François Blistène, Le Passé imposé,
éditions du Sonneur, mars 2014, 260 pages.
Philippe Pontagnier, orphelin
de parents aisés et bons vivants, choisit la retraite, l’ascèse et la tyrannie.
Il prend femme, qu’il enferme avec lui dans sa maison-forteresse. Trois enfants
naissent : Marguerite, Vincent et Laure. Ils sont séquestrés par leur père,
ne savent rien du monde extérieur, de la vie moderne. Des années plus tard, un
vieux précepteur étrange et bienveillant est embauché, reclus volontaire. Les
enfants grandissent, instruits mais ignorants, solidaires dans leur solitude.
Naïfs et candides.
François Blistène nous
offre un conte de fées en trois actes. La première partie du roman est à la
fois suffocante et légère : tandis que le lecteur est pris dans l’enfermement,
les enfants s’accommodent d’une situation qui ne peut leur paraître étrange
puisqu’ils n’en connaissent pas d’autres. C’est le règne de l’ogre. Puis les
enfants s’échappent de la forteresse, à la post-adolescence, et découvrent
Paris, éblouis. Fuite merveilleuse, sans problème d’argent, sans méchante
rencontre. Ils sont débrouillards et autonomes, ils ont tout appris dans les
livres. La bonne fée apparaît alors, sous les traits d’un illusionniste
attachant qui leur enseigne les ficelles de son art. Passent les années,
heureuses, différenciées pour les uns et les autres : Marguerite et
Vincent d’un côté, la benjamine Laure prenant son indépendance de femme libre.
Au troisième acte, l’ogre
retrouve ses enfants…
Le Passé imposé est un
roman étrange et prenant. Il évite tous les pièges du désastre psychologique
annoncé, du récit délétère de l’enfance martyre. François Blistène suggère le
merveilleux, donne vie et pensée aux choses et aux lieux. La maison-forteresse,
par exemple, est douée d’une vie propre, vibrant au rythme de la folie de son
propriétaire ou des événements inattendus : « La maison, qui
souffrait de solitude, fit un excellent accueil aux deux arrivants, réjouie du
mouvement qui allait réveiller ses articulations engourdies – serrures
rouillées, volets tremblants, tuiles dégarnies, murs hydropiques, parc à la
végétation emmêlée ». L’illusionniste, nommé Mystère, est une figure
protectrice dans un Paris sans danger, bénéfique et magique. C’est Gustave
Moreau – la petite Laure passe des
heures dans le musée consacré au peintre symboliste – qui peint la toile de
fond de ce conte étonnant et réussi.