jeudi 12 mai 2016

Snjór de Ragnar Jónasson



Ragnar Jónasson, Snjór, traduit de la version anglaise d’après l’islandais par Philippe Reilly, éd. de la Martinière, 12 mai 2016, 352 pages.

Snjór est le premier roman d’une série intitulée Dark Iceland. Nous sommes en Islande, tout au nord du territoire, dans la ville de Siglufjördur. Reykjavik est bien loin, plus au sud, aux prises avec des manifestations et la crise bancaire. A Siglufjördur, le temps est suspendu. Il fait froid, il neige, la ville est coupée du reste du monde. Ari Thór a été nommé là pour son premier poste, à la sortie de l’école de police. Dans la capitale, il a laissé sa fiancée Kristín. Ou plutôt, Kristín a refusé de le suivre.

Dans ce coin glacé où il ne se passe jamais rien, deux événements tragiques surviennent, presque simultanément : un écrivain de renommée internationale fait une chute mortelle dans l’escalier d’un théâtre – a-t-il été poussé ? – et une jeune femme est retrouvée poignardée dans la neige – qui l’a agressée ? L’intrigue tourne donc autour des membres de la société dramatique locale, l’écrivain en étant le président, et l’époux de la deuxième victime tenant le rôle principal de la pièce que l’on est en train de répéter.

Snjór est un huis-clos, et l’artifice de la route coupée semble superflu. Dans cette petite communauté, de toute façon, tout le monde semble installé là depuis toujours, ou y être revenu, et ne bouge pas. Bien entendu, quelques masques vont tomber et des révélations surprenantes vont permettre de résoudre les deux meurtres. A moins qu’il ne s’agisse, ni dans un cas ni dans l’autre, de meurtre. L’effet de huis-clos est renforcé par le sentiment de claustrophobie du policier, qui semble quelque peu artificiel.

La quatrième de couverture nous apprend que l’auteur, Ragnar Jónasson, est un admirateur d’Agatha Christie, et qu’il a traduit plusieurs de ses romans en islandais. L’avancement de son intrigue emprunte beaucoup à la mécanique de la grande dame du crime, sans toutefois l’égaler. Que manque-t-il à ce roman ? Un peu plus de perversité, sans doute, de cette perversité sucrée et terrible dont Agatha Christie avait le secret. Dans Snjór, le lecteur découvre le lot commun d’adultère, d’amour secret non avoué au fil de toute une vie, de notoriété usurpée. Rien de rare, rien qui vienne renverser les lois du roman policier traditionnel. L’arrière-fond politique et économique de l’Islande de 2009 n’est jamais exploité, et la figure centrale du policier, le jeune Ari Thór, est diablement puritaine – il est surnommé « Le révérend » car il a fait des études de théologie. La littérature islandaise, si surprenante en temps normal, si « exotique » dans ses décors et sa mentalité, est ici d’une banalité dérangeante.

NB : on s’étonne que la traduction française ait pris des chemins détournés (le roman est traduit à partir de la version anglaise), mais on suppose que le texte en anglais avait été remanié, et qu’il s’agit là de sa version définitive.
NB2 : On est déconcerté par un passage du texte en français : « Ari Thór reconnut la jeune femme […] elle venait comme lui de la faculté de théologie de l’université de Reykjavik. […] A l’époque où il avait renoncé, elle suivait une formation pour devenir prêtre. » (p.205). Une femme prêtre ?!? Pasteur, sans doute. Mais prêtre…