Robert Galbraith, La Carrière du mal (Career of evil, 2015), traduit de
l’anglais par Florianne Vidal, Grasset, 20 mars 2016, 608 pages.
Après L’Appel du coucou et Le Ver à soie, voici la troisième aventure de Cormoran Strike, le détective inventé
par J.K. Rowling et publié sous le pseudonyme de Robert Galbraith. Un détective
n’est rien, ou si peu, sans son assistante. La belle et empathique Robin est à
nouveau de la partie. C’est elle qui reçoit l’étrange colis qui déclenche cette
nouvelle enquête. Un livreur lui remet un carton long et étroit qui contient…
une jambe humaine. Une jambe de fille, sectionnée net, laissant apparaître
d’anciennes cicatrices près du mollet.
Cormoran Strike est
unijambiste. Ce colis peut donc être rattaché à son infirmité. L’étiquette au
nom de Robin ne recouvre-t-elle pas, d’ailleurs, une autre étiquette à son nom,
comme si l’expéditeur s’était ravisé et avait changé, au dernier moment, le
destinataire ? Quoi qu’il en soit, voilà un colis personnifié, signifiant.
D’après Strike, seuls trois hommes peuvent avoir eu cette idée macabre. Trois
hommes qu’il a croisés, trois individus maléfiques, parmi lesquels le dernier
amant de sa mère.
L’infirmité de Strike, et
sa notoriété depuis la résolution des deux affaires précédentes, lui valent un
courrier abondant. Parmi les lettres reçues, des lignes déjantées que Robin
entasse dans un tiroir réservé. Déjantées ? Ce roman nous apprend – ou, du
moins, m’a appris – que certaines personnes souffrent de ce que l’on nomme
« apotemnophilie », c’est-à-dire qu’elles désirent être amputées d’un
membre. On est au-delà de l’automutilation. Ce trouble neurologique est un des
ressorts de La Carrière du mal, sans
doute le plus impressionnant. La jambe reçue par porteur serait-elle un hommage
rendu au détective ?
Les meurtres s’enchaînent
dans Londres, sur fond de mariage royal – celui du prince William et de Kate
Middleton. Des meurtres qui rappellent un peu ceux de Jack l’éventreur,
l’assassin découpant ses victimes. Robin et Strike suivent trois pistes à la
fois, celles des trois hommes plus que violents que le détective soupçonne.
Parallèlement à l’enquête sur l’éventreur, une autre intrigue doit être menée à
bien. Robin doit épouser Matthew, apparemment sans enthousiasme. Cormoran, lui,
poursuit sa liaison avec une femme superbe après de laquelle il s’ennuie. Entre
le patron et son assistante, les sentiments évoluent, presque à leur insu. Mais
les préparatifs du mariage de Robin se poursuivent… et Cormoran oublie de
rompre avec sa belle amie…
Ce nouvel épisode des
aventures de Strike et Robin remue le lecteur plus que les précédents. On
revient sur l’adolescence de Cormoran, sur la vie infernale que le dernier
compagnon de sa mère a fait mener a ce qui n’était pas vraiment une famille. On
revient également sur la jeunesse de Robin, sur le traumatisme qu’elle a subi à
l’université, et qui l’a empêché de poursuivre ses études. Le couple
d’évidence, ce sont bien Robin et Cormoran qui l’incarnent. Cabossés chacun à
sa manière, ils se comprennent, se brouillent, se complètent et s’éloignent.
Ces deux-là, ils se sont bien trouvés. J.K Rowling parvient à créer un suspens
autrement passionnant que la simple résolution de l’enquête. Et sait retourner
le motif, créer la surprise, évoquer un désir que les protagonistes eux-mêmes
ignorent.
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Ce roman se dévore, on l’aura
compris. Il est plus que bien construit, et bien mené. Un bémol, toutefois :
quelques passages donnent accès aux pensées de l’assassin. Dans l’économie
générale de l’intrigue, on comprend pourquoi : le lecteur doit trembler
pour la vie de Robin, qui est une cible. Cela dit, et c’est ce qui me gêne
toujours dans les polars noirs, avoir accès aux pensées délirantes d’assassins
d’enfants ou de femmes fait pencher la narration vers le bassement sordide. J.K.
Rowling a un véritable talent de conteuse, elle est extrêmement habile dans la
suggestion et l’évocation. Elle aurait pu faire l’impasse sur une facilité poisseuse.
La question reste entière.
Bien sûr, ici, l’assassin est arrêté. Mais que vont-ils devenir, Cormoran et
Robin ? L’épilogue est à la fois ouvert et fermé. On attend la suite…