Compte-rendu de la rencontre
organisée par le CNL (Centre National du Livre) le 22 mars 2014 au Salon du
Livre de Paris.
Intervenantes
argentines : Selva Almada, Inés Garland, Samanta Schweblin, Ana María
Shua.
Intervenant français :
Georges-Olivier Châteaureynaud.
Direction des débats :
Jean-Claude Perrier.
De gauche à droite : interprète - Ana María Shua - Samanta Schweblin - Jean-Claude Perrier - Inés Garland - Selva Almada - interprète - Georges-Olivier Châteaureynaud. |
Dans l’espace professionnel
du CNL (stand N80) sont réunis cinq écrivains : quatre Argentines et un
Français, qui ont pour point commun d’avoir écrit et publié des nouvelles.
Jean-Claude Perrier propose à chaque écrivain de donner sa définition du genre,
et d’essayer de dégager la différence fondamentale avec le roman. Ana María
Shua a publié trois recueils de nouvelles (cuentos)
et cinq recueils de microfictions (microrelatos).
Elle affirme que la microfiction est fondamentalement différente de la
nouvelle. Samanta Schweblin souligne qu’elle n’a jamais publié de roman, et
donc qu’elle ignore tout de dilemme du romancier. Inés Garland, qui a publié
des nouvelles et des romans, n’a jamais écrit de microfictions, mais est
persuadée qu’un microrelato est très
différent d’un cuento. Selva Almada,
quant à elle, se déclare nouvelliste et romancière, et considère que la
microfiction est un genre très difficile. Georges-Olivier Châteaureynaud
revient sur son parcours d’écrivain : il a commencé par la poésie et par
de courtes proses narratives, puis est passé, très vite, à la nouvelle. Il
alterne depuis 1973 les publications de romans et de recueils de nouvelles,
mais n’a jamais écrit de microfiction.
Jean-Claude Perrier pose
ensuite la question de la décision du genre : comment un écrivain
décide-t-il que l’idée qu’il a en tête va devenir une microfiction, une nouvelle
ou un roman ? Si Ana María Shua n’hésite pas – pour elle, la décision du
format est immédiate – Samanta Schweblin avoue que pour elle, la distance n’est
pas la question. La question est plutôt celle du temps que l’on a devant
soi : avant qu’on ne lui attribue une bourse d’écriture, elle se sentait
pressée « sous pression » et s’obligeait à finir son texte en une
semaine. À présent qu’elle a du temps devant elle, elle peut écrire des récits
plus longs. Inès Garland, pour sa part, avoue ne jamais savoir exactement où
elle va quand elle commence à raconter une histoire ; elle peut commencer
une nouvelle et s’apercevoir que, finalement, elle est en train d’écrire un
roman. Le problème de la microfiction, dit-elle, est que le genre exige de
savoir où l’on va et elle, elle ne sait jamais, a priori où elle va, sur quelle
distance. Sentiment partagé par Selva Almada, qui déclare cependant que sa
préférence va au roman. À présent, lorsqu’elle écrit une nouvelle, c’est
souvent sur commande – pour une revue, une anthologie. En fait, depuis qu’elle
écrit des romans, elle a de plus en plus de difficulté à se confronter au texte
court.
Georges-Olivier
Châteaureynaud rebondit sur une réflexion de Jean-Claude Perrier à propos de la
place de la nouvelle dans l’édition : en Argentine, et dans l’espace
hispano-américain en général, le cuento
est un genre reconnu et diffusé, alors qu’en France la nouvelle est plutôt
marginale. Châteaureynaud approuve, mais nuance l’analyse. Il précise que
depuis les années 70, les perspectives ont changé, on a assisté à une
renaissance du genre, due en partie aux enseignants qui conseillent la lecture
de nouvelles à leurs élèves. Mais, ajoute-t-il, le genre-roi en France reste le
roman. Ana María Shua approuve, regrettant qu’en Argentine la microfiction ne
soit pas du tout commerciale. « Il suffit de regarder la liste des
bestsellers », dit-elle. « Ce sont des pavés ! » Chacun
s’accorde pour constater que moins les lecteurs ont de temps pour lire, plus
ils lisent de gros livres, dans une sorte de basculement inexplicable.
