Didier Blonde, L’Inconnue
de la Seine, roman,
Gallimard, mai 2012, (première publication sous le titre Le Nom de l’inconnue, éditions Régine Deforges, 1988), 128 p.
Elle est morte noyée, en 1901, sur les
bords de l’Ourcq. Le moulage de son visage va hanter des générations
d’écrivains et d’étudiants aux Beaux-Arts. Elle est morte, et elle sourit. On
ne sait rien d’elle. C’est la Joconde
de la Seine. Une énigme. Ce moulage, on l’a tous aperçu, au moins une fois, ne
serait-ce que furtivement, dans une scène de La Mariée était en noir, de François Truffaut – c’est l’inconnue de
la scène. Ce moulage, on l’a lu, sous la plume d’Aragon, dans Aurélien – Bérénice offrira, comme en
pied-de-nez, un moulage de son propre visage –, et sous celle de Jules
Supervielle – qui lui offrira un voyage
de rédemption jusqu’à l’océan. Ce moulage, il fait partie de notre inconscient
collectif. De l’histoire de la vraie jeune fille qui est vraiment morte noyée,
on ne sait rien. Simon, le narrateur du roman de Didier Blonde, achète un
moulage de l’Inconnue, et décide de résoudre l’énigme. Qui est-elle ?
Pourquoi s’est-elle noyée ?
Simon est libraire. Libraire d’ancien.
Il fréquente les salles des ventes, et déambule dans Paris lorsqu’il n’est pas
dans sa boutique. Il connaît la ville sur le bout de ses semelles (1). La
ville, Simon l’arpente (2) pour partir en quête de la résolution d’une énigme
vieille de plus d’un siècle. C’est qu’il a de bonnes raisons de chercher à
percer le mystère. Lui, il est hanté, hanté par la disparition de sa compagne
Marie, dont on devine la mort voulue, et provoquée, par la fin d’une histoire
d’amour.
De Marie, Simon n’a aucun portrait,
aucune image. Les seules photographies de l’époque où il vivait avec elle le
représentent, lui. C’était elle qui prenait les clichés. Et Simon regrette de
ne pas déceler sur sa propre expression figée la présence de Marie. Ou de ne
pouvoir déceler, ne serait-ce que dans les verres de ses propres lunettes, le
reflet de la jeune femme derrière l’appareil photographique. L’Inconnue de la
Seine a un visage à jamais figé, à jamais figé dans le sourire de la mort, et
c’est comme une énigme qui vient se superposer à l’énigme de la disparition de
Marie. De Marie vivante, il n’a aucune image. De l’Inconnue de la Seine, il n’a
qu’une image, celle de la mort(e) : « La véritable existence est
posthume. C’est une thanatographie qu’il faut reconstruire ».
L’enquête
de Simon est méthodique, des archives photographiques Roger-Viollet aux
bâtiments de l’institut médico-légal, des bords de l’Ourcq à la Bibliothèque
Richelieu. Ce parcours bien réel, selon un plan citadin, se double d’un – se
dédouble en un – parcours littéraire, qui converge vers l’imaginaire allemand
(Rilke, Brecht, Horváth…) Cette inconnue de la Seine prend des allures de
Loreleï. Prend des allures aussi de Béatrice – un des habitués de la librairie
de Simon se nomme Dante. Au
climax de sa quête, le narrateur bute sur une universitaire mettant la dernière
main à sa thèse dont le sujet est, précisément, l’histoire de l’Inconnue. Si la
renaissance sexuelle de Simon est au rendez-vous, la désillusion va de pair
avec le réveil des sens. L’Université, en tâchant d’éclairer et de démonter,
fait table rase de l’imaginaire.
Ce
court texte est une petite merveille. Une manière de miniature littérairement
allusive d’une construction magistrale. Quant au style, qu’on en juge sur
pièce : « Il est près de deux heures du matin. Il faut que je sorte.
Je m’habille. Dehors, je retrouve mon calme. Il a plu, l’air est chargé
d’humidité. Je remonte mon col. Sous la lumière des réverbères, les trottoirs
luisent comme un ongle de femme. La nuit a libéré la ville. Seuls quelques
clochards tassés contre les grilles du métro parlent en dormant. La rue
Notre-Dame-de-Lorette s’ouvre comme une conscience ».
*
Notes
1 – « Je me suis remis à mon “Répertoire des domiciles parisiens des héros de
romans, d’Albertine (Simonet) à Zazie (en visite)” » (p.17). Signalons que Didier Blonde a
publié aux éditions La Pionnière Répertoire
des domiciles parisiens de quelques personnages fictifs de la littérature. Signalons
également, sans verser dans le dévoilement autobiographique, que Didier Blonde
a également publié un essai intitulé Les
Voleurs de visages, sur quelques cas troublants de changements
d’identité : Rocambole, Arsène Lupin, Fantômas et Cie,
auquel il est fait allusion dans L’Inconnue
de la Seine : « Même si de temps en temps je me dis que c’est un
peu triste, à trente ans, d’avoir pour seuls amis Arsène Lupin, Nadja, Adèle
Blanc-Sec, la Sibylle ou Mirabelle » (p.18)
2 – La librairie de Simon a pour enseigne « Le
Piéton de Paris ».