Dans le deuxième
pan de ses publications, Marie Neuser s’éloigne de motifs fictionnels plus ou
moins tirés de sa propre expérience pour plonger son lecteur dans une affaire
criminelle qui s’est déroulée entre l’Angleterre et l’Italie, durant les années
1993-2010 (l’affaire Restivo). De cette matière vraie qui, dit-elle dans les
Remerciements, a été réactivée par une réflexion de sa propre mère, elle tire
un diptyque aux narrations différenciées.
Dans Prendre Lily, on est dans un polar pur
jus, dont la narration est confiée à l’enquêteur. Gordon McLiam, choqué par le
spectacle d’une mère de famille assassinée chez elle, à qui l’on a coupé les
seins et tenté de scier la tête, et dont le corps est découvert par ses deux
filles, ne trouvera le repos qu’après avoir coincé l’assassin. Cela prendra des
années, durant lesquelles le lecteur verra l’enquêteur vieillir, vivre une
histoire d’amour, se faire renverser par une voiture et sortir fracassé de
l’accident, jouer les amoureux auprès d’une femme qu’il méprise, et changer de
métier. Prendre Lily n’est pas un whodunit, un roman policier basé sur une
énigme. Très tôt, les enquêteurs sont persuadés de la culpabilité du voisin de
la victime, et cette certitude n’est jamais remise en question. Tous les
indices convergent. Mais le suspect numéro 1 est visqueux, il parvient toujours
à se sortir d’affaire. Depuis Crime et
Châtiment et son enquêteur Svidrigaïlov jusqu’à l’inspecteur Colombo – héros
de série TV dérivé de l’enquêteur imaginé par Dostoïevski – on sait que
connaître l’assassin dès le début ou presque n’abolit en rien le suspense.
Marie Neuser parvient à faire éprouver à son lecteur toutes les émotions de
l’enquêteur : son dégoût face à l’assassin, son abattement lorsque
l’enquête traîne à cause des délais demandés par la police scientifique, son
exaltation si par bonheur une preuve matérielle vient étayer l’intime
conviction de l’équipe chargée de l’enquête. Gordon McLiam, qui au début de
l’affaire a 40 ans, est complètement obnubilé par le meurtre de Lily, une brave
mère de famille divorcée qui élève seule ses deux filles, et qui est morte sous
les coups atroces d’un assassin pervers qui a déjà échappé à la police et à la
justice en Italie :
« C’est Lily
qui m’avait fourni, huit ans durant, l’oxygène qui me faisait être.
Que restait-il de
Gordon McLiam sans sa croisade ?
Un pauvre
mec. »
Cependant, le
« pauvre mec » se relève de cette enquête une fois l’assassin
confondu. En clin d’œil, Marie Neuser se met en scène dans les dernières pages,
comme une figure salvatrice. Prendre Lily
relève du genre polar, pur et dur. Il obéit à des codes précis. On y retrouve toutefois l’écriture alerte, tendre
et ironique, de Marie Neuser.
Dans Prendre Gloria, on est dans le versant italien
de la même affaire criminelle. On retrouve l’assassin pervers, Damiano Solivo. Prendre Lily s’achevait sur la
découverte du corps de sa première victime en Italie, à la veille de son procès
pour l’assassinat de Lily. Ce Damiano Solivo, on a appris à le connaître dans
le premier volet du diptyque : adipeux, suant, salivant, moite et
visqueux, vu par le seul prisme du narrateur Gordon McLiam. Dans Prendre Gloria, la narration est éclatée
aussi bien sur le plan de la parole que sur celui de la temporalité. Le roman est
bâti comme un puzzle, en fragments faisant alterner différents « je »
et la narration omnisciente, et les différentes années-clés de l’affaire. Les
personnages italiens sont déjà connus du lecteur ayant lu le premier volet.
Ici, c’est la figure de Gloria Prats, première petite victime de Solivo, qui occupe
la romancière. Comment est-il possible que la disparition de cette jeune fille
de 17 ans n’ait jamais été élucidée ? Elle est entrée dans une église et
n’en est jamais ressortie… Elle est devenue le symbole de tout un peuple :
« Tous ceux
qui reconnaissaient dans la famille Prats la jumelle de la leur, tribu unie de
travailleurs humbles et honnêtes, commençaient à nourrir envers elle une
secrète solidarité. Gloria Prats allait devenir l’enfant du peuple. »
Tout un réseau de
complicités est mis à jour, familial et ecclésial. Prendre Gloria est aussi une plongée dans la sociologie italienne.
On retrouve dans
ce diptyque l’intérêt de Marie Neuser pour l’Italie. Elle se coule avec aisance
dans la littérature de genre, sachant y instiller son écriture. Elle sait aussi
mettre en évidence l’importance des nouveaux outils de résolution, parmi lesquels
les émissions de télévision, mi-entertainment mi-documentaire, qui semblent êtres
passées de mode. Mais je n’ai pas retrouvé, dans ces deux romans menés de belle
main, la liberté et la petite voix si personnelle de ses deux premières
publications.