Configuration du dernier rivage, Michel Houellebecq, Flammarion, avril 2013, 100 pages.
Fascination. Presque le bon mot : fascination. Celle qui nous pousse à lire et relire des poèmes à peu près plats, sans fulgurance, bien cadencés, certes, mais en rien géniaux. Houellebecq. Fascinant. On reconnaît dans les poèmes de Configuration du dernier rivage le même ton que dans les romans, le même balancement. Parfois, comme la phrase dans les romans, le poème s’achève sur une constatation qui nous gifle comme une évidence : «Atteindre le bonheur immobile et cyclique de la répétition», ou encore «La nuit qui n’aura pas d’aurore». Difficile de dire s’il s’agit de poésie, mais il y a sans aucun doute une «poétique» houellebecquienne, qui puise au plus profond de la tradition – octosyllabe, alexandrin à la Aragon, déploration – et de la modernité récente ou immédiate, que d’aucuns qualifient de postmodernité – «la face B de l’existence», «j’ai pour seul compagnon un compteur électrique».
On peut débattre sans fin, et à loisir, sur ce qu’est, ou n’est pas, la poésie. Pour ma part, je m’en tiens à un phare – Mallarmé – et à la définition de Lorca « Poesía es la unión de dos palabras que uno nunca supuso que pudieran juntarse, y que forman algo así como un misterio » (« La poésie est l’union de deux mots dont l’on n’aurait pu imaginer la rencontre, et qui forment quelque chose qui ressemble à un mystère » – traduction personnelle). « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui » de Stéphane, ou encore, pour ne citer qu’un autre exemple, « Ils ont greffé dans des amours épileptiques / Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs / De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques / S’entrelacent pour les matins et pour les soirs ! » d’Arthur. Avec Houellebecq, on est loin, très loin, de cela. Mais… mais une espèce de magie opère. Il y a du Tom Hanks dans cette « poésie », celle du monsieur-tout-le-monde qui soudain paraît sous les projecteurs, ou s’exprime sur la page. Quelque chose se passe. À peu près inexplicable – pour moi – mais indéniable. Ce n’est pas n’importe quoi.
«Où vont tous ces humains sur l’affiche Top Santé ? / Les pannes du désir, un produit efficace…». On peut s’esclaffer – je l’ai fait, je l’avoue. Mais ça marche. La neurasthénie houellebecquienne – celle des textes, pas celle de l’homme – tire sa justification de l’observation du genre humain. C’est romantique. On retrouve une certaine «hypertrophie du moi» chez M. H., qui toujours se raccroche, comme on raccroche les wagons d’une conversation plus ou moins décousue, à l’observation du monde. Assez déprimante, on l’admet volontiers, qui jamais ne nous pousse à nous surpasser, qui nie toute exaltation et toute possibilité d’un bonheur – ne serait-il qu’insulaire. L’amour et le sexe ne font qu’un, on ne bande plus et la vie devient insupportable, on écrit «les mémoires d’une bite», sans provocation, la vie c’est ça. Amis de la poésie bonsoir, peut-on sourire. Houellebecq est un pousse-au-sarcasme. Et pourtant…
Et pourtant, ces mots alignés vendus comme des poèmes ne sont pas rien, ni n’importe quoi. «Quand la nuit se découpe en oiseaux ralentis» lit-on, page 79. Ça claque et ça remue. Le reste est un peu paresseux, languidement misogyne, tristement contingent. Ce n’est pas fait pour être aimé, peut-être. Ou simplement apprécié. On peut se demander si tous ces «poèmes»-là auraient trouvé grâce auprès d’un éditeur s’ils n’avaient été signés Houellebecq. Leur publication, cependant, relève de l’évidence : Configuration du dernier rivage dit, exprime, la vérité d’un écrivain. Pas forcément la vérité poétique.