Alphonse Allais, L’Agonie du papier, et autres textes d’une parfaite actualité, éditions Le Pont du Change, juillet 2011, 80 p.
On connaît Alphonse Allais pour ses aphorismes. Citons-en deux, peut-être les plus fameux : « Le café est un breuvage qui fait dormir quand on n’en prend pas », et « Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Être de quelque chose ça pose un homme, comme être de garenne ça pose un lapin ». Ce journaliste-écrivain de la deuxième moitié du XIXe siècle (il est mort en 1905) est l’auteur de courts textes, dans lesquels l’humour le dispute à l’absurde.
L’agonie du papier et autres textes d’une parfaite actualité est un recueil de quinze articles réunis pour leur caractère étrangement prémonitoire. On y trouve des réflexions sur la réforme de l’orthographe et la déforestation, des anticipations sur le féminisme ou les économies d’énergie. L’auteur qui, à la veille de son décès, déclarait à un ami « demain, je serai mort », semblait avoir prévu quelques évidences de notre présent.
Les deux textes les plus étonnants sont sans doute La marée à Paris (1905), dans lequel Alphonse Allais imagine installer à la place des fortifs « un littoral véritablement marin, admirablement aménagé pour donner l’illusion du vrai bord de la mer » et que l’on nommerait… Paris-Plage ; et Ancor la réform de l’ortograf (1900), où l’auteur suggère que l’on écrive « NRJ » pour « énergie ». Un siècle plus tard, l’humour prend des allures de prophétie. Dans les quinze textes proposés, on trouve également la suggestion du « télévote » ou vote à distance pour les députés, ce qui éviterait les va-et-vient entre les circonscriptions et la capitale ; l’idée de remplacer le papier par ce qui ressemble à des microfilms ; une réflexion sur la date véritable de l’entrée dans le siècle nouveau (en l’occurrence, le XXe, mais la question s’est reposée en l’an 2000, on ne l’a pas oublié) ; l’expression d’une réelle inquiétude quant à la disparition des forêts à cause de la production intensive de papier. Dans les quinze textes de ce recueil, on trouve bien d’autres choses surprenantes encore.
Alphonse Allais n’était pas devin. Ces quinze petits textes ont été regroupés dans ce recueil car ils résonnent singulièrement à notre propre époque. Mais l’angle d’attaque est toujours celui de la dérision, de l’humour absurde. Sa plume, Allais l’affute en observant son propre temps, la Belle Époque, et non en se dressant comme un Nostradamus. Le résultat n’en est que plus réjouissant. Ce recueil met en évidence, sous l’humour et la dérision, une force d’imagination détonante, un refus de l’immobilisme, une confiance en la capacité technique et technologique des temps à venir. Alphonse Allais n’était pas un visionnaire, pas un futurologue (les futurologues se trompent toujours, comme les astrologues).L’Agonie du papier… montre à quel point l’imaginaire d’un écrivain peut être en avance sur la plate réalité du quotidien. Il nous appartient de dénicher, parmi les publications d’aujourd’hui (ailleurs que dans la science-fiction), celles qui nous dévoilent dès à présent les temps de demain.