédiate : la fillette de La Vraie Vie est elle aussi fascinée par un sportif, un champion. Mes étudiantes vont adorer ce roman. Mais, tout de même, on est loin, pour l’acidité du conte, d’Amélie Nothomb, et pour l’ampleur imaginative, du roi King… Le Goncourt ? Le Renaudot ? Allons…




dimanche 2 septembre 2018

Des routes de Philippe Artières


Philippe Artières, Des routes, éd. Pauvert, 12 août 2018, 140 pages.

Voilà un ouvrage étrange dans l’inclassable, qui suit un déroulé parsemé d’accidents et de souvenirs, de pauses et d’accélérations, de conseils et d’invitations. Si le chapitre 1 commence ainsi : « J’ai toujours peur de prendre la route », il n’est pas le début du livre. Dans un chapitre numéroté 0, qui n’est pas un prologue, notons-le, Philippe Artières évoque l’accident de voiture qui coûta la vie à Albert Camus, et précise que c’était son éditeur qui était au volant. Et, dans la trajectoire parfaite des pages qui composent ce livre, le lecteur, dans l’épilogue, se retrouve face à Œdipe.