La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, roman traduit de
l’islandais par Catherine Eyjólfsson, Zulma, 22 août 2013, 144 pages.
Le vieux Bjarni
Gíslason quitte l’espace d’un été la maison de retraite où il réside pour
revenir sur les lieux où il a vécu, travaillé, aimé. Il rédige une longue
lettre à l’amour de sa vie, Helga, dans laquelle il se remémore leur rencontre
et leur brève passion, les travaux des champs et les soins donnés aux bêtes, la
vie simple et bien remplie de l’Islande du siècle dernier. Un pays rustique où
l’on parle politique et poésie, où l’on s’adapte aux rudesses du temps, où sont
encore en vigueur les recettes ancestrales pour soigner la gale des moutons ou
élaborer un shampooing, où les légendes sont tenaces.
Cette Lettre
à Helga est merveilleusement tournée. Bjarni s’adresse à Helga de façon
simple et directe, pour tout à coup bifurquer vers le lyrisme, emporté qu’il
est par l’amour qu’il porte à sa terre, à ses paysages, et à cette femme. Les
seins d’Helga sont des « cygnes sur la vague », et deux éminences sur
une colline rappellent à Bajrni le corps de la femme qu’il
aime : « Combien de fois me suis-je couché là […] dans la brise
solaire du sud-ouest, la tête entre tes seins, avec l’impression d’être au
creux de tes bras ».
C’est une banale histoire d’adultère. Une
épouse – Unnur – qui a la suite d’une opération ratée ne peut plus faire
l’amour avec Bjarni. Une maîtresse – Helga – sensuelle et généreuse. De faux
ragots de village qui deviennent vrais. Ce pourrait être sordide, ou
conventionnel, mais il n’en est rien. La poésie bat dans chaque ligne de ce
texte, en évocation corporelle ou géographique, en citations des sagas ou
poèmes. La trivialité des situations est immédiatement balayée par une approche
différente, qui touche au merveilleux. On sera ému et décontenancé par les
tribulations du cadavre d’une vieille femme, par exemple, dont l’enterrement
est repoussé à cause de la terre gelée. Le vieux Bjarni, revenant sur son
histoire, s’exprime en homme d’une terre et d’une culture, s’interroge sur son
parcours et les décisions prises, s’en remet aux légendes locales, à son désir.
« […] j’étais là debout, tel un pieu en bois d’épave battu par les vents.
Je n’ai fait que t’aimer encore plus. N’est-ce pas ce qu’on devient, à côté de
celle qu’on désire le plus, Helga ma Belle, un vieux tronc de bois flotté qui
se dérobe au grand amour ? »
La très belle traduction de Catherine
Eyjólfsson – elle est aussi la traductrice d’ Auður Ava Ólafsdóttir – rend pleinement la
puissance du roman de Bergsveinn Birgisson, né en 1971, dont on nous dit qu’il
est la mémoire des histoires de son grand-père, fermier dans le nord-ouest de
l’Islande.