Connaître et apprécier,
Guillermo de La Roca, nouvelles, éd. Chroniques du çà et là, 160 pages, 14
octobre 2013.
Saluons la naissance d’une
nouvelle maison d’édition, Chroniques du çà et là, fondée par Philippe Barrot,
déjà à l’origine de la création de la revue du même nom. En ce mois d’octobre
paraissent deux recueils : Nouvelles
bartlebyennes d’Emmanuel Steiner et Connaître
et apprécier de Guillermo de La Roca.
Guillermo de La Roca est né
en 1929. Jusqu’à présent, il était célèbre pour avoir enregistré plusieurs
disques – avec los Machucambos, notamment – et pour avoir joué sur les scènes
internationales de la flûte indienne, vêtu à la manière précolombienne. C’est
aujourd’hui en « jeune » écrivain qu’il s’exprime, dans ce recueil
rédigé en français.
Les nouvelles qui composent
Connaître et apprécier sont
indubitablement d’inspiration sud-américaine, même lorsque l’action se déroule
au Bois de Boulogne ou en Provence. Ce sont des cuentos rapides, qui plongent le lecteur dans un univers
reconnaissable et pourtant magique, où la chute est souvent tranchée,
vertigineuse. Dans Le Rhin, la
dernière phrase « Nous coulâmes vers 15h30 », reflète parfaitement
cette ambiguïté basée sur l’évidence (« nous coulâmes ») et
l’incertain (« vers
15h30 »). Guillermo de La Roca s’inscrit dans un réalisme magique
latino-américain où les décors – selva,
montagne –, les ambiances – saison des pluies, cérémonies –, et les personnages
– bâtards, religieux, chamans, métis – forment un univers rude, aux relations
sociales marquées. On trouve aussi, dans les nouvelles de ce recueil, des anges
et Satan, des thérapeutes et un club sado-maso, un chat narrateur.
Les textes sont écrits sans
effet de style, comme un constat où l’étonnement n’a pas sa place. L’emploi de
mots espagnols non traduits contribue au dépaysement. Le lecteur accepte la
réalité décrite, accepte d’entrer dans un monde où un professeur
d’anthropologie sociale discute avec le Diable, où un informaticien se découvre
voyant, où la civilisation côtoie la barbarie et la religion les superstitions.
Guillermo de La Roca ne juge pas, n’établit ni comparaison ni hiérarchie. Il jette
sur le monde qu’il observe et qu’il crée un regard malicieux. Il confronte la
banalité et le surnaturel, la tradition et la modernité, la légende et l’hic et nunc.
Connaître et apprécier enchantera
les lecteurs qui apprécient Gabriel García Márquez, Marcel Aymé, Horacio
Quiroga…
Extrait (p.149) :
"Quand j'étais enfant, j'allais avec mes grands-pères dans les grottes profondes, dessiner à la lueur des torches, les bêtes terrifiantes et les animaux fidèles compagnons de notre vie, les empreintes de mes mains sur les parois, témoignent de ma présence dans ces lieux de mystères. Soudain les torches s'éteignaient, le monde disparaissait avec ses décors, et les voix familières me guidaient vers la lumière".