Georges-Olivier Châteaureynaud, C’était écrit, éd. Rhubarbe (4ème volet des
publications célébrant les 10 ans de la maison d’édition), avril 2014, 52
pages.
Cet Ulysse-là ne s’en
revient pas de la guerre. Il s’appelle Léo, est employé de librairie, et son
seul souci après sa journée de travail est de rentrer rapidement chez lui pour
retrouver son épouse. Il choisit donc de monter dans le train semi-direct de 18h08
plutôt que de prendre l’omnibus de 18h15. Et l’aventure commence, qui durera
dix ans. Les péripéties s’enchaînent, sans que Léo, ni le lecteur, puisse dire
si elles sont heureuses ou malheureuses, bénéfiques ou désastreuses. Dans le
train de 18h08, Léo est séduit par une jeune femme, puis pris en otage lors
d’un braquage dans une bijouterie, puis…, puis encore… Il s’en sort toujours,
Léo. Balloté par les flots d’un périple qui le conduit de plus en plus loin de
sa banlieue et de son quotidien, il est invariablement le bienvenu où qu’il
tombe, dans une île perdue ou une villégiature paradisiaque. De l’Italie à
l’Espagne, en passant par Malte, les côtes turques, puis l’Amérique du nord et
du sud, l’Asie, il parcourt le monde passivement, se laissant porter par une
bonne fortune incompréhensible.
On retrouve dans C’était écrit les motifs chers à
Georges-Olivier Châteaureynaud, mais ici comme amplifiés : le peu de prise
que nous avons sur le cours de nos vies, nos existences inexplicables sous le
regard d’aucun dieu. Nous sommes, comme le suggérait le titre du livre que
l’écrivain Mathieu Chain [1] ne se souvenait pas d’avoir écrit, des
« voyageurs sans repos ». Léo ne calque pas exactement ses pas sur
ceux d’Ulysse : il fait naufrage, croise des sirènes – au bord dune
piscine –, séjourne chez des lotophages contemporains, et raconte son histoire
à un Samir qui a tout d’un Alkinoos, mais cette trame antique, avérée et
revendiquée, n’est qu’une trame. Sur ce canevas se dessinent des motifs
fantastiques et ironiquement autobiographiques. Si la chute de la nouvelle est
une mise en abyme qui évoque la Continuidad
de los parques de Cortázar, les personnages de Léo et de son épouse Tarpéia
semblent ne faire qu’un : tandis que le voyageur-rêveur se laisse emporter
par son destin, l’épouse-écrivain est à sa table : « elle inventait
sans cesse des histoires à dormir debout, qu’elle écrivait et publiait ».
Mise en abyme dans l’abyme : le dernier livre de Tarpéia paraît aux
Éditions Rhubarbe. Léo dépêche un détective pour retrouver son épouse, mais
c’est lui-même qu’il trouve. Il en est terrassé, effrayé.
En cinquante pages,
Châteaureynaud crée un monde fictionnel vertigineux. Le bracelet que Léo
comptait offrir à Tarpéia, et qu’il n’a jamais perdu au cours de son voyage –
le papier cadeau et le bolduc argenté sont, à l’arrivée, presque intacts –, est
le symbole, aussi, d’un texte parfaitement bouclé. Qui se clôt sur une fenêtre
éclairée, à peu près inaccessible, mais vers laquelle on court. Le voyageur
reste sans repos.
*
[1] Cf. Georges-Olivier
Châteaureynaud, Mathieu Chain, éd.
Grasset (1978) et éd. Motifs (2009).