La Femme du futur et autres contes paradoxaux, François Coupry, éd. Pascal Galodé, collection «le K», octobre 2012, 416 p.
Son œuvre fictionnelle, François Coupry la décline sous le titre général de «Recréations du monde», et sous trois sous-titres : «Les Contes paradoxaux», «Les Cosmogonies», «Les Souterrains de l’Histoire». Ces intitulés nous suggèrent d’emblée, à nous, lecteurs, une ampleur inhabituelle, une ambition littéraire et imaginaire. Une sorte de décryptage fictionnel du monde – eh oui ! Une aventure… Recréer, tout de même, ce n’est pas rien. Mais si le romancier ne prend pas la place de Dieu, il n’est pas grand-chose… Dans le roman, dans la fiction, tout doit être possible, tout est possible, et surtout le retournement des évidences. Les Contes paradoxaux, comme leur titre l’indique, traquent l’opinion contraire à l’opinion générale. L’entreprise est immense, salutaire, essentielle.
Dans La Femme du futur, François Coupry nous offre trois contes qui jusqu’à aujourd’hui étaient indisponibles et un conte inédit, qui donne son titre au recueil. Voilà une magnifique occasion de revenir sur l’œuvre d’un écrivain hors-normes, auteur d’un essai-pamphlet, Notre société de fiction (Le Rocher, 1997) qui remettait les pendules à l’heure de l’imaginaire.
Le paradoxe est un bienfait, une manœuvre salvatrice de l’esprit humain, en général enclin à se laisser aller au bon sens commun, cet aveuglement collectif. L’exercice peut être philosophique, mathématique, psychologique. Chez Coupry, le paradoxe s’exerce sur le mode humoristique et quotidien, et nous entraîne au-delà de la simple lecture récréative. DansJour de chance, un coupable ne parvient qu’à rester innocent. Ses premiers mots nous jettent tout de suite dans le bain douloureusement paradoxal : « Il doit y avoir un problème. C’est curieux, mais personne ne veut admettre que… »
Dans Nos amis les microbes (conte paru initialement sous le titre Une journée d’Hélène Larrivière), le point de vue narratif est celui des microbes. L’incipit est magistral : « Une idée court (a-t-on vu courir une idée ?) chez notre peuple : on vivrait à l’intérieur de quelqu’un. Cette idée, on ignore de quelle expérience elle est née, ou de quelle phénoménale intuition, mais on peut affirmer qu’elle demeure dure comme plomb dans nos esprits ». On est ici au-delà du point de vue de Grégoire Samsa. On envisage le corps – le corps de la femme – comme un pays, une terre à explorer, une prison dont on ne fait pas le tour.
Dans Ventre bleu, les premiers mots du narrateur se réfèrent également au corps : « J’ai hésité beaucoup avant d’entrer en maladie, d’entrer à la clinique. J’étais un homme courant, les yeux verts, les cheveux pleins d’épis, m’usant à petits pas, comme si mon corps m’appartenait, aujourd’hui, sur cette planète Terre, quand on s’aperçoit que plus rien ne tient, ni les idées, ni les économies ». On ne saurait être plus… observateur…, lucide… Qui peut affirmer que tiennent debout les économies et les idées, par les temps qui courent ? La seule façon – disons, une des façons, mais celle de Coupry est la plus réjouissante : puisque nous sommes au bord du gouffre et ne pouvons qu’avancer, autant opter pour la riante lucidité –, la seule façon, donc, d’affronter l’inaffrontable est de retourner l’évidence. De s’en remettre au paradoxe. Dans Ventre bleu, le narrateur n’est heureux qu’en clinique. Lorsqu’on lui apprend que son cas est grave, il s’en trouve « heureusement très inquiet ».
Le dernier conte du recueil, La Femme du futur, est un inédit. Le titre évoque – éventuellement – L’Ève future, mais le propos est autre. Ce texte, très contemporain, ou immédiatement futur (l’héroïne est asiatique, comme si l’axe culturel et économique avait déjà définitivement basculé) nous plonge dans un monde exacerbé, une sorte de « réalité augmentée » au carré, ou au cube. Mais il ne s’agit pas de science-fiction. La fiction selon François Coupry se situe ailleurs dans l’espace littéraire. Les époques se mêlent, la flèche du temps est abolie. Nous sommes dans un monde merveilleux et terrifiant, celui de la télé-réalité et de l’impossible, de l’économie rêvée et de la politique renversée : on possède de l’argent mais on ne le gagne pas ; la mort est autre chose que ce qui nous effraie ; les rapports sociaux sont revisités.
« Anna, moi j’ai osé pénétrer derrière les façades : au-delà des apparences, je ne vis pas l’étincelante vérité. Anna, derrière les façades des banques, il n’y a que des bureaux vides, des étages et des étages vides […] Nul ne m’a empêché d’enquêter, nul ne m’a barré l’entrée : comme si ce secret que je découvrais était si évident que ce n’était plus un secret, uniquement une grotesque lapalissade que tout le monde devrait savoir. Et que donc on ignore, en notre béatitude endormie ».
La « béatitude endormie », c’est bien contre cela que lutte, littérairement, François Coupry. Toutes ses fictions envisagent la réalité sous l’angle du faux-semblant. Ce n’est pas pour rien qu’il est un des piliers du groupe de La Nouvelle Fiction – groupe littéraire formé autour de Frédérick Tristan, dans lequel on trouve, ou trouvait, Francis Berthelot, Jean Claude Bologne, Patrick Carré, Georges-Olivier Châteaureynaud, Hubert Haddad, Sylvain Jouty, Jean Lévi, Jean-Luc Moreau, Marc Petit.
La Femme du futur est publié dans la collection « Le K », chez Pascal Galodé. Cette collection est une bouffée d’air frais dans le paysage « littéraire » ambiant. Voici le début de la note d’intention de cette collection : « L’insolite, la fantaisie, le merveilleux, le fabuleux, le fantastique, l’irrationnel, le goût du faux, du jeu, du décalage sont des vertus dont la littérature académique, en France, se méfie, qui préfère s’arcbouter sur la psychologie sociale ou les épreuves subjectives soi-disant vécues ». On ne saurait mieux dire. La production littéraire ambiante et reconnue a des allures d’art pompier. La fiction, la vraie, la libre et salutaire fiction, c’est chez Coupry, entre autres, qu’il faut aller la dénicher. On y respire autrement.