mercredi 27 mars 2019

Marie Neuser (2)


Dans le deuxième pan de ses publications, Marie Neuser s’éloigne de motifs fictionnels plus ou moins tirés de sa propre expérience pour plonger son lecteur dans une affaire criminelle qui s’est déroulée entre l’Angleterre et l’Italie, durant les années 1993-2010 (l’affaire Restivo). De cette matière vraie qui, dit-elle dans les Remerciements, a été réactivée par une réflexion de sa propre mère, elle tire un diptyque aux narrations différenciées.

Dans Prendre Lily, on est dans un polar pur jus, dont la narration est confiée à l’enquêteur. Gordon McLiam, choqué par le spectacle d’une mère de famille assassinée chez elle, à qui l’on a coupé les seins et tenté de scier la tête, et dont le corps est découvert par ses deux filles, ne trouvera le repos qu’après avoir coincé l’assassin. Cela prendra des années, durant lesquelles le lecteur verra l’enquêteur vieillir, vivre une histoire d’amour, se faire renverser par une voiture et sortir fracassé de l’accident, jouer les amoureux auprès d’une femme qu’il méprise, et changer de métier. Prendre Lily n’est pas un whodunit, un roman policier basé sur une énigme. Très tôt, les enquêteurs sont persuadés de la culpabilité du voisin de la victime, et cette certitude n’est jamais remise en question. Tous les indices convergent. Mais le suspect numéro 1 est visqueux, il parvient toujours à se sortir d’affaire. Depuis Crime et Châtiment et son enquêteur Svidrigaïlov jusqu’à l’inspecteur Colombo – héros de série TV dérivé de l’enquêteur imaginé par Dostoïevski – on sait que connaître l’assassin dès le début ou presque n’abolit en rien le suspense. Marie Neuser parvient à faire éprouver à son lecteur toutes les émotions de l’enquêteur : son dégoût face à l’assassin, son abattement lorsque l’enquête traîne à cause des délais demandés par la police scientifique, son exaltation si par bonheur une preuve matérielle vient étayer l’intime conviction de l’équipe chargée de l’enquête. Gordon McLiam, qui au début de l’affaire a 40 ans, est complètement obnubilé par le meurtre de Lily, une brave mère de famille divorcée qui élève seule ses deux filles, et qui est morte sous les coups atroces d’un assassin pervers qui a déjà échappé à la police et à la justice en Italie :

« C’est Lily qui m’avait fourni, huit ans durant, l’oxygène qui me faisait être.
Que restait-il de Gordon McLiam sans sa croisade ?
Un pauvre mec. »

Cependant, le « pauvre mec » se relève de cette enquête une fois l’assassin confondu. En clin d’œil, Marie Neuser se met en scène dans les dernières pages, comme une figure salvatrice. Prendre Lily relève du genre polar, pur et dur. Il obéit à des codes précis. On y  retrouve toutefois l’écriture alerte, tendre et ironique, de Marie Neuser.

Dans Prendre Gloria, on est dans le versant italien de la même affaire criminelle. On retrouve l’assassin pervers, Damiano Solivo. Prendre Lily s’achevait sur la découverte du corps de sa première victime en Italie, à la veille de son procès pour l’assassinat de Lily. Ce Damiano Solivo, on a appris à le connaître dans le premier volet du diptyque : adipeux, suant, salivant, moite et visqueux, vu par le seul prisme du narrateur Gordon McLiam. Dans Prendre Gloria, la narration est éclatée aussi bien sur le plan de la parole que sur celui de la temporalité. Le roman est bâti comme un puzzle, en fragments faisant alterner différents « je » et la narration omnisciente, et les différentes années-clés de l’affaire. Les personnages italiens sont déjà connus du lecteur ayant lu le premier volet. Ici, c’est la figure de Gloria Prats, première petite victime de Solivo, qui occupe la romancière. Comment est-il possible que la disparition de cette jeune fille de 17 ans n’ait jamais été élucidée ? Elle est entrée dans une église et n’en est jamais ressortie… Elle est devenue le symbole de tout un peuple :

« Tous ceux qui reconnaissaient dans la famille Prats la jumelle de la leur, tribu unie de travailleurs humbles et honnêtes, commençaient à nourrir envers elle une secrète solidarité. Gloria Prats allait devenir l’enfant du peuple. »

Tout un réseau de complicités est mis à jour, familial et ecclésial. Prendre Gloria est aussi une plongée dans la sociologie italienne.

On retrouve dans ce diptyque l’intérêt de Marie Neuser pour l’Italie. Elle se coule avec aisance dans la littérature de genre, sachant y instiller son écriture. Elle sait aussi mettre en évidence l’importance des nouveaux outils de résolution, parmi lesquels les émissions de télévision, mi-entertainment mi-documentaire, qui semblent êtres passées de mode. Mais je n’ai pas retrouvé, dans ces deux romans menés de belle main, la liberté et la petite voix si personnelle de ses deux premières publications.