Georges Méliès, La
Vie et l’œuvre d’un pionnier du cinéma, édition établie et présentée par Jean-Pierre Sirois-Trahan, éditions
du Sonneur, novembre 2012, 112 p.
« Malheureusement,
Georges Méliès vint au cinéma trop tôt ; que n’aurait-il pas produit avec
les ressources dont disposent les cinéastes d’aujourd’hui, dont aucune
n’existait de son temps, ni pour les appareils, ni pour les éclairages ? »
C’est bien Méliès qui s’exprime ainsi, dans ses mémoires, qu’il écrit à la
troisième personne. C’est bien Méliès qui dans un extraordinaire raccourci,
mêle le cinéma et la vie : venir au monde trop tôt, venir au cinéma trop
tôt. Cette homme-là est un enchanteur, y compris dans la manière de raconter sa
vie, de l’écrire, car dans La Vie et l’œuvre d’un pionnier du
cinéma, livre publié aux éditions du Sonneur, c’est bien la voix d’un
écrivain que l’on entend, en tout cas celle d’un artiste pétri de culture
littéraire.
Pour tout un chacun, le
nom de Georges Méliès évoque immanquablement une fusée qui se plante dans l’œil
de la lune. Féérie, poésie, comique. Tout cela à la fois. De la magie.
D’ailleurs, Méliès avait repris en 1888 le théâtre Robert-Houdin, dont il
conserva la direction pendant trente-six ans. La « magie » est le mot
du spectateur. Pour le magicien, il s’agit d’« illusion ». Les
trucages, les effets spéciaux, voilà ce qui remplit la vie de Georges Méliès,
voilà où passent son argent, son énergie, son espérance. Il est homme de
spectacle, fait jouer devant la caméra ses enfants, des figurants qu’il
remplace par des danseuses parce qu’elles savent mieux « bouger »,
des comédiens qui deviennent acteurs de cinéma. Méliès raconte de façon
savoureuse : « Les acteurs de la Comédie-Française même finirent par
venir aussi au cinéma, mais, à l’étonnement général, malgré leur grand talent
de comédiens, ils furent, au temps du muet, souvent très inférieurs, comme
mimes, à des artistes de second plan ». Le cinéma change la donne, et
Méliès s’en rend compte très vite, il ne s’agit pas de filmer du théâtre, mais
du spectacle. Au temps du muet, le corps est primordial.
Méliès évoque le poids
terrible de sa caméra, la façon dont il allait filmer les tempêtes au bord de
la mer, et l’émerveillement des spectateurs devant le « vrai ». Le
magicien se fait aussi documentariste, ou historien – il a filmé une
« Affaire Dreyfus », par exemple.
Tout dans ce petit livre
est passionnant : les transactions avec les fabricants de pellicule, la
mise en place des circuits de distribution, les indications techniques – filmer
en lumière naturelle ou artificielle. On partait de rien… Les pionniers – et
Méliès, le plus grand d’entre eux – devaient tout inventer.
On connaît les déboires de
Méliès, son purgatoire, la boutique de la gare Montparnasse – on connaît cet
épisode si l’on a lu ou vu Hugo Cabret, entre autres. Le cinéaste y
fait allusion et le lecteur en a le cœur serré : « Méliès put, grâce
à quelques protections, obtenir un petit magasin de vente d’articles pour
voyageurs à la gare Montparnasse, et tint ce commerce jusqu’en 1932. Ce fut
peut-être la partie la plus pénible de son existence… »
On passe un vrai beau
moment de lecture avec La Vie et l’œuvre d’un pionnier du cinéma.
On y découvre l’aventure formidable d’un génie, d’un entrepreneur, d’un
artiste. On y décèle aussi toute la tendresse d’un homme, d’un père.
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Compléments :
Les films de Méliès
sont visibles sur le net. Petite sélection :