Eric Dussert et Christian Laucou, Du corps à l’ouvrage, Les mots du livre, éd. La Table Ronde, 28 février 2019, 288
pages.
Voilà un ouvrage
qui a du corps ! Une petite merveille dont j’ai d’ores et déjà fait mon
livre de chevet. Tout lecteur a une relation quasi charnelle avec le livre.
Dans ce livre qui parle du livre sous la forme d’un dictionnaire, mais pas
seulement, on enrichit son vocabulaire, on y apprend un jargon – ce mot souvent
employé de façon péjorative alors qu’il désigne simplement le vocabulaire
spécifique à une profession. Les mots et expressions du monde du livre sont
tout un poème : colophon, feuille de malheur, moine, cul-de-lampe, œil,
poignard… la surprise surgit à chaque page. Les grands noms de la librairie et
de l’imprimerie ne sont pas oubliés, on y trouve, par exemple, Marcel Béalu et Etienne Dolet – je traque les noms de ces deux hommes dans tout ce que je lis,
et les retrouver tous les deux ici est fabuleux.
Un livre qui parle
du livre se doit d’être pensé et mis en page. Du corps à l’ouvrage est conçu horizontalement et verticalement –
sur les fausses pages court, le long du texte, une frise chronologique – mais également
en surimpression. Le dos est apparent, on voit les coutures des cahiers. Au
centre, un cahier technique, sur fond jaune soleil, donne des indications
précieuses sur les formats de papier et la typographie. On y apprend, là
encore, une foule de choses merveilleuses, comme les noms des anciens formats
de papier dont ne subsistent aujourd’hui que le Raisin et le Jésus, ou les
anciennes dénominations des corps de caractères en points Didot, du Diamant au
Quadruple-Canon (corps 3 et corps 112).
Eric Dussert et
Christian Lacou, dans leurs définitions, s’amusent et s’engagent. Jeux de mots,
ironie, mais aussi défense de l’imprimé face à l’électronique. En hommes du
livre – le premier est écrivain, le second typographe – ils savent que le livre
est insurpassable Exemple, à l’entrée « Ebook » :
« On lui
prête essentiellement des vertus de container
(“Pour partir en voyage, j’ai tant de
livres sur ma tablette”) puisqu’un reader,
appareil destiné à la seule lecture, ou ce petit ordinateur sans clavier dit tablette peuvent contenir des centaines
ou des milliers de titres ».
De titres, pas de
livres… Depuis l’invention du codex, qui a succédé au rouleau, l’avancement de
la lecture est visible et tangible. Sur une liseuse, on ne sait jamais où l’on
en est… et le lecteur est frustré dans sa lecture. Du corps
à l’ouvrage est dédié à Umberto Eco, qui expliquait que le livre était « tout
comme la fourchette : indépassable. Irremplaçable. Pérenne ». Une
forme parfaite destinée à durer, stabilisée. Dussert et Laucou nous offrent
tout du livre : son vocabulaire, son histoire, ses héros. Et nous montrent
qu’un livre, ce n’est pas qu’un texte.
On l’aura compris,
cet ouvrage est pour moi un vrai coup de cœur. Merci aux éditions de La Table Ronde
pour cette publication impeccable.