samedi 5 octobre 2013

Un petit boulot de Iain Levison



Un petit boulot, Iain Levison, traduit de l’américain par Fanchita Gonzalez Battle, éd. Liana Levi, 2003 et coll. Piccolo, 2004 et 2013 (édition spéciale n°100 de la collection).

Jake est au chômage depuis que l’usine qui l’embauchait a fermé. En perdant son emploi, il a perdu également sa petite amie, son abonnement au câble, et tout espoir d’améliorer son maigre quotidien. Il doit de l’argent à Ken Gardocki, « le seul en ville à gagner du fric, parce qu’il vend de la drogue et des armes et qu’il est bookmaker. Dans une ville où les trois quarts des hommes ont été licenciés au cours des neuf derniers mois, les affaires qui profitent du désespoir sont florissantes ». Le ton est donné : à partir d’une situation sociale désespérante, Iain Levison construit une intrigue à rebrousse-poil dans laquelle le héros voit sa situation s’améliorer en acceptant de devenir tueur à gages.
  
Ça pourrait être un boulot comme un autre. Un petit boulot en attendant de trouver mieux, diriger un petit magasin, par exemple, une épicerie-station-essence. Comment gagner sa vie dans un désert économique ? Il faut bien essayer de s’en sortir, on ne peut pas passer ses journées affalé sur son canapé en attendant que tombent les allocations chômage. Jake accepte le boulot. Il tue sur commande, et aussi quand on ne le lui demande pas, comme lorsqu’il liquide un type venu inspecter l’épicerie tenue par son copain Tomy. Tomy dépend d’une Direction Générale implacable envers ses employés, et le jeune inspecteur est zélé.
   
Oui, un boulot comme un autre. En attendant. En attendant de retrouver une vie normale, de s’installer avec une fille gentille qui lui donnerait des enfants. Les aspirations de Jake sont simples, quotidiennes. C’est un brave gars. Il n’avait jamais fait de mal à une mouche. 
   
La force de ce roman tient à deux – au moins – angles d’attaque : ne jamais porter de jugement, et s’en remettre à l’humour. La référence morale est balayée tout doucettement, et un boulot reste un boulot, avec les tracas du quotidien, légèrement décalés, récupérer les armes, trouver une fille pour donner le change lorsqu’on doit opérer à Miami, concilier les horaires de nuit et les horaires de jour. Car on offre à Jake deux boulots d’un coup, employé de nuit dans la boutique de son copain Tomy, et tueur à gages. Sa vie est bien remplie, à présent. 
   
Le personnage de Jake est éminemment sympathique. Et tuer des gens ne sera qu’une incise dans sa vie qu’il veut tranquille et rangée. Ce que décrit le roman, c’est l’outrage fait aux ouvriers et employés laissés sur le carreau, la déréliction d’une société. Dans ce monde sans espoir, l’amitié est une valeur sûre, de même que l’amour. Jake lutte à corps perdu contre le désespoir, qu’il soit personnel ou collectif, avoué ou nié.
  
On songe à The full monty, on traverse des décors miteux que hantent des personnages résignés, apeurés, qui soudain décident de retourner la situation, ne serait-ce que pour un temps. Ces personnages demeurent humains, désespérément humains, tendres et entreprenants. Des agneaux perdus, qui décident de prendre les choses en mains. Car les loups, on les connaît :
  
« [L’inspecteur de la direction générale] me regarde d’un œil perçant en essayant de me mettre mal à l’aise, et moi je m’imagine en train de lui tirer dessus. Je me demande si ce type a jamais aimé. J’en doute. Je doute aussi qu’il ait jamais été vraiment en colère. Le registre des émotions dont il dispose est limité parce que le type est obsédé par la cupidité et par la conviction qu’elle est récompensée. Je suppose qu’il réussissait plutôt bien au collège, et qu’à un certain stade de son développement personnel il a appris qu’un caractère impitoyable rapporte gros. Il a peut-être eu une fois un boulot d’été auprès d’un homme qui ne s’intéressait qu’à l’argent et en gagnait énormément, et il a écouté ce que lui disait cet homme, il se le répétait pour lui-même dans sa voiture pendant le trajet aller-retour. Il utilise encore probablement ses formules. Des formules du genre “Travailler dur est la seule façon de payer ses factures”, et il confond travailler dur avec gagner agressivement de l’argent, il se considère comme un travailleur au sens le plus élémentaire du terme. L’humour, la passion, l’amour et l’art sont des perturbations. C’est le type d’homme qui dirigeait l’entreprise qui nous a tous licenciés ».