Harald Gilbers, Germania, traduit de l’allemand par Joël Falcoz, éd. Kero,
2015 et éd. 10/18, mars 2016, 480 pages.
De début mai à fin juin
1944, des femmes sont tuées dans Berlin. Assassinées, mutilées, corps mis en scène
près de monuments commémorant la guerre de 1914. Une croix gammée faite de
quatre bras découpés sur des cadavres est déposée sur le parvis de la
Chancellerie. Le tueur en série pourrait bien appartenir à l’élite nazie. Deux
policiers mènent l’enquête.
L’intérêt du roman de
Harald Gilbers est à dénicher ailleurs que dans sa maîtrise de l’intrigue
policière. Intrigue bien menée, conventionnelle, avec rebondissements, faux
indices et anticipations. Rien à redire de ce côté-là. Mais voilà, nous sommes
à Berlin durant la guerre, les alliés ont débarqué en Normandie, la capitale
allemande est bombardée. Le décor et l’arrière-plan historique donnent à ce
polar une autre dimension, autrement intéressante.
L’enquêteur se nomme
Richard Oppenheimer. Il était commissaire à la Kripo – Kriminalpolizei – mais
il est interdit d’exercice, parce qu’il est juif. Le SS-Hauptsturmführer Vogler
fait appel à lui pour mener l’enquête. Un SS et un ex-policier juif vont donc
travailler ensemble. Le personnage d’Oppenheimer est une réussite absolue. Ses
failles sont attachantes et son flair de flic indéniable. Mais la situation
dans laquelle il se retrouve le met en position pour le moins instable et
assurément inconfortable. Il travaille en secret avec les nazis alors qu’il est
juif. Il rentre le soir dans sa « maison juive », retrouve son épouse
goy qui revient de l’usine, fréquente ses voisins dont certains vont être
déportés. Il est surveillé par le SD
(Service de Sécurité) parce que l’enquête policière qu’il mène est sensible, et
se voit octroyer un bureau dans une « colonie » pimpante, sorte de
lotissement grand standing pour les cadres du Parti. Comme tout limier sur la
trace du tueur, Oppenheimer épingle sur le mur de son bureau les noms et
photographies des suspects. Au centre de la mosaïque, il a laissé le portrait
d’Hitler, accroché là à son arrivée. La situation d’Oppenheimer s’améliore
matériellement, mais frôle l’intenable psychologiquement. Il roule en Daimler,
il se passionne pour l’enquête et veut la résoudre, mais lorsqu’il l’aura
résolue, qu’adviendra-t-il de lui ? Quel sort lui réservera-t-on ?
L’ex-commissaire de la
Kripo est contraint de porter l’étoile jaune, comme tous ses coreligionnaires. Vogler
lui demande de ne plus la porter, le temps de l’enquête. Oppenheimer doit
recoudre l’étoile sur son manteau lorsque sa concierge, à qui l’on ne peut
faire confiance, lui fait remarquer qu’il ne la porte plus. Puis, il doit à
nouveau l’arracher pour aller sur une scène de crime. Juif vivant dans une
maison juive, ex-commissaire non réintégré mais officiant tout de même… en
sursis… Au chapitre 23 de Germania,
en juin 1944, Oppenheimer se retrouve devant Goebbels :
« - Alors comme ça, vous êtes juif, Oppenheimer ?
- En effet.
- Ça peut arriver, commenta le ministre. »
Scène incroyable, d’une
intensité dramatique très aboutie. Oppenheimer imagine qu’il pourrait, là, se
ruer sur le ministre de la Propagande, et le tuer. Conclut que ça ne changerait
pas grand-chose. Sa situation est réellement impensable. Goebbels fait
remarquer qu’Oppenheimer, nonobstant son nom, pourrait parfaitement passer pour
un aryen. Et d’ajouter : « Jusqu’à la fin de cette enquête, je vous
relève de votre appartenance au peuple juif. »
Oppenheimer est totalement
dérouté :
« Il ignorait que le ministre de la Propagande avait le pouvoir d’exclure quelqu’un de sa communauté religieuse. Qu’allait-il se passer à présent ? Son prépuce repousserait-il […] ? »
Oppenheimer a pour amie
Hilde, un médecin faiseuse d’anges dont l’époux est un SS. C’est chez elle
qu’il se réfugie lorsqu’il veut trouver un peu de calme, et écouter des disques
de musique classique. Chez Hilde, c’est son havre. Où il ne peut se rendre
qu’en déjouant la surveillance du SD. Germania
est le premier volet d’une série mettant en scène Richard Oppenheimer. Dans le
roman suivant, Les Fils D’Odin, qui
paraît ce mois-ci chez Kero, Hilde est au centre de l’enquête, qui se déroule
dans le Berlin du début 1945. Nul doute, là encore, que l’arrière-fond
historique soit passionnant, et que la situation particulière d’Oppenheimer ne
devienne encore plus angoissante.
Voilà un personnage d’enquêteur
que l’on va suivre. On y est déjà attaché.