Lorenza Foschini, Le
Manteau de Proust, histoire d’une obsession littéraire, (Il cappotto
di Proust, Storia di un'ossessione letteraria, 2010), traduit de
l’italien par Danièle Valin, éd. Quai Voltaire/La Table ronde, 2012 et coll. La
petite vermillon, 22 septembre 2106, 144 pages.
Ah mais que voilà un livre
délicieux ! C’est l’histoire d’une enquête, et d’une obsession, comme le
souligne le sous-titre. L’enquête est celle de Lorenza Foschini, et elle débute par
hasard : la journaliste rencontre le costumier de Visconti, et en fin
d’entretien elle évoque Proust, car Visconti avait dans l’idée d’adapter La Recherche. Le costumier, Piero Tosi,
avait été chargé des repérages à Paris. Et durant cette fin de conversation,
Tosi parle du manteau de Proust, qui est conservé au musée Carnavalet. Le
premier chapitre de ce petit livre époustouflant est consacré à l’exhumation du
manteau par les employés de Carnavalet devant les yeux émerveillés de Lorenza
Foschini :
« Ils sortent la boîte en carton. La descendent avec précaution, mais avec un certain détachement, comme si ce n’était pas à eux d’exhumer un si modeste objet. Moi, je suis là, debout, dans la salle éclairée au néon. Un parent appelé à reconnaître le corps d’un proche ».
Le manteau est en fait une
pelisse, doublée de loutre. Il est en assez mauvais état, les mites ont fait
leur œuvre, et les boutons ont été déplacés, comme pour un corps plus mince que
celui de Marcel Proust. Et l’enquête commence. Comment ce manteau a-t-il
atterri là ? Ce manteau, c’est presque Proust tout entier. Sur quantité de
photographies il le porte comme un rempart, il y apparaît à l’abri ; on
sait qu’il le tendait sur son lit, en guise de couverture, lorsqu’il
rédigeait ; Cocteau dessinera en 1913 son ami Marcel engoncé dans ce
manteau, les yeux cernés, une bouteille d’Evian dépassant de la poche. Ce
manteau, c’est le corps de Proust.
L’obsession
est celle de Jacques Guérin. C’est lui qui a fait don de la relique au musée
Carnavalet. On ne rendra jamais assez justice aux brocanteurs. C’est par leurs
mains que passent les trésors. Encore faut-il les rencontrer au bon moment… En
1935 meurt Robert Proust, le frère de Marcel. Sa veuve, Marthe, se débarrasse
avec empressement, dans une joie maligne, de tout ce qui rappelle son
beau-frère. Guérin, par l’intermédiaire d’un brocanteur, rachète tout ce qui
est à vendre, papiers et meubles. Ce qui l’intéresse, bien entendu, ce sont les
manuscrits de La Recherche.
« Ah monsieur ! Si j’avais pu imaginer que tout cela vous intéresse ! Si nous nous étions rencontrés il y a huit jours seulement, vous en auriez vu, des choses ! Mais depuis trois jours nous déménageons et, avec Mme Proust, nous brûlons toutes ces paperassouilles dans la cour. »
Et le
manteau ? Qu’est-il devenu ? On n’en dira rien ici : le livre de
Lorenza Foschini se lit comme un roman policier, et la découverte du manteau est
une des plus belles péripéties de ce récit. On y apprendra, entre autres,
pourquoi les boutons ont été déplacés.
Au-delà de
la personne de Marcel Proust, et de la personnalité remarquable de Jacques
Guérin, Le Manteau de Proust
interroge la figure de l’écrivain – et Proust est l’écrivain par antonomase. Qu’est-ce
qui importe ? Le texte ? Le manuscrit ? La plume ou le stylo qui
a servi à rédiger le roman ? La table où le romancier s’asseyait ? Le
lit où il rédigeait ? Le tissu qui le protégeait du froid ? Sans la
pelisse, La Recherche aurait-elle été
différente ? Ecrite sous d’autres frissons ? Peu à peu, on passe du texte
au corps. De l’œuvre à l’homme.
En
quelques pages, et avec une ferveur qui égale celle du collectionneur dont elle
nous brosse le portrait, Lorenza Foschini interroge notre propre rapport aux
écrivains. Le manteau de Proust n’est qu’une pelisse mitée, certes. Mais, loin
du fétichisme et du culte ridicule, cette pelisse nous remplit d’émotion. Elle
a abrité un corps souffreteux, un esprit impatient de finir son œuvre avant de
mourir. Elle n’est pas un artefact, elle est un personnage. Non de La Recherche, mais de la vie de l’homme
qui a écrit La Recherche.
*
La Table
ronde, dans la collection La petite vermillon, publie également ces jours-ci,
sous les très belles couvertures d’Anne-Margot Ramstein, Bottins proustiens de Michel Erman et Le Prince des cravates de Lucien Daudet, le tout constituant, avec
le livre de Lorenza Foschini, un triptyque proustien délectable.