En fait, le lecteur de nouvelles
est un lecteur plus « spécialisé » que le lecteur de romans. Il n’est
pas forcément facile de goûter un texte bref qui déploie une situation
filée ; il est plus simple, peut-être, de se laisser happer par un roman,
plus long, dans lequel on s’installe, avec digressions et multiples
personnages. La lecture d’un roman peut paraître plus confortable, tandis que
pour lire une nouvelle, il faut accepter de se laisser prendre pour un temps
assez court, et accepter aussi de quitter les personnages et les situations,
pour passer ensuite, dans le texte suivant du recueil, à une autre histoire.
Samanta Schweblin ajoute que les Argentins sont des lecteurs naturels de cuentos, comme si les textes brefs faisaient partie de leur ADN de
lecteur, et Selva Almada souligne qu’en Argentine il existe de nombreuses
petites maisons d’éditions qui s’intéressent aux nouvelles, ce qui offre un
choix élargi. Georges-Olivier Châteaureynaud revient sur la différence entre
nouvelle et roman, en soulignant que le monde de la nouvelle est un monde
d’unicité et de contraintes. Dans les textes courts, on s’en tient à quelques
personnages, à quelques arguments. Le roman procède par accumulation, tandis
que la nouvelle procède par évitement. Ce qui rejoint la réflexion de Samanta
Schweblin : pour écrire ses cuentos,
elle réduit ses textes au minimum, à l’essentiel. Le métier du nouvelliste, du cuentista, c’est de
« couper ».
Il revient à Ana María Shua
de conclure par la lecture d’une de ses microfictions.
Durant cette rencontre, devant
un public attentif composé à part égale d’hispanophones et de francophones, il
a été aussi question de la légère différence de dénomination :
microfiction, microrelato, nouvelle, cuento, et novella, ce dernier genre étant plutôt en vogue dans l’univers
anglo-saxon. On ne sait dire au juste si une novella est longue nouvelle ou un court roman.
Après la rencontre devant
le public, dans un échange informel entre les participants, Inès Garland a
récité ce qui pour elle est la microfiction parfaite, le texte d’Hemingway :
« À vendre, chaussure bébé,
jamais portées ».
*
Selva
ALMADA est née dans la province d’Entre Ríos en 1973, elle est l’auteure de
plusieurs livres de contes et de poésie. Son premier roman, El viento que arrasa, a été très bien
accueilli par la critique.
Inés GARLAND est née à
Buenos Aires en 1960. Elle a publié son premier roman en 2006, El rey
de los Centauros (Alfaguara). Piedra, papel o tijera (Alfaguara,
2009), à paraître sous le titre Pierre contre ciseaux à
l’Ecole des loisirs en mars 2014, a reçu le prestigieux prix de l’Association
de littérature jeunesse d’Argentine (ALIJA) le désignant ainsi comme meilleur
roman jeunesse argentin de l’année de sa sortie.
Samanta SCHWEBLIN est née à
Buenos Aires en 1978. Son premier livre de nouvelles paraît en 2002 et, en
2008, Des oiseaux plein la bouche (prix Casa de las Americas) est paru
aux Éditions du Seuil en 2013. Traduite et publiée dans une dizaine de pays,
elle a été reconnue par la revue Granta comme l’une des meilleures
narratrices de langue espagnole.
Ana María SHUA est née en
1951, à Buenos Aires, elle a publié plus de quatre-vingt livres dans de
nombreux genres. Elle est particulièrement célèbre dans le monde hispanique des
deux rives de l’Atlantique sous le nom de "la Reine de la
Microfiction". On peut lire d’elle en France La saison des
fantômes (Cataplum éditions, 2010), La mort comme effet secondaire (Folies
d’encre, 2013).
Georges-OlivierCHÂTEAUREYNAUD est l’auteur d’une œuvre ample (plus d’une centaine de nouvelles
et une dizaine de romans). Il est l’un des acteurs du renouveau de la nouvelle
en France, inlassable défenseur du genre. Prix Renaudot pour La Faculté des songes et Bourse Goncourt
de la nouvelle pour son recueil Singe savant tabassé par deux clowns. Il a présidé la Société des Gens de Lettres,
est secrétaire général du prix Renaudot et membres de plusieurs jurys
littéraires.
Jean-Claude PERRIER est
essayiste et journaliste à Livres Hebdo.