Une nounou frapadingue
poignarde les deux enfants qu’on lui a confiés. Voilà le pitch de Chanson douce, un roman qui lorgne vers La Main sur le berceau sans arriver à la
nacelle dudit berceau, comme on dirait qu’il n’arrive pas à la cheville d’un
scénario hollywoodien calibré. Un pitch dont on devine ce qu’en aurait fait
Stephen King – mais le King n’en est plus là, la nounou poignardeuse, quand on
a traité de main de maître le motif autrement angoissant et saisissant du clown
assassin, ça fait un peu cheap.
Chanson douce apparaît
sur la liste du Goncourt et sur celle du Renaudot. La lectrice s’interroge. Car
enfin, ce roman n’est pas écrit, même s’il tente de raconter quelque chose. Il n’est pas
écrit dans le sens où la narration, au présent ou au passé composé, n’offre
aucune prise à la métaphore, à l’interprétation décalée, à l’empathie ou à la
détestation. La trame n’est même pas une mécanique huilée. Ce que raconte le
roman, finalement, s’appuie sur une psychologie détournée, et salement
détournée. La nounou est frapadingue, quelques pauvres indices sont semés ici
ou là – obsession du ménage, col Claudine considéré comme le summum de la tenue
chic, éducation ratée de sa propre progéniture, etc., clichés clichés clichés.
La nounou, donc, est folle. OK. Mais l’histoire se tord méchamment avec la
figure de la mère de famille, celle qui confie ses enfants à cette folle
furieuse. La mère a décidé de saisir l’occasion aux cheveux, elle qui avait
fait des études de droit pour tout abandonner et élever ses enfants. La voilà
embauchée dans un cabinet d’avocats. Et bien contente d’avoir déniché cette
perle de nounou. Qui va tuer ses enfants.
Ce roman, que veut-il
dire ? Qu’il faut rester au foyer et élever soi-même ses enfants ? Qu’il
faut assumer sa vie de femme active et renoncer à procréer, parce qu’on ne sait
jamais à qui l’on va confier la chair de sa chair ? Qu’un intérieur
nickel, même briqué par une psychopathe en puissance, est le gage d’un foyer
préservé et serein ? On peine à comprendre. Sans compter que le rôle du
père est escamoté, petit fantoche, singulièrement épargné par le texte.
Chanson douce ressemble à
une offensive marketing sous couvert de rentrée littéraire. A qui s’adresse ce
roman ? Sans doute aux lectrices CSP+, femmes actives et mères débordées,
qui rêvent de la nounou idéale, et à qui l’on promet ici un châtiment terrible. La
rentrée littéraire 2016 de Gallimard est somptueuse : pour ne citer que trois
titres : L’Insouciance de Karine
Tuil, Crue de Philippe Forest, Livre pour adultes de Benoît Duteurtre. Chanson douce, jouant maladroitement
avec les codes attendus de l’horreur et de la psychologie de comptoir, apparaît
comme un roman évitable.