Ximena Escalante, Electre
se réveille (Electra despierta), théâtre, éd. Dramatrugia Mexicana et éd. Le Miroir qui fume.
MADRE
(LLEVA SU PROPIO CORAZÓN EN LA MANO, TODAVÍA CALIENTE... TAL VEZ
LATIENDO). Un corazón no sirve de nada a una madre si no consigue que sus
hijos la amen. No sirves, eres basura. [...] Tu vida, a lo tuyo, tu propio
orden de cosas. Y yo, bien gracias, me dejaste, te olvidaste de mí. Nunca,
nunca pensaste en mí. Egoísta. No me enseñaste a dar. Ni a recibir. Ni a dar y
recibir. Ni a soñar. No recuerdo un solo día en que latieras de gusto. O
emoción. O te esremecieras.
Ainsi parle Clytemnestre. Ainsi parle Clytemnestre à son propre cœur, qu'elle
tient entre ses mains. Dans la pièce de Ximena Escalante, Clytemnestre est
simplement nommée « mère », par antonomase. Mère non aimante et non
aimée, soucieuse de ses bijoux et de « son » mari, le nouveau. Cette
scène, saisissante, est le « cœur » de la pièce. Car il s'agit, chez
Escalante, avant tout, d'aimer et d'être aimé(e). Il n'est jamais question de
l'assassinat du père, du premier mari de la mère. Si le mot
« vengeance » est prononcé, il n'est qu'un rappel ténu au mythe, et
non un mobile.
Dans la pièce, les seuls personnages qui conservent leurs noms mythiques sont
Électre, Oreste, Iphigénie et Pylade. La mère et le beau-père ne sont pas
nommés. Ce qui pourrait passer pour une coquetterie est en fait une indication
de lecture. Lorsque la pièce est représentée, le nom d'Oreste est prononcé une
seule fois (par Électre) mais pas celui des autres personnages. Le spectateur
est à même d'identifier qui est qui (Pylade, par exemple). Mais le texte écrit
nomme, ou ne nomme pas, les personnages.
C'est que l'utilisation du mythe, chez la dramaturge mexicaine, est une manière
d'ancrage dans la culture commune, mais également d'élargissement. À la
psychanalyse - peut-être un peu trop soulignée - et à la révolte adolescente. À
ce titre, le personnage d'Iphigénie, cadette délaissée, enjôleuse envers son
beau-père, est exemplaire. En revanche, les deux complexes psychanalytiques -
celui d'Oreste et celui d'Électre - sont très appuyés, peut-être trop.
Les temps, dans la pièce, se chevauchent. La scène 18 - l'antépénultième -
intitulée « el día en que empezó todo » - présente un déjeuner
d'enfance. Electre dit « cuando yo sea grande, quiero ser grande »,
ce à quoi Oreste réponde « cuando sea grande quiero estar contigo ».
Ce flash-back est une explication du crime : Électre, qui veut un père qui
soit à la maison, et non absent parce qu'il voyage, dit à sa mère qu'elle la
déteste, qu'elle veut en changer pour une autre. « No puedes », dit
la mère. « Puedo, si te mato », répond la fille. La mère est
désinvolte, et ne prend pas la réplique de sa fille au pied de la lettre,
arguant que tous les enfants, un jour ou l'autre, ont envie de tuer leurs
parents. Cette scène, située en fin de pièce, rend a posteriori encore plus
poignante la scène où la mère tient son cœur palpitant entre ses mains, et lui
reproche son manque de sentiments.
Cette revisitation du mythe au XXIe siècle - la pièce est de 2008 - ne prend en
compte que les rapports humains, ou les déséquilibres psychiques. Il n'est
aucunement question de politique, par exemple, ni de social. Electra despierta
est une descente au cœur des désirs et aspirations de l'adolescence. Et ce
n'est pas rien.
ELECTRE SE REVEILLE-pad par NTH8
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Dossier sur les pièces grecques de Ximena Escalante sur La Clé des Langues