L’élégance est une
notion complexe et composite, difficile à définir promptement. Pourtant, en
lisant le très beau récit que Dominique Noguez publie le 4 septembre chez
Flammarion, c’est bien le mot « élégance » qui surgit, immédiatement
et après réflexion. Le récit autobiographique est un exercice délicat. Étalage,
complaisance, meurtre rituel des personnes citées, ou tout au moins
meurtrissure, voilà les pièges. Dominique Noguez, parce qu’il place son
entreprise plus sous le signe de la littérature que de la dénonciation ou de la
simple énonciation, évite tous les écueils. Avec élégance.
« Je vais
essayer de tout dire ». Ainsi commence l’évocation de six années de
l’écrivain, six années rythmées par sa relation avec Cyril Durieux, jeune
banquier de vingt-quatre ans irrésistible et désespérant. Le désir et l’amour
se confondent parfois. Mais ce qui domine, dans cette histoire de cœur et de
corps que l’on hésite à qualifier d’unilatérale – tant les tours et détours des
rendez-vous différés et finalement merveilleux, des mensonges et sincérités, des
petites ou grandes trahisons, des cajoleries et revirements du jeune homme sont
nombreux, et terribles – c’est l’espoir. Ce sale espoir, peut-être. Celui qui
permet d’avancer, et d’imaginer une vie à deux, tranquille et apaisée.
L’espoir. Qui se décline, dans cette histoire vraie, en couleuvres avalées, en billets
d’avion retenus, en attentes de coups de téléphone ou de lettres faxées. Noguez
est au Japon. Ce qui aurait dû être un séjour littéraire et culturel tourne à
l’enfer quotidien. Que fait l’amant banquier – le presque amant, il ne s’est
pas donné entièrement – tandis que l’écrivain souffre dans un pays qu’il
devrait découvrir, se languit et tempête quand il devrait s’émerveiller ?
Il ne s’agit pas à proprement parler de méchante jalousie. Il s’agit plutôt de
douleur et d’espérance mêlées. Élégamment – on ne le dira jamais assez – Dominique
Noguez n’accable jamais le beau Cyril.
Cette élégance à
l’égard de l’ancien amant s’exerce aussi envers le lecteur. Jamais, jamais, on
ne se sent voyeur coupable, appâté, affriolé par les nuits parisiennes et un
milieu réservé. On se sent au contraire invité à partager les moments cruciaux
d’une vie d’homme, de la vie d’un homme qui se penche sur lui-même et nous
offre, comme en intimité culturelle et amicale, des confidences douces,
brillantes et tendres. C’est que la littérature est passée par là. Une année qui commence bien est l’exact
contre-pied de l’autofiction. Aucun règlement de compte. Aucune animosité. Mais
un texte, récit littéraire balisé de références explicites ou murmurées.
La rencontre avec
Cyril a lieu en octobre 1993, à l’hôtel de Massa, siège de la Société des Gens
de Lettres. Le récit qui nous est donné, en 2013, des six années suivantes est
le fruit des souvenirs. Mais pas seulement. Les éphémérides, notes prises sur
le vif, lettres et fax de l’époque, servent de base à l’élaboration du livre.
« Ce côté enivrant de la vérité vaut autant pour l’auteur que pour le
lecteur. Quelque chose d’entêtant, d’impérieux, d’agréablissime entoure pour
moi l’écriture de ces pages ». Car l’intimité avec Cyril et l’absence de
Cyril conduisent Dominique Noguez à s’interroger sur la manière de construire
son récit, de bâtir le tombeau de son amour envolé. Une année qui commence bien est aussi un traité de littérature, une
réflexion sur l’écriture de soi et des autres, sur la façon de rendre compte littérairement
d’une expérience intime et impartageable. Les livres, les références
culturelles – pour Noguez, les références cinématographiques et musicales sont
aussi importantes – nous sauveront toujours du désespoir de nos petites vies.
Ce qui est en jeu, dans Une année
particulière, c’est aussi la « manière ». Fuir l’étalage et s’en
remettre à ce qui nous reste le plus solide et le plus franc, le plus
franchement dicible, dans le fond et la forme. Il faut aller lire et relire la
page 268, trop longue pour être citée ici. On y trouve Joyce, Guyotat, Angot,
Moix et Vuillard, on s’y souvient de Gide, de Genet et de Valéry.
L’expression
« grand livre » fait peur. Grandiloquente, définitive. Parfois – pas
si souvent que cela – pourtant, nous autres lecteurs sommes frappés par une
évidence. Grand livre, oui, que le récit de Dominique Noguez. Cette année
littéraire, avec lui, commence bien.
*
Extrait :
« Le nez sur
ce qu’on a vécu, on finit par manquer d’air, par s’asphyxier en soi-même. Ainsi, tandis que le romancier, même
flaubertien et amateur d’exactitude, a toujours le droit de changer un nom, un
nez, une date de naissance, le détail d’une intrigue, d’inventer pour se
distraire un nouveau personnage et de le faire courir où il veut, d’en faire un
lâche ou un héros, un riche ou un fauché, un séducteur ou un thon,
l’autobiographe est assigné à sa propre biographie comme le cheval de fiacre à
son sac d’avoine. Le premier peut gambader et galoper tout son saoul ;
lui, non ».