Magma de Lionel-Édouard
Martin, mars 2013, édition électronique publie.net, et publie
papier, 136 pages.
Le Corps Volcan
Magma, de Lionel-Edouard
Martin, tient du texte hybride. Mais il y a dans ce terme « hybride »
quelque chose de méchamment péjoratif, qui ne rend pas justice. Magma est un grand texte, dont on ne
sait dire s’il est poème, prose, exercice de traduction latine, ou traité
d’écriture. L’histoire est simple, mais ce n’est pas une simple histoire. Une
histoire de cœur, de corps, qui prend fin. La mort d’un amour est la mort tout
court. Quand meurt un amour, l’enfance n’est pas loin, l’enfance est là, et
toute la littérature. Magma, c’est
peut-être ça. Cet amalgame magmatique de ce qui fait un homme, ce qu’il a lu et
ce qu’il a foulé, ce qu’il a haï et ce qu’il en retient. La femme, blonde, bien
faite mais un peu passée, et l’homme, lui, qui y croit, qui se met à y croire.
Non, décidément, Magma, ce n’est pas
ça. Magma tient dans une valise.
C’est une valise-chienne, fidèle, elle. Dans
la valise, l’ordinateur. Dans l’ordinateur, la possibilité du web. Et sur le
web, le souvenir de cette demande d’amitié de celle qui deviendra à la fois
l’aimée et l’amour. Facebook, ce traître. Qui noue et dénoue, qui fait de
l’écrivain un être qui se montre, et donc se donne. En puissance. Dans Magma, les fluides des corps se mêlent
aux confidences crues, et les souvenirs de la femme, blonde, un peu passée,
sont partagés dans la chair. La chair, c’est peut-être elle qui s’exprime, dans
Magma. Ça bout et ça se fige, ça
feint d’être vivant, mais ça vit tout de même, ça ravage tout sur son passage
mais comme en douce. Magma, c’est
mobile mais on n’en voit que l’immobilité, c’est brûlant mais c’est le froid
que l’on ressent, ça avance mais ça pousse vers le passé. Magma, ça n’a pas de définition, et c’est presque indéfinissable. Magma, c’est un texte.
Qui connaît Lionel-Édouard
Martin, qui a lu Deuil à Chaillou,
Breughel en mes domaines, Anaïs ou les gravières, sait que l’écriture –
mais il faudrait trouver un autre terme, neutre ou plein –, que l’écriture de
cet auteur est une forme qui dit le
fond, et un fond qui induit la forme. Pas un instant il n’est permis de douter
sur le travail de l’écrivain. Magma en est comme l’évidence. Les
traductions du latin, dans ce texte, côtoient le quotidien. Le retour à la
terre natale, symbolisé par la fulgurance du TGV et le dodelinement de la
micheline disent moins le vécu et le ressenti que la recherche du rythme, et du
phrasé. Magma, c’est le contraire de
l’exercice de style. Un texte que l’on pense – nous, lecteurs – jailli comme du
fond de la terre, qui surgit de l’écorce. Oh, pas terrestre, l’écorce. Ou
alors, il faudrait considérer la terre comme la somme de nos souvenirs, réels
ou de lecture. Un texte qui jaillit, certes, comme un corps-volcan, et qu’il
nous faut lire en brut et en distillé. C’est difficile. Enfin, pas tout à fait.
C’est ardu, mais pas seulement. Magma,
ça force à la lecture consciente. Il n’est pas question de se laisser aller à
une lecture « de confort ». Car Lionel-Édouard Martin nous veut en
inconfort. Magma ou le coup de poing.
Le vocatif. Le texte écrit
au « tu ». Le « vous » de Butor, de Perec, de Deleuse. Une
espèce d’évidence dans un texte qui n’entre dans aucune catégorie. Il ne s’agit
pas d’une « pose », d’une « coquetterie ». Il ne s’agit pas
non plus, sans doute, d’une évidence. Chez Lionel-Édouard Martin, semble-t-il,
le texte importe plus que la pose narrative. Les motifs se déclinent en
confidences élaborées littérairement, en fausses-pistes et faux-fuyants. C’est
à cela, peut-être, que l’on reconnaît l’écrivain, en général. L’écrivain qui
bâtit son œuvre sur les scories, les chemins de lave et les traverses de
l’enfance. Le vécu n’est vécu que pour être transmuté. Magma, peut-être, est de ces textes énigmatiquement transparents.
Qui trouvent leur prolongement, qui en annoncent d’autres – traductions
latines, retour à la maison d’enfance, pluies exotiques – tout en s’ancrant
dans l’œuvre en élaboration. On joue sur le motif, on noue différemment le
motif. Dans tous les cas, on fait œuvre. Magma
en est un jalon, à l’évidence pensé en cercle et en retour, un jalon qui donne
la flèche des textes antérieurs, et à venir.
Les phrases chantournées,
maîtrisées, se répondant de page en page, reprenant le motif pour le contrarier
et y revenir… La liberté de ton, et le style qui n’a pas à se libérer.
Lionel-Edouard Martin, conscient, sait où il va. Nous le suivons pas à pas, en
toute confiance.
Extrait : « Vieux
morts qui ont vu défiler ta vie, de ta naissance jusqu’à leur mort avec de
rares hiatus, vieux fidèles, tartines de beurre et de confiture, groseilles
mitonnant l’été dans la bassine en cuivre et les rillettes à la Noël, les
grattons, vieux donneurs, si prodigues de leur peu goûtu, tu viens répandre ton
cœur de vivant sur leur cœur gangrené sous la dalle, les mains vides, les bras
ballants, sans corbeilles de fleurs, sans rien, pas même une prière aux lèvres.
Pas même une prière
aux lèvres, muet, juste une parole mâchée sans bruit, qui dit l’amour qui
reste et ne peut se perdre ».
à propos de Lionel-Edouard Martin, voir mes autres articles sur la Cause Littéraire :