mardi 22 septembre 2015

Regards croisés (18) – Percy Jackson, le voleur de foudre de Rick Riordan


Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration avec Virginie Neufville


Rick Riordan, Percy Jackson, le voleur de foudre (Percy Jackson and the Olympians, Book one, The lightning thief), traduit de l’anglais (USA) par Mona de Pracontal, éd. Albin-Michel, collection Wiz, 2006, 432 pages.

Il est assez rare, qu’un(e) ado vienne me parler, spontanément, d’un livre. Il est encore moins fréquent qu’une ado, certes versée en mythologie et déjà grande lectrice, arrive à me convaincre de lire un roman pour la jeunesse. Héloïse, 14 ans, commence à me raconter son enthousiasme pour la série des Percy Jackson – dont je n’ai jamais entendu parler. Elle mentionne Zeus et Dionysos, fait référence à Méduse et aux Enfers, évoque un gentil satyre et une fille d’Athéna. A ma pernicieuse question – mais je suis déjà ferrée – : « et dans ton roman, là, on y jure par le Styx ? » Héloïse répond que oui, bien sûr. Je rentre chez moi avec le livre dans mes bagages, prêté par l’ado-lectrice versée en mythologie. Et je ne suis pas déçue ! J’en dévore la moitié durant le temps du trajet en TGV, et je le termine dans la foulée, happée autant par l’histoire que par les thèmes sous-jacents. Tout cela est rudement bien fait, bien mené, bien pensé.

Percy Jackson est un enfant de 12 ans qui ne sait rien de son père, qui vit entre une mère aimante et un beau-père désastreux (joueur de poker, dévoreur de pizzas, buveur, cogneur). Percy est dyslexique et souffre d’un trouble de déficit d’attention. Il n’est pas bon à l’école, se fait renvoyer invariablement de son établissement à chaque fin d’année. Lorsque commence l’histoire du Voleur de foudre, Percy est pensionnaire dans un institut privé pour enfants à problèmes, il n’a qu’un seul ami, le gentil Grover qui est dispensé de gym parce qu’il a une maladie musculaire des jambes. Lors d’une sortie scolaire, le professeur de latin aide indirectement Percy à combattre la prof de maths qui s’est transformée en monstre. Un monstre bien identifiable : elle est l’une des Furies. Passons sur les péripéties du début, qui nous font assister à l’attaque du Minotaure, à la mort de la mère de Percy et au dévoilement des jambes de Grover (ce sont des jambes velues terminées par des sabots de chèvre…).

On l’aura compris : les dieux, demi-dieux et créatures mythologiques sont bien vivants aux USA en ce XXIe siècle. Vivants, évidemment. Un philosophe allemand a affirmé que Dieu était mort, mais pas les dieux… surtout pas ceux de l’Olympe ! L’Olympe, de nos jours, sachez-le, se situe au dernier étage de l’Empire State Building. Mais pas le dernier étage que vous connaissez, non. Le 600ème, auquel l’on n’accède qu’avec une carte spéciale.

Chiron instruisant Achille (Herculanum)
Percy est poursuivi par des monstres – depuis sa plus tendre enfance, mais il n’en avait pas conscience – car il est le fils d’une mortelle et d’un dieu. Il ignore lequel. Pour le protéger, Grover et le prof de latin l’accueillent dans une sorte de colonie de vacances durant l’été. Le prof de latin, lorsqu’il était en classe, se déplaçait en fauteuil roulant. A son arrivée dans la colonie, Percy voit son prof préféré se lever, déplier son corps : son buste est bien celui d’un homme, mais son corps celui d’un cheval. Le prof de latin est Chiron, le centaure précepteur d’Hercule et d’Achille. Le directeur du camp de vacances est Monsieur D., un type mal fagoté, au parler relâché (on aura reconnu Dionysos).

Lorsqu’on demande à Percy de partir en quête de l’éclair originel, celui que Zeus tient dans sa main, et qui a été volé soi-disant par Hadès, Percy voit là une façon de descendre aux Enfers et de sauver sa mère. Il part vers Los Angeles, lieu des Enfers, avec Grover et Annabeth, la fille d’Athéna et d’un mortel. Ils croisent Arès, le dieu de la guerre camouflé sous l’attirail d’un Hell's Angel, et affrontent quelques monstres.

