dimanche 17 avril 2016

Germania de Harald Gilbers



Harald Gilbers, Germania, traduit de l’allemand par Joël Falcoz, éd. Kero, 2015 et éd. 10/18, mars 2016, 480 pages.

De début mai à fin juin 1944, des femmes sont tuées dans Berlin. Assassinées, mutilées, corps mis en scène près de monuments commémorant la guerre de 1914. Une croix gammée faite de quatre bras découpés sur des cadavres est déposée sur le parvis de la Chancellerie. Le tueur en série pourrait bien appartenir à l’élite nazie. Deux policiers mènent l’enquête.

L’intérêt du roman de Harald Gilbers est à dénicher ailleurs que dans sa maîtrise de l’intrigue policière. Intrigue bien menée, conventionnelle, avec rebondissements, faux indices et anticipations. Rien à redire de ce côté-là. Mais voilà, nous sommes à Berlin durant la guerre, les alliés ont débarqué en Normandie, la capitale allemande est bombardée. Le décor et l’arrière-plan historique donnent à ce polar une autre dimension, autrement intéressante.

L’enquêteur se nomme Richard Oppenheimer. Il était commissaire à la Kripo – Kriminalpolizei – mais il est interdit d’exercice, parce qu’il est juif. Le SS-Hauptsturmführer Vogler fait appel à lui pour mener l’enquête. Un SS et un ex-policier juif vont donc travailler ensemble. Le personnage d’Oppenheimer est une réussite absolue. Ses failles sont attachantes et son flair de flic indéniable. Mais la situation dans laquelle il se retrouve le met en position pour le moins instable et assurément inconfortable. Il travaille en secret avec les nazis alors qu’il est juif. Il rentre le soir dans sa « maison juive », retrouve son épouse goy qui revient de l’usine, fréquente ses voisins dont certains vont être déportés. Il est surveillé  par le SD (Service de Sécurité) parce que l’enquête policière qu’il mène est sensible, et se voit octroyer un bureau dans une « colonie » pimpante, sorte de lotissement grand standing pour les cadres du Parti. Comme tout limier sur la trace du tueur, Oppenheimer épingle sur le mur de son bureau les noms et photographies des suspects. Au centre de la mosaïque, il a laissé le portrait d’Hitler, accroché là à son arrivée. La situation d’Oppenheimer s’améliore matériellement, mais frôle l’intenable psychologiquement. Il roule en Daimler, il se passionne pour l’enquête et veut la résoudre, mais lorsqu’il l’aura résolue, qu’adviendra-t-il de lui ? Quel sort lui réservera-t-on ?
 
L’ex-commissaire de la Kripo est contraint de porter l’étoile jaune, comme tous ses coreligionnaires. Vogler lui demande de ne plus la porter, le temps de l’enquête. Oppenheimer doit recoudre l’étoile sur son manteau lorsque sa concierge, à qui l’on ne peut faire confiance, lui fait remarquer qu’il ne la porte plus. Puis, il doit à nouveau l’arracher pour aller sur une scène de crime. Juif vivant dans une maison juive, ex-commissaire non réintégré mais officiant tout de même… en sursis… Au chapitre 23 de Germania, en juin 1944, Oppenheimer se retrouve devant Goebbels :

«  - Alors comme ça, vous êtes juif, Oppenheimer ? 
- En effet.
- Ça peut arriver, commenta le ministre. »

Scène incroyable, d’une intensité dramatique très aboutie. Oppenheimer imagine qu’il pourrait, là, se ruer sur le ministre de la Propagande, et le tuer. Conclut que ça ne changerait pas grand-chose. Sa situation est réellement impensable. Goebbels fait remarquer qu’Oppenheimer, nonobstant son nom, pourrait parfaitement passer pour un aryen. Et d’ajouter : « Jusqu’à la fin de cette enquête, je vous relève de votre appartenance au peuple juif. »

Oppenheimer est totalement dérouté :

« Il ignorait que le ministre de la Propagande avait le pouvoir d’exclure quelqu’un de sa communauté religieuse. Qu’allait-il se passer à présent ? Son prépuce repousserait-il […] ? »

Oppenheimer a pour amie Hilde, un médecin faiseuse d’anges dont l’époux est un SS. C’est chez elle qu’il se réfugie lorsqu’il veut trouver un peu de calme, et écouter des disques de musique classique. Chez Hilde, c’est son havre. Où il ne peut se rendre qu’en déjouant la surveillance du SD. Germania est le premier volet d’une série mettant en scène Richard Oppenheimer. Dans le roman suivant, Les Fils D’Odin, qui paraît ce mois-ci chez Kero, Hilde est au centre de l’enquête, qui se déroule dans le Berlin du début 1945. Nul doute, là encore, que l’arrière-fond historique soit passionnant, et que la situation particulière d’Oppenheimer ne devienne encore plus angoissante.
  
Voilà un personnage d’enquêteur que l’on va suivre. On y est déjà attaché.