jeudi 9 novembre 2017

Amanscale de Maryline Desbiolles

Maryline Desbiolles, Amanscale, éd. du Seuil 2002 et éd. Points 2003.

Linda Groote peine à se réveiller. Elle paresse dans son lit, revient dans un demi-sommeil sur son dernier amour :

« Ils marchent vite ensemble, elle voit qu’il est très brun, une moustache et une barbe rase, de beaux cheveux qui ondulent, noirs, noirs, noirs, une obscurité et les yeux qui étincellent comme les dents sous les lèvres mauves, les jolies dents, et les épaules grandes que soulignent peut-être un peu le manteau qui lui donne cette allure d’homme farouche, d’homme du désert. »

Linda Groote vit dans un grand appartement d’un immeuble cossu d’Amanscale, immeuble à peu près vide qui autrefois fut un hôtel prestigieux. De ses fenêtres, elle voit la ville, les bulbes d’une église russe, et la mer. Une première secousse, puis une seconde. Sur son balcon, une mouette morte vient s’échouer. Le volcan s’est réveillé. Alors que tous fuient vers la mer, Linda décide de partir vers le nord de la ville, et de rejoindre le volcan.

Ce court roman est écrit comme un poème haletant qui court sur une seule journée, nuit comprise. Le cataclysme géologique est une urgence qui bat en parallèle de la fuite de Linda, et à rebours de son apathie première. Il fallait qu’elle se secoue quand la terre, soudain, se soulève. Durant sa fuite, Linda remonte aussi dans son passé, revient sur l’installation à Amanscale de son grand-père hollandais, sur sa propre jeunesse désœuvrée dans l’arrière-pays et la joie qu’elle avait à descendre en ville.

« Elle descend vers Amanscale, elle ne résiste pas à sa lumière unique, ce qui ne s’incline pas devant cette lumière, ce qui ne lui prête pas allégeance pèche contre Amanscale. Elle a eu si souvent ce mouvement de descendre vers la ville, de consentir peu à peu, au fur et à mesure de la descente, à sa lumière, jusqu’à en être noyée, qu’elle en a gardé ce pli, de lui prêter allégeance. Bien qu’elle soit plus ironique que son grand-père, pour elle aussi, au bout du compte, Amanscale est une féérie. »
  
Revient aussi sur les débuts difficiles de la famille hollandaise à Amanscale : « Sur le garage des Groote on avait dessiné des petits balais et écrit “du balai les étrangers” ».

Amanscale, c’est à l’évidence la ville de Nice. L’endroit où vit Linda Groote est l’hôtel Regina, transformé en appartements luxueux. Les quartiers est, eux, sont nommés selon la vraie toponymie niçoise : le quartier de l’Ariane, ensemble de HLM déjetées, laissées à l’abandon. C’est vers ce quartier que Linda court, à contre-courant. Amanscale est, pour reprendre un titre gracquien, le roman de la forme d’une ville. La baie y est métaphorisée en aisselle de nageuse, les anges ne sont pas mentionnés. Dans Amanscale, c’est un monde grec qui est décrit, même s’il n’est fait référence à aucune victoire, à qui la ville de Nice – Nikè –, pourtant, doit son nom. Le quartier de l’Ariane devient labyrinthe, bien sûr, et des minotaures sans passé et sans avenir attendent leur tribut de jeunes femmes. Desbiolles les nomme les « hommes liges ». Linda y rencontre Aziz, fauconnier d’un faubourg crade, qui la protège des prédateurs.

Le volcan, après avoir éructé, lâche sa bile : la lave, lente, si lente, descend vers la mer. Epargne l’hôtel majestueux transformé en appartements où vit Linda, mais emporte une part gigantesque de la ville. Voilà Linda revenue chez elle,  à son point de départ, mais comme réveillée, et à jamais secouée.

La ville de Nice vit sous la menace géologique du tremblement de terre. Desbiolles exploite, elle, le motif du volcan, menace improbable, impensable. Mais l’éruption résonne aujourd’hui comme un cœur-volcan, comme une catastrophe anticipée. Même si, évidemment, là n’était pas son propos premier à l’époque. Au contraire.