Les aventures mythologiques sont parfaitement amenées, incluses dans une sorte de road movie contemporain qui fait voyager les trois enfants de la côte est à la côte ouest des USA. On remarquera que si l’Olympe est à New-York – la ville intellectuelle – les Enfers se situent malicieusement à Los Angeles (on y accède par un studio de cinéma…). On le sait, les dieux de la mythologie ont une psychologie, des failles, des faiblesses. Ils nous ressemblent. Dans le roman de Rick Riordan, Hadès n’est pas forcément intraitable, et Cerbère aime bien jouer à la baballe…

Les aventures mythologiques, donc, sont parfaitement menées. Elles constituent la trame, tout à fait identifiable, du roman. Mais d’autres motifs, plus « souterrains », sont explorés, et c’est sans doute ce qui fait la force des aventures de Percy Jackson – comme elles font la force des aventures d’Harry Potter. Les trois enfants lancés à la recherche de l’éclair de Zeus poursuivent d’autres buts, plus personnels, plus universels. Percy veut ramener sa mère du royaume des morts. Grover, le petit satyre, veut prouver que le grand Pan n’est pas mort. Annabeth, la fille d’Athéna, a été abandonnée par son père qui a refait sa vie et ne s’intéresse pas à elle ; elle veut vivre en famille. Ces préoccupations sont premières dans le roman, et ne sont pas vraiment masquées par le fond mythologique. Parfois, elles s’entrecroisent : Percy sait à présent qu’il est le fils de Poséidon. Lorsqu’il se retrouve en présence de son père, sur l’Olympe, les retrouvailles sont tout en retenue. Annabeth, à la fin de sa quête, décide de tenter à nouveau de vivre parmi ceux qui sont aussi les siens : son père et sa nouvelle famille. Grover, satyre maladroit, acquiert assez de force pour partir à la recherche du grand Pan.

Les demi-dieux et les héros  de Rick Riordan ont, me semble-t-il, un avantage sur les sorciers de J.K. Rowling. Ils vont puiser plus loin dans la culture (pour le dire très rapidement : Harry Potter est d'inspiration médiévale). La mythologie est le fondement de la culture occidentale – on ne remerciera jamais assez les Grecs d’avoir inventé les dieux, et les Romains de ne pas les avoir tués, mais adoptés. Croiser les préoccupations éternelles des habitants de l’Olympe (la guerre, l’harmonie, la force et la ruse, la débauche et la clairvoyance, etc.) et les préoccupations contemporaines des pré-adolescents (familles recomposées, beau-père violent ou père indifférent, deuil de la mère impossible), voilà sur quoi repose la réussite des aventures de Percy Jackson. Les ados ne s’y trompent pas. Même s’ils ne parviennent pas toujours à analyser leur lecture, la passion qu’ils mettent à parler de Percy et d’Annabeth laisse transparaître une compréhension immédiate, empathique.

La dimension métaphorique du texte est parfois effleurée. Par exemple : dans ce premier volet des aventures de Percy Jackson, tout finit bien. La mère, qui s’est toujours ingéniée à protéger son fils, qui s’est sacrifiée pendant des années auprès d’un époux brutal, reçoit des mains de Percy l’objet magique qui la délivrera enfin. Car il ne suffit pas de sortir indemne des Enfers, encore faut-il ne pas retomber dans l’enfer quotidien.

La dimension métaphorique est aussi parfois appuyée de très belle manière. Comme dans cet extrait :

« Charon nous poussait avec une perche le long d’un fleuve sombre et huileux dans lequel tourbillonnaient des os, des poissons morts et d’autres objets plus surprenants : des poupées, des œillets écrasés, des diplômes détrempés aux bords dorés.
- Le Styx, a murmuré Annabeth. Il est tellement…
- Pollué, a dit Charon. Ça fait des milliers d’années que vous autres humains y jetez tout ce que vous apportez avec vous : vos espoirs, vos rêves, vos souhaits jamais réalisés. Déplorable traitement des déchets, si tu veux mon avis. » (p.330)

Merci Héloïse de m’avoir fait découvrir Percy Jackson !

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NB : La traduction de Mona de Pracontal – qui est aussi la traductrice de Dennis Lehane et de Donald E. Westlake – est impeccable. Le texte coule, fluide, rendant à merveille les dialogues entre les enfants.

NB 2 : Un film a été tiré du roman. Un film tape-à-l'oeil, parfois grotesque, où les effets spéciaux le disputent à la niaiserie.

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