Agatha Christie,
La Maison biscornue (Crooked house, 1959), traduit de
l’anglais par Janine Levy, première publication en français : 1951,
nouvelle édition octobre 2013 (traduction entièrement révisée) éd. Le Masque,
collection « la bibliothèque idéale d’Agatha Christie vue par Martin
Parr », 288 pages.
« Ce livre est l’un de mes
préférés » déclare Agatha Christie dans l’avant-propos. Il n’a pourtant
pas la virtuosité du Meurtre de Roger
Ackroyd ou du Crime de
l’Orient-Express, ni l’exotisme désuet de Mort sur le Nil, pour ne citer que les titres les plus célèbres.
Mais une fois la lecture achevée, et le meurtrier identifié – dans les toutes
dernières pages, comme il se doit – le lecteur comprend ce que la déclaration
de l’auteur laisse entrevoir de sa cruauté, et de sa jubilation à imaginer des
histoires terribles.
La famille Leonides vit dans une maison
biscornue. Trois générations se côtoient, dans une relative indépendance. Lorsque
le patriarche est empoisonné, tous les membres de la famille sont susceptibles
d’avoir commis le meurtre. Le fils aîné, Roger, piètre gestionnaire, ou son
épouse Clémence ? Le cadet, Philippe, qui passe sa vie replié dans sa
bibliothèque tandis que sa femme Magda répète les rôles qu’elle jouera sur
scène ? Et pourquoi pas Edith, la belle-sœur vieille fille, ou Brenda, la
trop jeune épouse et son amant supposé Laurence, précepteur de Joséphine et
Eustace ? Pas d’Hercule Poirot ni de Miss Marple pour mener l’enquête,
mais un Charles de trente-cinq ans, fiancé à Sophia Leonides (l’aînée des
petits-enfants de la victime), et fils d’un responsable de Scotland Yard.
Charles est le témoin candide de
l’enquête. Il y participe même, puisque sa position privilégiée dans la famille
Leonides lui permet d’assister aux conversations intimes, et d’en rendre compte
aux enquêteurs. Drôle de situation pour lui : il découvre sa future
belle-famille en plein drame, lorsque le caractère de chacun se dévoile.
Agatha Christie connaît son affaire, on
le sait. La construction du récit est basée sur des dialogues efficaces et très
peu d’action. Le narrateur Charles distille quelques réflexions qui alertent le
lecteur, mais ne sont pas des indices à proprement parler : « Je fus
assez bête pour ne pas prêter attention à ces propos » (p.111) ou encore
« nous examinions la situation sous un angle qui n’était pas le bon »
(p.138). Le roman suit le cours de l’enquête relatée a posteriori. Agatha
Christie a le chic pour brosser des portraits saisissants, tout en
ambiguïté : « C’était un géant maladroit, à la carrure puissante, aux
cheveux noirs ébouriffés, au visage tout à la fois extraordinairement laid et
plaisant. Il nous regarda et, vite, détourna les yeux, avec cet air gêné qu’ont
souvent les gens timides mais honnêtes » (p.73).
Les éditions du Masque (aujourd’hui
département des éditions Jean-Claude Lattès) ont la bonne idée de rééditer dans
un moyen format dix titres-phares d’Agatha Christie. Les couvertures sont
illustrées de photographies de Martin Parr, aux couleurs éclatantes. Pour La Maison biscornue, on a choisi le
vermillon, le jaune vif, le céladon : une scène de tea time entre femmes, dont on n’aperçoit que les bras ou les
mains. En quatrième de couverture, une photographie de petit format apporte une
note plus inquiétante. Ce dispositif iconographique est repris dans tous les
titres de la collection « La Bibliothèque idéale d’Agatha Christie vue par
Martin Parr » et dans la confrontation de ces deux univers les romans de
la Reine du crime trouvent une saveur nouvelle.