jeudi 19 septembre 2013

La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson



La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, roman traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson, Zulma, 22 août 2013, 144 pages.

Le vieux Bjarni Gíslason quitte l’espace d’un été la maison de retraite où il réside pour revenir sur les lieux où il a vécu, travaillé, aimé. Il rédige une longue lettre à l’amour de sa vie, Helga, dans laquelle il se remémore leur rencontre et leur brève passion, les travaux des champs et les soins donnés aux bêtes, la vie simple et bien remplie de l’Islande du siècle dernier. Un pays rustique où l’on parle politique et poésie, où l’on s’adapte aux rudesses du temps, où sont encore en vigueur les recettes ancestrales pour soigner la gale des moutons ou élaborer un shampooing, où les légendes sont tenaces.

Cette Lettre à Helga est merveilleusement tournée. Bjarni s’adresse à Helga de façon simple et directe, pour tout à coup bifurquer vers le lyrisme, emporté qu’il est par l’amour qu’il porte à sa terre, à ses paysages, et à cette femme. Les seins d’Helga sont des « cygnes sur la vague », et deux éminences sur une colline rappellent à Bajrni le corps de la femme qu’il aime : « Combien de fois me suis-je couché là […] dans la brise solaire du sud-ouest, la tête entre tes seins, avec l’impression d’être au creux de tes bras ».

C’est une banale histoire d’adultère. Une épouse – Unnur – qui a la suite d’une opération ratée ne peut plus faire l’amour avec Bjarni. Une maîtresse – Helga – sensuelle et généreuse. De faux ragots de village qui deviennent vrais. Ce pourrait être sordide, ou conventionnel, mais il n’en est rien. La poésie bat dans chaque ligne de ce texte, en évocation corporelle ou géographique, en citations des sagas ou poèmes. La trivialité des situations est immédiatement balayée par une approche différente, qui touche au merveilleux. On sera ému et décontenancé par les tribulations du cadavre d’une vieille femme, par exemple, dont l’enterrement est repoussé à cause de la terre gelée. Le vieux Bjarni, revenant sur son histoire, s’exprime en homme d’une terre et d’une culture, s’interroge sur son parcours et les décisions prises, s’en remet aux légendes locales, à son désir. « […] j’étais là debout, tel un pieu en bois d’épave battu par les vents. Je n’ai fait que t’aimer encore plus. N’est-ce pas ce qu’on devient, à côté de celle qu’on désire le plus, Helga ma Belle, un vieux tronc de bois flotté qui se dérobe au grand amour ? »

La très belle traduction de Catherine Eyjólfsson – elle est aussi la traductrice d’ Auður Ava Ólafsdóttir – rend pleinement la puissance du roman de Bergsveinn Birgisson, né en 1971, dont on nous dit qu’il est la mémoire des histoires de son grand-père, fermier dans le nord-ouest de l’Islande.