François Saintonge, Dolfi et Marilyn,
Grasset (janvier 2013) et Pocket 3 avril 2014.
Le roman Dolfi et
Marilyn se déroule en 2060. Les clones vivent parmi les humains, ils
servent plus ou moins de domestiques. Le narrateur, Tycho Mercier, professeur
d’Histoire du XXe siècle à la Sorbonne, rentre chez lui un soir, et trouve,
assis dans son fauteuil préféré, le clone d’Adolphe Hitler. Stupeur. Colère
contre son ex-femme qui a gagné, et accepté, ce lot étrange dans un concours de
supermarché. Curiosité. Le clone échoué dans ce salon de banlieue parisienne
est à l’image de l’Hitler de 1923, un jeune type à mèche (mais inexplicablement
sans moustache), « tête nue, chaussé de lourds brodequins de montagne sur
des chaussettes de laine montantes à grosses côtes, vêtu d’un Lederhose,
culotte de cuir tyrolienne à pont et à bretelles ornée d’edelweiss et de
feuilles de chêne, et d’un épais pull-over, sans aucun brassard ni
insigne ». Dolfi, ou comment s’en débarrasser… Tycho Mercier ne peut pas
garder chez lui son A.H.6 : les clones d’Hitler ont été interdits.
Ce roman, surgi dans la
rentrée littéraire de janvier 2013, signé par un mystérieux François Saintonge
dont on ne sait rien d’autre que son désir de rester caché sous un pseudonyme
et éloigné de la scène littéraire, est une réussite totale. Un récit mené
tambour battant, de rebondissements en surprises, sous-tendu par une documentation
sans faille sur la deuxième guerre mondiale, porté par un humour tendre et
féroce à la fois.
Tycho Mercier, malheureux
propriétaire malgré lui d’A.H.6., le dernier clone d’Hitler en circulation,
voit également débouler dans sa vie « la Marilyn de Bassompierre ».
Cette Marilyn-là, en tous points conforme au modèle hollywoodien, vêtue comme
dans les Misfits – jean serré et
petit foulard autour du cou – pour faire le ménage, s’installe à son tour chez
Mercier, après la mort du voisin, le notaire Bassompierre. La vie dans le
pavillon devient singulière : Bruno – le jeune fils de Tycho, incollable
lui aussi sur le deuxième conflit mondial – dispute d’âpres combats de jeux
vidéo avec Hitler tandis que son père, dans le salon, croque des esquimaux avec
Marilyn en regardant Certains l’aiment chaud.
Dolfi et Marilyn pose moins la question éthique du clonage que
celle de la simple humanité. Le dilemme auquel est confronté Tycho Mercier –
livrer le clone aux autorités, ou le cacher et le sauver en enfreignant la loi
– entraîne le roman sur une pente vertigineuse. Les faits s’enchaînent
inexorablement, entre scènes désopilantes et épisodes dramatiques, pour aboutir
dans un monde de cauchemar où le nazisme est encore vif, revendiqué et assumé.
Pourtant spécialiste de la question par sa formation et son métier
d’enseignant, Tycho Mercier endosse parfois le costume du
« candide », éberlué, hésitant, dépassé. Il devient le témoin
privilégié d’un retour infernal de l’Histoire. Soudain, il est question du « sang »,
de la « race », du « sol ».
On n’oubliera pas de sitôt
l’image de cet Hitler taillant les haies, dormant dans la remise, et se
délectant d’un verre d’eau gazeuse ou d’une tasse de chocolat chaud. De même
que nous resteront les scènes délicieuses dans lesquelles une Marilyn court
ouvrir le portail en minaudant, ou brode sous la lampe. Ce couple improbable
Hitler/Monroe, ce couple impossible hors de l’espace fictionnel, va vivre des
heures sordides lorsqu’il est contraint de fuir. La dernière partie du roman,
véritable tour de force romanesque et historique, explosion d’imagination et de
logique inéluctable, nous laisse pantelants, ravis, bouche bée.
Dolfi et Marilyn, de François Saintonge, est une histoire dans
l’Histoire, passée et à venir. Une fiction parfaite, qui oscille entre science,
sciences humaines et science-fiction. Une fiction parfaitement littéraire,
servie par une belle langue, précise, enlevée. Nous savons bien qu’il est
encore fécond, le foutu ventre de l’immonde bête. Ce roman-là prend la citation
de Brecht presque au pied de la lettre.
Lire l’entretien du mystérieux François Saintonge avec Jérôme Béglé (lepoint.fr, 7 février 2013)