mercredi 17 octobre 2018

Birthday Girl de Haruki Murakami


Haruki Murakami, Birthday Girl (Bãsudei-gãru), traduit du japonais par Hélène Morita, illustrations de Kat Menschik, éd. Belfond, 2017 et éd. 10/18, octobre 2018.

La serveuse, le directeur, le propriétaire : les personnages de ce conte délicieux et énigmatique ne sont désignés que par leurs fonctions. Un « je » se mêle au récit, permettant de ramener la narration dix ans en arrière. Elle est serveuse, donc. C’est un petit boulot, elle rêve sans doute d’autre chose. Elle a tout juste vingt ans, c’est d’ailleurs son anniversaire. Le directeur, pris d’un mal de ventre soudain, lui confie la tâche de monter son dîner au propriétaire. C’est une tâche, et une mission de confiance. Car le propriétaire est invisible, n’ouvre sa porte qu’à celui – ou celle, en l’occurrence, ce jour-là – qui lui apporte le soir du poulet, des légumes, une demi-bouteille de vin et un pot de café.

La serveuse prend le nom de « fée » lorsque le propriétaire lui ouvre sa porte. Et le propriétaire, tout élégant, tout ridé, tout prévenant, offre à la serveuse-fée, en ce jour particulier, d’exaucer un de ses vœux. Un seul. Bien évidemment – nous sommes dans un texte de Murakami ! – on ne saura rien de ce vœu, même dix ans après. En revanche, on sait ce qu’il est advenu de la serveuse : elle vit la vie banale d’une petite-bourgeoise, avec enfants bien élevés, époux bien comme il faut, parties de tennis deux fois par semaine. Que fait-elle donc, cette serveuse, dix ans après avoir prononcé son vœu inexprimable, à raconter à ce « je » non identifié la journée de ses vingt ans ? Dans un glissement narratif impeccable, on passe de la journée d’anniversaire à une conversation étrange, tout en sous-entendus, dix ans plus tard.

L’étrangeté du dîner du propriétaire est au moins égale à l’étrangeté de la conversation finale. Cette mise en place de la diégèse – flash-back et présent – fait écho à la « morale » de l’histoire :
« Ce que je voulais te dire, reprit-elle doucement en grattant le lobe de son oreille – un lobe à la très jolie forme –, c’est que, quoi qu’on puisse souhaiter, aussi loin qu’on puisse aller, on reste ce que l’on est, voilà tout. »
Voilà un texte court, très court, qui ouvre des abimes et des abysses d’interprétations. Les personnages sont très précisément dessinés, malgré leur anonymat, dans un équilibre parfait. Ils existent. Même ce « je » narrateur, bien plus énigmatique que tous les autres personnages. Quel était donc le souhait de la serveuse le jour de ses vingt ans ? J’ai au moins deux hypothèses, que je ne livrerai pas ici, bien entendu, car le but de ce texte est, entre autres, que le lecteur garde secrètes ses hypothèses, comme la serveuse garde secret son vœu.

Le texte est ponctué par les illustrations admirables de Kat Menschik, tout en blanc, orange, rouge et rose, qui scandent la lecture et concourent à transformer un certain réalisme magique en magie de conte.

Bref, ce petit livre sur beau papier glacé est une grande merveille.