mercredi 30 juillet 2014

La Journée d’un scrutateur d’Italo Calvino


Italo Calvino, La Journée d’un scrutateur (La giornata d’uno scrutatore), traduit de l’italien par Gérard Genot, révision de Mario Fusco, Folio, novembre 2013.

Le Cottolengo. C’est, à Turin, le grand hospice, dont le nom officiel est « La petite maison de la divine Providence ». Il abrite des vieillards et des malades déshérités, et des handicapés mentaux ou des infirmes. Plusieurs congrégations religieuses tiennent le lieu. Dans les années 50 (ou 60, mais cela revient au même) se déroulent en Italie des élections, et la Démocratie Chrétienne entend bien faire voter tous les citoyens, y compris ceux qui ne sont pas en mesure, physique ou mentale, de le faire. Amerigo, le héros d’Italo Calvino, est un des scrutateurs du bureau de vote installé dans le Cottolengo. La journée qu’il passe dans l’hospice, à accomplir son devoir de citoyen et de militant communiste, le conduit à côtoyer les petites sœurs et les curés, les estropiés et les mourants.
Sur quoi se fonde une démocratie ? Un homme, une voix. Mais cette voix a-t-elle de la valeur lorsque le citoyen n’est pas en pleine possession de ses moyens ? Amerigo, tout au long de cette journée étrange, va se poser la question. Il comprend bien les manœuvres de la Démocratie Chrétienne, et tout l’enjeu de ces élections. Lui, il oscille sans cesse entre l’admiration que lui inspirent les petites sœurs qui prennent en charge toute la misère du monde turinois, et l’avenir politique du pays. Les curés ne forcent-ils pas la main des malades ? La croix que l’on doit tracer sur le bulletin de vote, qui la trace réellement ? Le malade, ou celui qui l’aide à tenir le crayon ? Durant le temps du repas de midi, comme une parenthèse qu’il pensait enchantée, sa maîtresse lui laisse entendre qu’elle est enceinte. Donner la vie ? Il se pose aussi cette question. Mais peut-être ne se la serait-il pas posée s’il n’avait passé la matinée au Cottolengo, parmi les mourants et les handicapés. Lui, il est nourri de littérature classique et de marxisme, il s’en remet à Hegel pour envisager le cours de l’Histoire. Mais son quotidien, ce jour-là, est différent de la vraie vie et de son vraie cours. De la vie de tous les jours, dans la ville, dans le monde, hors de l’hospice.

La Journée d’un scrutateur est à la fois un conte moral et un reportage sociologique, né d’une expérience personnelle d’Italo Calvino. Dans l’avant-propos, l’auteur explique qu’il s’est rendu par deux fois au Cottolengo pour des élections : la première en tant que candidat faisant la tournée des bureaux de vote (il n’y est resté qu’une dizaine de minutes), et la seconde en tant que scrutateur, en 1961. Cette année-là, il y a passé deux journées entières. Le récit qui naît de ces deux expériences n’est pas autobiographique. Sur un motif réel et vécu dans sa réalité brute, Calvino bâtit un personnage et élabore une réflexion sur le « malheur qui frappe à la naissance », la responsabilité personnelle et collective, les droits et devoirs de la politique.


Loin des histoires fantastiques, philisophico-alambiquées mais délectables auxquelles nous sommes habitués à simplement prononcer le nom d’Italo Calvino, La Journée d’un scrutateur penche vers un réalisme social qui sonne juste et vrai.